“Monsieur Zuckerberg, accepteriez-vous de nous dire dans quel hôtel vous avez dormi hier soir ?”. À cette question de Dick Durbin, sénateur démocrate de l’Illinois, le PDG de Facebook a répondu “non”.
Cette séquence restera probablement comme la plus marquante aux yeux du grand public de l’audition de Mark Zuckerberg par la commission sénatoriale, mardi 10 avril. L’échange met en lumière le décalage entre l’importance que le fondateur du réseau social donne au respect de sa vie privée et la désinvolture avec laquelle le réseau social est accusé de traiter les informations personnelles de ses utilisateurs.
Le grand oral de Mark Zuckerberg, qui doit encore répondre aux questions de la commission de la Chambre des représentants mercredi 11 avril, devait surtout amener des éclaircissements sur le scandale Cambridge Analytica (CA), et l’utilisation de Facebook par des agents russes pour influencer l’élection présidentielle américaine de 2016.
Durant plus de quatre heures, le PDG de Facebook a répondu à un feu nourri de questions, sans jamais avoir eu l’air d’être acculé. Maîtrisant bien mieux le sujet que des sénateurs parfois peu au fait du fonctionnement du réseau social, Mark Zuckerberg a néanmoins livré quelques informations qui en disent long sur la conception qu’il se fait du rôle de Facebook.
Illustration en quatre passages clefs où il faut savoir lire entre les lignes des réponses de Mark Zuckerberg.
Êtes-vous un monopole ?
La question posée par Lindsey Graham, le sénateur républicain de la Caroline du Sud, est probablement la plus importante de toutes. Si les fausses informations distillées durant la campagne électorale américaine de 2016 ont eu un tel retentissement, si Cambridge Analytica a pu récolter autant d’informations sur les Américains grâce à un simple test psychologique sur Facebook, c’est parce qu’il n’y a pas d’alternative sérieuse pour qui veut avoir une présence sur les réseaux sociaux.
Bien sûr, Mark Zuckerberg conteste l’accusation de monopole. Il n’a pas le choix. Si Mark Zuckerberg reconnaissait être en position de monopole, il risquait de subir le même sort que Microsoft. En 1999, la justice américaine avait jugé que le groupe de Bill Gates était en situation de monopole et l’avait obligé à une vaste réorganisation des plus douloureuses.
Toute régulation n’est pas mauvaise
Le scandale Cambridge Analytica a remis sur le tapis la question de la régulation des géants de l’Internet. La plupart des sénateurs ont tenté de convaincre Mark Zuckerberg qu’il fallait des lois nouvelles pour mieux protéger les informations personnelles partagées par les internautes avec leurs amis… et les dizaines - voire centaines - de Cambridge Analytica qui sont à l’affût.
À plusieurs reprises, comme dans l’extrait ci-dessus, le patron de Facebook a répété qu’il n’avait rien contre une loi, mais qu’il fallait d’abord s’entendre sur les détails. Le quotidien britannique Guardian rappelle que c’est un manœuvre des plus classiques pour quiconque ne veut pas de réglementation : accepter le principe, tout en suggérant qu’on est prêt à pinailler sur le moindre alinéa.
Surtout, cette insistance des sénateurs à obtenir l’approbation et la collaboration du tout-puissant patron de Facebook dénote d’une étrange déférence des politiques à son égard. Les Européens n’ont pas attendu l’accord de Mark Zuckerberg (ni du PDG de Google ou de Twitter) pour adopter la Réglementation générale sur la protection des données (RGPD), qui doit entrer en vigueur le 25 mai dans tous les États membres de l’Union européenne. L’audition au Sénat américain a prouvé que, malgré leur ton parfois accusateur, les législateurs américains n’étaient pas prêts à imposer des règles à Facebook… sauf si Mark Zuckerberg participait à leur élaboration.
L’Intelligence artificielle aidera à lutter contre l’ingérence russe
Les sénateurs américains voient des Russes partout sur Facebook. Et Mark Zuckerberg s’est montré plutôt d’accord avec eux. Pour la première fois, il a reconnu que ses équipes avaient décelé dès 2016 des tentatives russes d’influencer les électeurs américains. Jusqu’à présent, le patron de Facebook était resté très vague sur le moment précis à partir duquel le géant des réseaux sociaux avait compris qu’une déferlante de “fake news” s’était abattue sur sa plateforme.
Sa réponse ? De l’intelligence artificielle (IA) pour détecter les fausses informations. Certes, il a aussi évoqué l’embauche des milliers de personnes, mais Mark Zuckerberg a cité une vingtaine de fois l’IA comme le futur de la modération sur sa plateforme.
Cette foi en l’algorithme peut se comprendre. Jusqu’à présent, les efforts humains déployés n’ont pas suffi à éradiquer la propagation de rumeurs et les messages haineux. Mais présenter l’IA comme le messie en dit long sur l’état de Facebook : il est devenu trop peuplé et les occasions d’abuser de ses règles de conduite (appel à la haine, trafics illégaux, “fake news”) sont trop nombreuses pour des petites mains humaines. Facebook est donc condamné à dépendre toujours plus des machines. Ironique pour une plateforme dont le but est de rapprocher les êtres humains.
Mark Zuckerberg vs Ted Cruz
La séance de questions réponses entre Ted Cruz, sénateur républicain du Texas, et Mark Zuckerberg était l’une des plus surréalistes de l’audition. Ted Cruz ne semblait pas s’intéresser à Cambridge Analytica ou à l’ingérence russe. Son unique obsession était de faire admettre à Mark Zuckerberg que Facebook était un repère de démocrates prêts à censurer tout ce qui ressemblait à des républicains.
Une vieille lubie de la droite américaine depuis un article controversé du site Gizmodo, en mai 2016, qui assurait que des informations de sites pro-républicains remontaient moins souvent dans le fil d’actualité des utilisateurs que des articles de médias “libéraux”. Mark Zuckerberg s’est contenté de répondre que “toutes les sensibilités politiques s’exprimaient au sein de Facebook”.
Mais Ted Cruz avait un autre intérêt à ne pas parler de Cambridge Analytica. Il a été l’un des premiers clients connus de la société britannique spécialisée dans le traitement de données à des fins politiques. Le site de CA a, d’ailleurs, longtemps mis en avant le travail fait pour le célèbre politicien texan afin de vanter leur savoir-faire. D’où l’incongruité de ce moment au Sénat : l’homme qui a contribué à la célébrité de Cambridge Analytica s’est retrouvé à une audition durant laquelle le patron de Facebook devait expliquer pourquoi il n’a pas réussi à empêcher la société à siphonner autant de données.
Cette séquence restera probablement comme la plus marquante aux yeux du grand public de l’audition de Mark Zuckerberg par la commission sénatoriale, mardi 10 avril. L’échange met en lumière le décalage entre l’importance que le fondateur du réseau social donne au respect de sa vie privée et la désinvolture avec laquelle le réseau social est accusé de traiter les informations personnelles de ses utilisateurs.
Le grand oral de Mark Zuckerberg, qui doit encore répondre aux questions de la commission de la Chambre des représentants mercredi 11 avril, devait surtout amener des éclaircissements sur le scandale Cambridge Analytica (CA), et l’utilisation de Facebook par des agents russes pour influencer l’élection présidentielle américaine de 2016.
Durant plus de quatre heures, le PDG de Facebook a répondu à un feu nourri de questions, sans jamais avoir eu l’air d’être acculé. Maîtrisant bien mieux le sujet que des sénateurs parfois peu au fait du fonctionnement du réseau social, Mark Zuckerberg a néanmoins livré quelques informations qui en disent long sur la conception qu’il se fait du rôle de Facebook.
Illustration en quatre passages clefs où il faut savoir lire entre les lignes des réponses de Mark Zuckerberg.
Êtes-vous un monopole ?
La question posée par Lindsey Graham, le sénateur républicain de la Caroline du Sud, est probablement la plus importante de toutes. Si les fausses informations distillées durant la campagne électorale américaine de 2016 ont eu un tel retentissement, si Cambridge Analytica a pu récolter autant d’informations sur les Américains grâce à un simple test psychologique sur Facebook, c’est parce qu’il n’y a pas d’alternative sérieuse pour qui veut avoir une présence sur les réseaux sociaux.
Bien sûr, Mark Zuckerberg conteste l’accusation de monopole. Il n’a pas le choix. Si Mark Zuckerberg reconnaissait être en position de monopole, il risquait de subir le même sort que Microsoft. En 1999, la justice américaine avait jugé que le groupe de Bill Gates était en situation de monopole et l’avait obligé à une vaste réorganisation des plus douloureuses.
Toute régulation n’est pas mauvaise
Le scandale Cambridge Analytica a remis sur le tapis la question de la régulation des géants de l’Internet. La plupart des sénateurs ont tenté de convaincre Mark Zuckerberg qu’il fallait des lois nouvelles pour mieux protéger les informations personnelles partagées par les internautes avec leurs amis… et les dizaines - voire centaines - de Cambridge Analytica qui sont à l’affût.
À plusieurs reprises, comme dans l’extrait ci-dessus, le patron de Facebook a répété qu’il n’avait rien contre une loi, mais qu’il fallait d’abord s’entendre sur les détails. Le quotidien britannique Guardian rappelle que c’est un manœuvre des plus classiques pour quiconque ne veut pas de réglementation : accepter le principe, tout en suggérant qu’on est prêt à pinailler sur le moindre alinéa.
Surtout, cette insistance des sénateurs à obtenir l’approbation et la collaboration du tout-puissant patron de Facebook dénote d’une étrange déférence des politiques à son égard. Les Européens n’ont pas attendu l’accord de Mark Zuckerberg (ni du PDG de Google ou de Twitter) pour adopter la Réglementation générale sur la protection des données (RGPD), qui doit entrer en vigueur le 25 mai dans tous les États membres de l’Union européenne. L’audition au Sénat américain a prouvé que, malgré leur ton parfois accusateur, les législateurs américains n’étaient pas prêts à imposer des règles à Facebook… sauf si Mark Zuckerberg participait à leur élaboration.
L’Intelligence artificielle aidera à lutter contre l’ingérence russe
Les sénateurs américains voient des Russes partout sur Facebook. Et Mark Zuckerberg s’est montré plutôt d’accord avec eux. Pour la première fois, il a reconnu que ses équipes avaient décelé dès 2016 des tentatives russes d’influencer les électeurs américains. Jusqu’à présent, le patron de Facebook était resté très vague sur le moment précis à partir duquel le géant des réseaux sociaux avait compris qu’une déferlante de “fake news” s’était abattue sur sa plateforme.
Sa réponse ? De l’intelligence artificielle (IA) pour détecter les fausses informations. Certes, il a aussi évoqué l’embauche des milliers de personnes, mais Mark Zuckerberg a cité une vingtaine de fois l’IA comme le futur de la modération sur sa plateforme.
Cette foi en l’algorithme peut se comprendre. Jusqu’à présent, les efforts humains déployés n’ont pas suffi à éradiquer la propagation de rumeurs et les messages haineux. Mais présenter l’IA comme le messie en dit long sur l’état de Facebook : il est devenu trop peuplé et les occasions d’abuser de ses règles de conduite (appel à la haine, trafics illégaux, “fake news”) sont trop nombreuses pour des petites mains humaines. Facebook est donc condamné à dépendre toujours plus des machines. Ironique pour une plateforme dont le but est de rapprocher les êtres humains.
Mark Zuckerberg vs Ted Cruz
La séance de questions réponses entre Ted Cruz, sénateur républicain du Texas, et Mark Zuckerberg était l’une des plus surréalistes de l’audition. Ted Cruz ne semblait pas s’intéresser à Cambridge Analytica ou à l’ingérence russe. Son unique obsession était de faire admettre à Mark Zuckerberg que Facebook était un repère de démocrates prêts à censurer tout ce qui ressemblait à des républicains.
Une vieille lubie de la droite américaine depuis un article controversé du site Gizmodo, en mai 2016, qui assurait que des informations de sites pro-républicains remontaient moins souvent dans le fil d’actualité des utilisateurs que des articles de médias “libéraux”. Mark Zuckerberg s’est contenté de répondre que “toutes les sensibilités politiques s’exprimaient au sein de Facebook”.
Mais Ted Cruz avait un autre intérêt à ne pas parler de Cambridge Analytica. Il a été l’un des premiers clients connus de la société britannique spécialisée dans le traitement de données à des fins politiques. Le site de CA a, d’ailleurs, longtemps mis en avant le travail fait pour le célèbre politicien texan afin de vanter leur savoir-faire. D’où l’incongruité de ce moment au Sénat : l’homme qui a contribué à la célébrité de Cambridge Analytica s’est retrouvé à une audition durant laquelle le patron de Facebook devait expliquer pourquoi il n’a pas réussi à empêcher la société à siphonner autant de données.