RFI : Monsieur le Premier ministre, bonjour. La Cour pénale internationale vient officiellement de lancer une enquête sur les crimes commis durant la période post-électorale mais aussi sur ceux commis durant la période 2002-2010. Monsieur le Premier ministre, en tant que leader de l’ex-rébellion des Forces nouvelles, vous sentez vous un peu visé, êtes vous inquiet ?
Guillaume Soro : D’abord il faut savoir une chose, c’est que la CPI ouvre une enquête à la demande du gouvernement ivoirien. Cela veut dire que c’est en connaissance de cause que le gouvernement ivoirien, dans un souci de clarifier la question des droits de l’homme dans notre pays, a expressément demandé à la Cour, sur la base du principe de subsidiarité, de venir enquêter sur ces crimes. Donc je ne peux pas être au gouvernement et être inquiet ! Je pense simplement que le peuple de Côte d’Ivoire a besoin de savoir la vérité. Et c’est une bonne chose pour la Côte d’Ivoire pour que l’impunité ne survive pas.
RFI : Monsieur le Premier ministre vous dites que vous n’êtes pas inquiet mais est-ce que vous êtes prêt, si les magistrats de la CPI le demandent, à livrer certains officiers de l’ex-rébellion des Forces nouvelles ?
G.S. : N’anticipons rien. Laissons la Cour pénale faire son travail. Pour le moment, c’est l’ouverture de l’enquête, laissons-les faire. De toute façon le président de la République a été clair sur cette question. Et le gouvernement a la même position : il ne faut pas laisser survivre l’impunité. Si la CPI avait eu à ouvrir des enquêtes plus tôt, peut-être aurait-on pu éviter la crise post-électorale que nous avons connue en 2010.
France 24 : Monsieur le Premier ministre, à propos du cas de Laurent Gbagbo, est-ce que vous souhaitez qu’il soit extradé le plus rapidement possible vers La Haye ?
G.S. : Je pense que c’est inévitable après les tueries dans notre pays. M. Laurent Gbagbo est quand même responsable de plus de 3 000 morts. Dans cette crise post-électorale, alors qu’il avait la possibilité de laisser le pouvoir en sortant par la grande porte, en le refusant et en utilisant l’armée contre la population, évidemment qu’il mérite d’y aller.
RFI : Mais y a-t-il vraiment urgence à ce que Laurent Gbagbo sorte de Côte d’Ivoire ?
G.S. : Je ne pose pas le problème en ces termes. Laissons la CPI faire son travail à son rythme et que ceux qui seront épinglés à l’issue des enquêtes répondent de leurs actes.
France 24 : Donc y compris d’éventuels ex-membres des Forces nouvelles ?
G.S. : Je vois bien que vous insistez sur cette question. Vous ne m’embarrasserez pas. Il ne faut pas faire le travail des juges à leur place. Laissons les faire. Si l’enquête révèle qu’un militaire a une responsabilité dans la commission de crimes de sang, évidemment que nous serons d’accord que la Cour pénale fasse son travail et qu’il soit extradé.
RFI : La Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) a été officiellement mise en place. Ses contours et son champ d’application restent flous. Ne craignez vous pas que les Ivoiriens soient déçus ?
G.S. : Je pense que la CDVR est animée par des personnalités qui ont fait preuve d’un certain nombre de capacités dans notre pays, notamment son président, l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny. Je n’ai aucun doute : il a les moyens de réussir la réconciliation. Le rôle du gouvernement est de l’accompagner et nous le ferons.
France 24 : Cette réconciliation est-elle possible en l’absence de Laurent Gbagbo qu’il soit extradé à La Haye ou en résidence surveillée ? Ses partisans réclament sa libération, qu’est-ce que vous leur répondez ?
G.S. : Je demande aux partisans de M. Laurent Gagbo même si c’est leur droit, cela s’apparenterait sinon à du lâchage, mais je leur demande d’être sérieux. On ne peut pas demander la libération de M. Gbagbo quand on sait qu’il est responsable de 3 000 morts ! J’insiste là-dessus. Ce n’est même pas bon pour la Côte d’Ivoire. Nous voulons la réconciliation, mais il faut que la justice fasse son travail. Et M. Gbagbo, nous le demandons, doit avoir droit à une justice équitable. Nous disons simplement que M. Gbagbo doit répondre de ses crimes. On ne peut pas demander dans de telles circonstances sa libération, cela n’est pas possible et ne s’est jamais vu. Et je l’ai dit et je le répète, tout le monde sait très bien que si c’était nous qui étions à la place de Gbagbo, nous ne serions même pas en vie pour réclamer une justice ou une quelconque libération ! On nous aurait liquidés ! Et c’est leurs propres termes. Donc aujourd’hui, notre gouvernement s’est battu et a donné la vie à Gbagbo, on lui offre même les meilleures possibilités d’avoir une justice équitable ! Donc je pense que nos amis du FPI (Front populaire ivoirien) devraient être plutôt humbles.
RFI : Pour crédibiliser la Commission dialogue vérité et réconciliation, ne faudrait-il pas qu’un certain nombre d’officiers de l’ex-rébellion des Forces nouvelles demande pardon notamment pour une série d’exactions commises dans l’ouest du pays ?
G.S. : La Commission dialogue vérité et réconciliation n’est pas mise en place que pour l’ex-rébellion. Je pense que c’est un exercice de catharsis que le président doit faire, nous sommes d’accord, pour tous les Ivoiriens, sans exclusion. Il ne faut pas simplement voir un camp ou l’autre. Il y a même des personnalités, des personnes en Côte d’Ivoire, qui ne sont pas des militaires. Il ne faut pas simplement penser que cette crise est une crise militaire, elle est d’abord politique. C’est à la télévision, dans les radios, qu’on a incité les uns et les autres par des discours de haine, à en venir à cette situation dramatique, tragique pour le pays. Donc je pense que c’est global, c’est général et il faut éviter de catégoriser, de cibler un certain nombre de personnes.
France 24 : Mais est-ce qu’il ne faut pas de temps en temps quand même cibler et être clair puisque certains partisans de Laurent Gbagbo notamment mais aussi des ONG dénoncent des comportements, des exactions, notamment commises par un ancien commandant de zone, Wattao, l’avez-vous rappelé à l’ordre ?
G.S. : Tous les commandants de zone – nous avons eu l’occasion de le montrer, de le démontrer à plusieurs reprises, ont été rappelés à l’ordre : ceux qui n’ont pas suivi les consignes que nous avons données ont été purement et simplement mis de côté ! Donc il ne faut pas cataloguer, il ne faut pas catégoriser, il ne faut pas cibler. Laissons la Commission dialogue vérité et réconciliation faire son travail en toute indépendance. Je pense que c’est important