Après plus de 40 ans de bons et loyaux services rendus à la Nation, le général de corps d’armée Abdoulaye Fall s’en va ! Il part avec le sentiment d’une mission accomplie c’est-à-dire d’avoir servi son pays et la République avec compétence, dévouement et loyauté. Au crépuscule de sa brillante carrière, le général Abdoulaye Fall, désormais ancien Haut commandant de la gendarmerie nationale et ex-directeur de la justice militaire, a choisi votre hebdo « Le Témoin » pour s’exprimer. Une exclusivité d’adieu à l’image d’un ban qui se referme définitivement sur le parcours glorieux d’une très haute autorité de la gendarmerie : le général Abdoulaye Fall !
Le Témoin : Mon général, quel est le sentiment d’un haut commandant de la gendarmerie au parcours sans faute au crépuscule d’une brillante carrière ?
Général Abdoulaye Fall : Le sentiment qui m'habite au crépuscule de ma carrière est le même que celui qu'éprouvent tous les hommes, qui ont eu, comme moi, à exercer de hautes fonctions dans leur pays : d'abord un sentiment de fierté et de satisfaction d'avoir contribué un tant soit peu à la construction, au développement et au rayonnement de son pays. Et, parfois, un sentiment d'inachevé puisque je devais encore faire plus pour mon pays. Ces deux sentiments cohabitent en moi. En effet, en prenant le commandement le 18 août 2005, j'avais exprimé devant mes camarades, devant la nation rassemblée, en présence de ma mère, ma volonté de faire jouer à la gendarmerie son véritable rôle de force de prévention. Il s'agissait en somme de bâtir la gendarmerie de demain, une force qui doit demeurer un outil de sécurité s'adossant sur sa militarité et tournée vers son cœur de métier : la sécurité publique.
Sécurité publique ? Comment avez-vous fait pour atteindre cet objectif ?
Pour atteindre cet objectif, cinq domaines étaient particulièrement ciblés : la réorganisation des structures, la valorisation des ressources humaines, la densification du maillage du territoire, l'équipement et les infrastructures. À l’heure du bilan, je constate avec beaucoup de fierté que le résultat est globalement satisfaisant. En effet, la gendarmerie est aujourd'hui mieux organisée, plus opérationnelle et plus efficace, parce que mieux équipée et son personnel plus motivé. Et qui dit personnel dit ressources humaines ! Justement, dans le domaine des ressources humaines, notre tendon d'Achille, la création de nouvelles structures de formation (Ecole des Officiers à Ouakam, Ecole des Sous-Officiers à Fatick, Centre d'instruction des gendarmes auxiliaires à Kébémer) a permis d'adapter la formation à nos besoins et de rendre la gendarmerie autonome dans le domaine de la formation initiale et dans celui de la formation continue jusqu'au niveau de l'enseignement militaire de premier degré, c'est- à- dire le diplôme d'Etat major.
Ou en êtes-vous avec votre concept de « maillage » c’est-à-dire d’entourer en quelque sorte le territoire national de barbelés, en fait une façon de parler puisqu’il s’agit de mettre partout des casernes de gendarmerie…
En ce qui concerne ce maillage du territoire, effectivement un nouveau concept a été développé. C’est celui des Escadrons de Surveillance et d'Intervention. Il s'agit d'unités mobiles polyvalentes mieux adaptées aux nouvelles formes de risques et menaces. Quatre des dix unités prévues sont déjà installées à Ourossogui, Bakel, Linguère et Kédougou dans des casernes neuves. Les six autres devraient être créées avant 2015 pour un maillage solide et effectif du territoire national…
Et le maillage social ?
Une excellente question ! Parce que dans le domaine social, tout est bien pris en compte avec la création du Fonds de Solidarité qui constitue une innovation de taille. D’où mon sentiment d'inachevé, car on n’arrive jamais à réaliser toutes ses ambitions. Mais en ce qui me concerne, même si tous les chantiers que j'avais lancés ne sont pas terminés, leur exécution se déroule normalement.
En parlant de création d’écoles, Mon général, nombreux sont les gendarmes qui se glorifient d’avoir leur propre école nationale d’officiers. Cela laisse-t-il croire que la création de cette prestigieuse école fait partie des plus grandes réalisations sous l’ère Abdoulaye Fall. Pourquoi la création de cette école de Ouakam alors que, jusque-là, certains officiers gendarmes sortaient de l’Enoa à Thiès ? Concurrence d’excellence ou complémentarité ?
Concurrence d’excellence ? (rires). Si c’est une concurrence d’excellence, pour reprendre votre expression, tant mieux pour l’intérêt des armées ! Mais j’aurais plutôt préféré complémentarité. D’ailleurs, c’est une occasion de préciser que la création de ces écoles était une nécessité. La femme, qui, en 2006, manquait dans nos rangs y est bien présente aujourd'hui avec plus de 200 jeunes filles dont 10 officiers. Ces écoles constituent aujourd'hui pour nous une fierté, car elles viennent compléter le dispositif de formation des forces armées, par ailleurs, outil de rayonnement diplomatique de notre pays. Vous voyez, le mot complémentarité revient pour justifier la création d’une telle école.
Comment voyez-vous l'évolution des problématiques d’insécurité au niveau de la sous-région et quels moyens la gendarmerie nationale devra-t-elle mettre en œuvre pour répondre de manière efficace à ces menaces comme la drogue, la criminalité et le terrorisme ?
Comme vous l’avez constaté, notre sous-région fait face aujourd'hui à des problèmes de sécurité très sérieux : la menace terroriste sous la bannière d'Aqmi, la drogue, la cybercriminalité, en fait, la criminalité transnationale sous toutes ses formes etc. Pris individuellement, nos pays n’ont pas toutes les capacités pour couvrir tout le spectre de ces menaces difficiles à éradiquer. En conséquence, c’est seulement de manière collective qu'elles doivent être combattues. Consciente de ces formes de menaces, la gendarmerie nationale, comme les autres forces de sécurité, développe des capacités dans ce domaine et participe à la lutte contre cette criminalité sous-régionale à grande échelle. Tout cela pour vous rassurer que la gendarmerie s'y prépare en façonnant des outils adaptés à chaque type de menace : des unités spéciales comme le GIGN et les ESI, face au terrorisme, le Centre National de Police Judiciaire (CNPJ) et le Centre National d'Identification Criminelle (CNIC) pour faire face aux différents types de criminalité, une section de l'environnement pour faire face aux problèmes environnementaux… La gendarmerie sénégalaise participe aujourd'hui à la lutte en étant présente au Mali. Elle est aussi opérationnelle dans d'autres théâtres comme le Congo, Haïti, la Côte d'Ivoire, le Soudan pour aider ces pays à retrouver la paix et la stabilité.
Le président de la République, chef suprême des armées, vient juste de nommer votre successeur à la tête de la gendarmerie, quel conseil allez vous donner aux officiers généraux, officiers, sous-officiers et gendarmes du rang ?
Je voudrais dire à mes camarades, particulièrement aux jeunes officiers, que la gestion d'une carrière, surtout pour un chef militaire, requiert certes des qualités foncières, mais il faut surtout bien comprendre que le déroulement d'une carrière n'est pas une course de vitesse, c'est une épreuve d'endurance qui se passe sur un terrain parfois rocailleux. Elle est également une épreuve de croyance où les dés sont pipés ou jetés dès la naissance ou le début d’une carrière. Car Allah, le Maître absolu, a déjà désigné son élu qui n'est pas forcément le meilleur dans nos critères à nous. Donc, je tiens à faire un sermon plus qu’un conseil pour inviter mes camarades à la croyance et à la confiance absolues en Dieu. Car, en dehors des critères d’excellence et de compétence, la baraka divine départage les croyants. Mais dans tous les cas, il faut rester soi-même et se garder de se forger une personnalité qui finira par vous trahir. A mon successeur (Ndlr : le général Mamadou Guèye Faye) qui est un homme expérimenté, avec une bonne connaissance de la gendarmerie, je souhaite bon vent. Qu'Allah l'accompagne dans l'accomplissement de la haute charge que Monsieur le Président de la République lui a confiée. Je profite de cette occasion pour remercier toutes les personnalités civiles et militaires qui m’ont encouragé et soutenu durant toute ma carrière. Sans oublier nos camarades et partenaires étrangers oeuvrant dans le cadre des coopérations militaires. Je manifeste également ma gratitude à l’endroit de nos chefs coutumiers et religieux qui ont beaucoup prié pour moi. Mais Le Tout revient à Allah, Mon Dieu qui m’a donné vie et santé. De même qu’à Mohamed (Psl), Mon Prophète et Mon Guide dont les recommandations et les enseignements ont consolidé ma croyance. Évidemment, avec le conseil et la bénédiction de mes parents qui m’ont orienté sur ce bon chemin…
Propos recueillis par
Pape NDIAYE
LE TEMOIN N°1147 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / DECEMBRE 2013