En retrait, mais attentif. Si l’ancien chef de l’État n’est plus candidat à rien, il n’a pas renoncé à peser dans le débat public. Son but : assurer, le 11 décembre, un maximum de sièges de députés au Parti démocratique de Côte d’Ivoire, qu’il dirige toujours.
Un an après sa défaite au premier tour de la présidentielle ivoirienne, Henri Konan Bédié, 77 ans, semble presque soulagé de n’être plus candidat à rien. Son rôle d’aîné, distillant les conseils et recevant les honneurs, lui convient à merveille. Placide, économe en paroles et en gestes, l’ancien chef de l’État, qui nous reçoit dans son appartement du 16e arrondissement de Paris, signifie pourtant clairement qu’il ne se laissera pas dicter le scénario de son retrait progressif de la vie publique.
Rallié à Alassane Ouattara entre les deux tours de l’élection, installé comme lui au Golf Hôtel pendant la crise, le « Sphinx de Daoukro », toujours à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), se fait discret avant de s’investir dans la préparation du scrutin législatif du 11 décembre. Il travaillera ensuite à la mise sur orbite d’un grand parti regroupant les formations du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Une sorte de retour au PDCI originel qui pourrait lui permettre d’entrer dans l’Histoire comme le réunificateur de la nation après la longue guerre de succession qui l’a opposé aux autres héritiers du père de l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny.
Henri Konan Bédié a aussi décidé de se confier à un biographe. Sortie de l’ouvrage prévue en 2014. Bédié soufflera alors ses quatre-vingts bougies et pourra faire valoir son droit à la retraite.
Jeune Afrique : Où étiez-vous le 11 avril, jour de l’arrestation du président déchu, Laurent Gbagbo ?
Henri Konan Bédié : J’étais au Golf Hôtel. Son arrivée a déclenché une clameur. On m’a informé qu’il avait été capturé et j’ai alors ressenti un profond sentiment de soulagement. J’ai ensuite appelé le Premier ministre, Guillaume Soro, pour le féliciter du « travail bien fait ».
L’entourage de Gbagbo est-il responsable de son entêtement durant la crise ?
Je ne crois pas à cette thèse. Laurent Gbagbo était en phase avec son entourage et il était le véritable donneur d’ordres. À ce titre, il devra rendre des comptes pour les milliers de morts et les atrocités commises pendant la crise postélectorale.
Doit-il être jugé en Côte d’Ivoire ?
Il a été inculpé en Côte d’Ivoire pour des crimes économiques. La Cour pénale internationale est aussi en train d’enquêter sur les plaintes déposées par des victimes pour des actes très graves. Or les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les violations des droits de l’homme sont du ressort d’une juridiction internationale. Il n’y a pas d’autre issue. Surtout pour que l’on ne puisse pas parler de justice des vainqueurs.
Qui pourra bénéficier de la loi d’amnistie de 2003 concernant les infractions portant atteinte à la sûreté de l’État ?
Tous ceux qui ont commis des actes mineurs. Ce qui n’est pas le cas des assassins du journaliste Guy-André Kieffer ou de ceux des dirigeants de Sifca [Yves Lambelin et deux de ses collaborateurs, NDLR]. Les crimes de sang ne seront pas amnistiés.
Les avocats de Gbagbo se plaignent de sa détention arbitraire et de ne pas le voir aussi souvent qu’ils le désirent…
C’est de la manipulation. Gbagbo a toujours eu accès à ses défenseurs, à condition que ceux-ci respectent la procédure.
Les Forces nouvelles (FN) sont accusées de crimes dans l’Ouest. Doivent-elles rendre des comptes à la justice ?
Ma position est claire : aucune impunité. Ni pour les Forces nouvelles, ni pour les forces anciennes [l’armée régulière].
Revenons à la présidentielle. Comment avez-vous accueilli votre échec ?
Avec indignation. Le Front populaire ivoirien [parti de Laurent Gbagbo] a organisé une fraude massive dans les régions qui m’étaient favorables. J’ai fait des réclamations, mais la Commission électorale indépendante ne m’a pas suivi. Alors j’ai fait en sorte qu’Alassane Ouattara soit soutenu par tous les partis du RHDP.
N’avez-vous pas manqué de pugnacité dans vos requêtes ?
Il fallait tourner la page pour ne pas bloquer le processus électoral. Après avoir discuté avec Ouattara, nous nous sommes préparés pour la bataille finale. J’ai appelé à voter pour lui, me suis impliqué avec mes cadres dans la mobilisation des électeurs, et me suis même prêté aux campagnes d’affichage, où l’on me voit accompagnant le président, en aîné. En Afrique, les symboles ont toute leur force de persuasion.
Beaucoup doutaient de la solidité de cette alliance…
Gbagbo non plus n’y croyait pas. Mon mot d’ordre a été suivi à plus de 80 %. Pour les Ivoiriens, il s’agissait, ni plus ni moins, de sortir de la dictature.
Avez-vous douté pendant cette crise ?
Défenseur d’une cause juste, je n’ai jamais connu le doute. Il y a eu des moments difficiles, notamment lorsque nos militants et les populations ont été pris pour cibles. J’ai exprimé ma solidarité au président Ouattara en restant à ses côtés au Golf Hôtel, sous la menace des bombes. Et, politiquement, j’ai tout fait pour l’aider ; j’ai notamment demandé à Gbagbo de faire preuve d’élégance en acceptant le verdict des urnes. Très vite, il s’est avéré que seul le recours à la force pourrait débloquer la situation.
Avez-vous pris part à toutes les décisions stratégiques ?
Le président Ouattara m’a consulté à chaque fois que la situation l’exigeait. Nos appartements à l’hôtel étaient l’un en face de l’autre.
La division des pays africains sur le cas ivoirien vous a-t-elle surpris ?
Il fallait s’y attendre. L’unité africaine est toujours difficile à obtenir.
La page étant tournée, quelles sont vos ambitions pour les législatives ?
Avec le redécoupage électoral, l’Assemblée nationale va passer de 235 à 255 sièges. Nous nous organisons pour en obtenir le maximum.
Vous parlez d’aller aux élections en rangs dispersés mais pas opposés. Que voulez-vous dire ?
Il y a des situations où le bon sens nous amène à présenter des candidatures uniques. Tous les partis de la coalition houphouétiste [PDCI, Rassemblement des républicains, Mouvement des forces d’avenir, Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire, Union pour la Côte d’Ivoire] ont chacun leur fief. Dans ce fief, la pole position revient au candidat du parti qui se présentera sous sa bannière. Mais le compromis et le consensus ne seront pas possibles partout. Il devrait donc y avoir aussi des duels, notamment dans les grandes villes.
Si le PDCI arrive en tête, revendiquerez-vous le perchoir ?
Nous en discuterons le moment venu avec le président Ouattara. Ce n’est pas forcément le parti arrivant en tête qui obtiendra la présidence de l’Assemblée. Nous pourrons nous mettre d’accord sur une personnalité. Ou laisser tout simplement les députés choisir leur président.
Souhaitez-vous que le futur Premier ministre soit issu du PDCI ?
C’est ce qui est prévu dans nos accords.
Le nom de Daniel Kablan Duncan, ministre des Affaires étrangères, est évoqué…
Il est trop tôt pour avancer un nom. Les compétences ne manquent pas au PDCI. Dans la mesure où nous voulons rassembler, le futur gouvernement devra surtout tenir compte de l’équilibre régional. Il est évident que ce sera sur une base politique. Mais on pourra aussi ouvrir le gouvernement aux partis de l’opposition et à la société civile.
Comment envisagez-vous l’arrivée des FN au sein du RHDP ?
Les FN ne sont pas encore un parti politique. Donc la question ne se pose pas.
Guillaume Soro et plusieurs de ses proches devraient toutefois se présenter aux législatives.
Il s’agit de candidatures individuelles.
Êtes-vous prêt à leur ouvrir un certain espace ?
Les FN sont, pour l’instant, des électeurs du RHDP.
Soro doit-il lancer son propre parti ?
Cela n’est pas facile de créer un parti. Notre pays en compte plus de cent vingt. Combien d’entre eux ont une réelle assise nationale ? Il faut beaucoup de moyens pour lancer et entretenir une formation.
Craignez-vous pour la transparence du scrutin ?
Il reste des poches d’insécurité, mais les choses rentrent progressivement dans l’ordre. On demandera à la police et à la gendarmerie de sécuriser le scrutin.
Que deviendra le RHDP après les élections législatives ?
L’objectif est de réaliser la fusion de tous les partis dans une grande formation. Pour le moment, les discussions sont en veilleuse car nous voulons d’abord passer le cap des élections législatives, municipales et régionales. Nous y repenserons à partir de l’an prochain.
Quelle sera la ligne idéologique de ce grand parti ?
Ce sera un parti national, un rassemblement pour la paix, la reconstruction et le développement. Il devrait être démocrate, libéral, social, empreint des valeurs de l’houphouétisme. Mais, en tout cas, pas socialiste. Avant l’unification, toutes les formations tiendront leur congrès afin de faire leur bilan et de préparer l’avenir.
Avez-vous participé au choix de Charles Konan Banny pour présider la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation ?
Le président Ouattara m’a demandé mon avis. J’ai approuvé sa décision. Nous lui faisons entièrement confiance.
Confier ce chantier à un homme politique ne compliquera-t-il pas la réconciliation ?
Tous les membres de la commission doivent prendre de la hauteur et se comporter de façon neutre pour conduire la réconciliation. Le citoyen Konan Banny conserve tous ses droits. Mais je ne pense pas qu’il soit candidat à autre chose durant son mandat à la tête de la commission.
Un mandat de deux ans : n’est-ce pas trop court pour réconcilier les Ivoiriens ?
Cela prendra beaucoup plus de temps. Mais ces deux années doivent permettre d’avancer en jetant les bases d’une réconciliation durable.
Quelle période doit-on prendre en compte pour l’exercice de catharsis nationale ?
Tout dépendra des enquêtes préliminaires et du désir des victimes.
Quelle sera votre réaction si on vous demande de participer, avec le président Ouattara, pour faire le bilan de la guerre des héritiers d’Houphouët-Boigny ?
C’est beaucoup plus de la guerre des assaillants qu’il convient de parler. Pour ma part, j’ai déjà participé à un forum de réconciliation du temps de Robert Gueï. Hélas, on n’a pas tenu compte des recommandations faites à l’époque.
Quel regard portez-vous sur la relance économique ?
Le Fonds monétaire international [FMI] vient de relever les prévisions de croissance de la Côte d’Ivoire à 8,9 % pour l’année 2012. C’est très encourageant. Notre pays va sortir très rapidement de la crise.
Y a-t-il un effet Ouattara ?
Incontestablement. Il a imprimé son style de travail au gouvernement. On le verra davantage dans les prochains mois.
Que pensez-vous du tandem qu’il forme avec Guillaume Soro ?
Ils se complètent bien. Soro étudie les dossiers et travaille énormément.
Êtes-vous content des ministres PDCI ?
Ils sont parmi les plus sérieux et les plus appliqués. Le ministre des Infrastructures économiques, Patrick Achi, fait beaucoup pour relancer les grands chantiers.
Les dernières attaques dans l’ouest du pays vous inquiètent-elles ?
Oui et non. Oui, car elles se sont soldées par des morts. Non, parce que le processus de sécurisation est bien engagé.
Selon l’accord de Ouagadougou, les commandants de zone devaient être mis à la retraite. Ils sont maintenant intégrés dans les différentes chaînes de commandement. Qu’en pensez-vous ?
Historiquement, ils faisaient partie de l’armée nationale. Ils ont leur place et sont à leur place dans la nouvelle armée.
L’intégration dans l’armée de 9 000 soldats des FN, venant majoritairement du Nord, ne repose-t-elle pas le problème de la tribalisation de la Grande Muette ?
La refonte de l’armée a fait l’objet d’accords et de règlements entre les responsables militaires de tous les camps. Il n’y a donc pas lieu d’avoir peur.
Encouragez-vous les FRCI à rentrer dans les casernes ?
Dans tous les pays du monde, la place des militaires est dans les casernes, pas dans les rues.
N’avez-vous pas peur que les forces armées perpétuent, à l’échelle nationale, le système d’accaparement des richesses mis en place dans le nord du pays ?
Je ne crois pas. Tout change rapidement en Côte d’Ivoire. Si elles ne jouent pas le jeu, elles seront sanctionnées.
Qu’attendez-vous du président burkinabè, Blaise Compaoré ?
Son action touche à sa fin. Il a bien travaillé en tant que facilitateur.
De quelle Côte d’Ivoire rêvez-vous pour demain ?
La Côte d’Ivoire doit être un pays de paix, de développement et de prospérité. Elle doit être une locomotive pour l’Afrique de l’Ouest et une terre de fraternité.
Quel rôle la France doit-elle jouer dans ce processus de relance ?
Nous sommes très attachés à cette relation avec la France, qui est notre premier partenaire commercial. Beaucoup d’entreprises françaises se sont implantées dans notre pays. C’est un atout à préserver. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un partenariat exclusif. Notre pays est ouvert aux opérateurs économiques d’autres États.
Quel regard portez-vous sur les révélations de Robert Bourgi sur le financement de la droite française par les présidents africains ?
Sa démarche médiatique me surprend. Je la désapprouve. J’attends de le voir pour qu’il m’explique ses raisons.
N’est-ce pas un appel du pied à Nicolas Sarkozy, qui, semble-t-il, n’a plus recours à ses services ?
S’il s’agit de cela, cela ressemble à du chantage pour avoir le son.
Avez-vous eu vent de financements de politiques français par les dirigeants ivoiriens ?
Moi, j’ai des mallettes de papiers [pleines de documents]. Les autres mallettes, je ne les connais pas.
Quel est votre avenir politique ?
Je suis président du PDCI-RDA [Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain] et à la tête du RHDP. Pour le reste, je ne cours plus après rien. Ni après l’argent, ni après le pouvoir, ni après un poste dans une organisation internationale. Je suis un citoyen libre et indépendant qui peut toujours donner des conseils…
Est-ce l’heure d’écrire vos mémoires ?
Je vais me confier à Frédéric Grah Mel, biographe de Félix Houphouët-Boigny. Mais on va prendre le temps de bien faire les choses. Après tout, je suis encore jeune.
Un an après sa défaite au premier tour de la présidentielle ivoirienne, Henri Konan Bédié, 77 ans, semble presque soulagé de n’être plus candidat à rien. Son rôle d’aîné, distillant les conseils et recevant les honneurs, lui convient à merveille. Placide, économe en paroles et en gestes, l’ancien chef de l’État, qui nous reçoit dans son appartement du 16e arrondissement de Paris, signifie pourtant clairement qu’il ne se laissera pas dicter le scénario de son retrait progressif de la vie publique.
Rallié à Alassane Ouattara entre les deux tours de l’élection, installé comme lui au Golf Hôtel pendant la crise, le « Sphinx de Daoukro », toujours à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), se fait discret avant de s’investir dans la préparation du scrutin législatif du 11 décembre. Il travaillera ensuite à la mise sur orbite d’un grand parti regroupant les formations du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Une sorte de retour au PDCI originel qui pourrait lui permettre d’entrer dans l’Histoire comme le réunificateur de la nation après la longue guerre de succession qui l’a opposé aux autres héritiers du père de l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny.
Henri Konan Bédié a aussi décidé de se confier à un biographe. Sortie de l’ouvrage prévue en 2014. Bédié soufflera alors ses quatre-vingts bougies et pourra faire valoir son droit à la retraite.
Jeune Afrique : Où étiez-vous le 11 avril, jour de l’arrestation du président déchu, Laurent Gbagbo ?
Henri Konan Bédié : J’étais au Golf Hôtel. Son arrivée a déclenché une clameur. On m’a informé qu’il avait été capturé et j’ai alors ressenti un profond sentiment de soulagement. J’ai ensuite appelé le Premier ministre, Guillaume Soro, pour le féliciter du « travail bien fait ».
L’entourage de Gbagbo est-il responsable de son entêtement durant la crise ?
Je ne crois pas à cette thèse. Laurent Gbagbo était en phase avec son entourage et il était le véritable donneur d’ordres. À ce titre, il devra rendre des comptes pour les milliers de morts et les atrocités commises pendant la crise postélectorale.
Doit-il être jugé en Côte d’Ivoire ?
Il a été inculpé en Côte d’Ivoire pour des crimes économiques. La Cour pénale internationale est aussi en train d’enquêter sur les plaintes déposées par des victimes pour des actes très graves. Or les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les violations des droits de l’homme sont du ressort d’une juridiction internationale. Il n’y a pas d’autre issue. Surtout pour que l’on ne puisse pas parler de justice des vainqueurs.
Qui pourra bénéficier de la loi d’amnistie de 2003 concernant les infractions portant atteinte à la sûreté de l’État ?
Tous ceux qui ont commis des actes mineurs. Ce qui n’est pas le cas des assassins du journaliste Guy-André Kieffer ou de ceux des dirigeants de Sifca [Yves Lambelin et deux de ses collaborateurs, NDLR]. Les crimes de sang ne seront pas amnistiés.
Les avocats de Gbagbo se plaignent de sa détention arbitraire et de ne pas le voir aussi souvent qu’ils le désirent…
C’est de la manipulation. Gbagbo a toujours eu accès à ses défenseurs, à condition que ceux-ci respectent la procédure.
Les Forces nouvelles (FN) sont accusées de crimes dans l’Ouest. Doivent-elles rendre des comptes à la justice ?
Ma position est claire : aucune impunité. Ni pour les Forces nouvelles, ni pour les forces anciennes [l’armée régulière].
Revenons à la présidentielle. Comment avez-vous accueilli votre échec ?
Avec indignation. Le Front populaire ivoirien [parti de Laurent Gbagbo] a organisé une fraude massive dans les régions qui m’étaient favorables. J’ai fait des réclamations, mais la Commission électorale indépendante ne m’a pas suivi. Alors j’ai fait en sorte qu’Alassane Ouattara soit soutenu par tous les partis du RHDP.
N’avez-vous pas manqué de pugnacité dans vos requêtes ?
Il fallait tourner la page pour ne pas bloquer le processus électoral. Après avoir discuté avec Ouattara, nous nous sommes préparés pour la bataille finale. J’ai appelé à voter pour lui, me suis impliqué avec mes cadres dans la mobilisation des électeurs, et me suis même prêté aux campagnes d’affichage, où l’on me voit accompagnant le président, en aîné. En Afrique, les symboles ont toute leur force de persuasion.
Beaucoup doutaient de la solidité de cette alliance…
Gbagbo non plus n’y croyait pas. Mon mot d’ordre a été suivi à plus de 80 %. Pour les Ivoiriens, il s’agissait, ni plus ni moins, de sortir de la dictature.
Avez-vous douté pendant cette crise ?
Défenseur d’une cause juste, je n’ai jamais connu le doute. Il y a eu des moments difficiles, notamment lorsque nos militants et les populations ont été pris pour cibles. J’ai exprimé ma solidarité au président Ouattara en restant à ses côtés au Golf Hôtel, sous la menace des bombes. Et, politiquement, j’ai tout fait pour l’aider ; j’ai notamment demandé à Gbagbo de faire preuve d’élégance en acceptant le verdict des urnes. Très vite, il s’est avéré que seul le recours à la force pourrait débloquer la situation.
Avez-vous pris part à toutes les décisions stratégiques ?
Le président Ouattara m’a consulté à chaque fois que la situation l’exigeait. Nos appartements à l’hôtel étaient l’un en face de l’autre.
La division des pays africains sur le cas ivoirien vous a-t-elle surpris ?
Il fallait s’y attendre. L’unité africaine est toujours difficile à obtenir.
La page étant tournée, quelles sont vos ambitions pour les législatives ?
Avec le redécoupage électoral, l’Assemblée nationale va passer de 235 à 255 sièges. Nous nous organisons pour en obtenir le maximum.
Vous parlez d’aller aux élections en rangs dispersés mais pas opposés. Que voulez-vous dire ?
Il y a des situations où le bon sens nous amène à présenter des candidatures uniques. Tous les partis de la coalition houphouétiste [PDCI, Rassemblement des républicains, Mouvement des forces d’avenir, Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire, Union pour la Côte d’Ivoire] ont chacun leur fief. Dans ce fief, la pole position revient au candidat du parti qui se présentera sous sa bannière. Mais le compromis et le consensus ne seront pas possibles partout. Il devrait donc y avoir aussi des duels, notamment dans les grandes villes.
Si le PDCI arrive en tête, revendiquerez-vous le perchoir ?
Nous en discuterons le moment venu avec le président Ouattara. Ce n’est pas forcément le parti arrivant en tête qui obtiendra la présidence de l’Assemblée. Nous pourrons nous mettre d’accord sur une personnalité. Ou laisser tout simplement les députés choisir leur président.
Souhaitez-vous que le futur Premier ministre soit issu du PDCI ?
C’est ce qui est prévu dans nos accords.
Le nom de Daniel Kablan Duncan, ministre des Affaires étrangères, est évoqué…
Il est trop tôt pour avancer un nom. Les compétences ne manquent pas au PDCI. Dans la mesure où nous voulons rassembler, le futur gouvernement devra surtout tenir compte de l’équilibre régional. Il est évident que ce sera sur une base politique. Mais on pourra aussi ouvrir le gouvernement aux partis de l’opposition et à la société civile.
Comment envisagez-vous l’arrivée des FN au sein du RHDP ?
Les FN ne sont pas encore un parti politique. Donc la question ne se pose pas.
Guillaume Soro et plusieurs de ses proches devraient toutefois se présenter aux législatives.
Il s’agit de candidatures individuelles.
Êtes-vous prêt à leur ouvrir un certain espace ?
Les FN sont, pour l’instant, des électeurs du RHDP.
Soro doit-il lancer son propre parti ?
Cela n’est pas facile de créer un parti. Notre pays en compte plus de cent vingt. Combien d’entre eux ont une réelle assise nationale ? Il faut beaucoup de moyens pour lancer et entretenir une formation.
Craignez-vous pour la transparence du scrutin ?
Il reste des poches d’insécurité, mais les choses rentrent progressivement dans l’ordre. On demandera à la police et à la gendarmerie de sécuriser le scrutin.
Que deviendra le RHDP après les élections législatives ?
L’objectif est de réaliser la fusion de tous les partis dans une grande formation. Pour le moment, les discussions sont en veilleuse car nous voulons d’abord passer le cap des élections législatives, municipales et régionales. Nous y repenserons à partir de l’an prochain.
Quelle sera la ligne idéologique de ce grand parti ?
Ce sera un parti national, un rassemblement pour la paix, la reconstruction et le développement. Il devrait être démocrate, libéral, social, empreint des valeurs de l’houphouétisme. Mais, en tout cas, pas socialiste. Avant l’unification, toutes les formations tiendront leur congrès afin de faire leur bilan et de préparer l’avenir.
Avez-vous participé au choix de Charles Konan Banny pour présider la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation ?
Le président Ouattara m’a demandé mon avis. J’ai approuvé sa décision. Nous lui faisons entièrement confiance.
Confier ce chantier à un homme politique ne compliquera-t-il pas la réconciliation ?
Tous les membres de la commission doivent prendre de la hauteur et se comporter de façon neutre pour conduire la réconciliation. Le citoyen Konan Banny conserve tous ses droits. Mais je ne pense pas qu’il soit candidat à autre chose durant son mandat à la tête de la commission.
Un mandat de deux ans : n’est-ce pas trop court pour réconcilier les Ivoiriens ?
Cela prendra beaucoup plus de temps. Mais ces deux années doivent permettre d’avancer en jetant les bases d’une réconciliation durable.
Quelle période doit-on prendre en compte pour l’exercice de catharsis nationale ?
Tout dépendra des enquêtes préliminaires et du désir des victimes.
Quelle sera votre réaction si on vous demande de participer, avec le président Ouattara, pour faire le bilan de la guerre des héritiers d’Houphouët-Boigny ?
C’est beaucoup plus de la guerre des assaillants qu’il convient de parler. Pour ma part, j’ai déjà participé à un forum de réconciliation du temps de Robert Gueï. Hélas, on n’a pas tenu compte des recommandations faites à l’époque.
Quel regard portez-vous sur la relance économique ?
Le Fonds monétaire international [FMI] vient de relever les prévisions de croissance de la Côte d’Ivoire à 8,9 % pour l’année 2012. C’est très encourageant. Notre pays va sortir très rapidement de la crise.
Y a-t-il un effet Ouattara ?
Incontestablement. Il a imprimé son style de travail au gouvernement. On le verra davantage dans les prochains mois.
Que pensez-vous du tandem qu’il forme avec Guillaume Soro ?
Ils se complètent bien. Soro étudie les dossiers et travaille énormément.
Êtes-vous content des ministres PDCI ?
Ils sont parmi les plus sérieux et les plus appliqués. Le ministre des Infrastructures économiques, Patrick Achi, fait beaucoup pour relancer les grands chantiers.
Les dernières attaques dans l’ouest du pays vous inquiètent-elles ?
Oui et non. Oui, car elles se sont soldées par des morts. Non, parce que le processus de sécurisation est bien engagé.
Selon l’accord de Ouagadougou, les commandants de zone devaient être mis à la retraite. Ils sont maintenant intégrés dans les différentes chaînes de commandement. Qu’en pensez-vous ?
Historiquement, ils faisaient partie de l’armée nationale. Ils ont leur place et sont à leur place dans la nouvelle armée.
L’intégration dans l’armée de 9 000 soldats des FN, venant majoritairement du Nord, ne repose-t-elle pas le problème de la tribalisation de la Grande Muette ?
La refonte de l’armée a fait l’objet d’accords et de règlements entre les responsables militaires de tous les camps. Il n’y a donc pas lieu d’avoir peur.
Encouragez-vous les FRCI à rentrer dans les casernes ?
Dans tous les pays du monde, la place des militaires est dans les casernes, pas dans les rues.
N’avez-vous pas peur que les forces armées perpétuent, à l’échelle nationale, le système d’accaparement des richesses mis en place dans le nord du pays ?
Je ne crois pas. Tout change rapidement en Côte d’Ivoire. Si elles ne jouent pas le jeu, elles seront sanctionnées.
Qu’attendez-vous du président burkinabè, Blaise Compaoré ?
Son action touche à sa fin. Il a bien travaillé en tant que facilitateur.
De quelle Côte d’Ivoire rêvez-vous pour demain ?
La Côte d’Ivoire doit être un pays de paix, de développement et de prospérité. Elle doit être une locomotive pour l’Afrique de l’Ouest et une terre de fraternité.
Quel rôle la France doit-elle jouer dans ce processus de relance ?
Nous sommes très attachés à cette relation avec la France, qui est notre premier partenaire commercial. Beaucoup d’entreprises françaises se sont implantées dans notre pays. C’est un atout à préserver. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un partenariat exclusif. Notre pays est ouvert aux opérateurs économiques d’autres États.
Quel regard portez-vous sur les révélations de Robert Bourgi sur le financement de la droite française par les présidents africains ?
Sa démarche médiatique me surprend. Je la désapprouve. J’attends de le voir pour qu’il m’explique ses raisons.
N’est-ce pas un appel du pied à Nicolas Sarkozy, qui, semble-t-il, n’a plus recours à ses services ?
S’il s’agit de cela, cela ressemble à du chantage pour avoir le son.
Avez-vous eu vent de financements de politiques français par les dirigeants ivoiriens ?
Moi, j’ai des mallettes de papiers [pleines de documents]. Les autres mallettes, je ne les connais pas.
Quel est votre avenir politique ?
Je suis président du PDCI-RDA [Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain] et à la tête du RHDP. Pour le reste, je ne cours plus après rien. Ni après l’argent, ni après le pouvoir, ni après un poste dans une organisation internationale. Je suis un citoyen libre et indépendant qui peut toujours donner des conseils…
Est-ce l’heure d’écrire vos mémoires ?
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