Mame Younousse Dieng est née à Tivaouane, ville qu’elle n’a quittée que pour continuer ses études secondaires à Saint-Louis et, ensuite, rejoindre son mari à Dakar. Jeune élève, elle tentait déjà de traduire ses leçons en wolof. Plus tard, elle en fit de même pour ses propres élèves, ce qui l’amena à traduire l’hymne national du Sénégal en 1961. Ancienne directrice d’école, elle est l’auteur d’une importante production dont est tiré son premier roman en wolof intitulé « Aawo bi ». Elle est également l’auteur d’une œuvre majeure, « L’ombre en feu » qui porte toute une histoire… Entretien.
« Je suis allée à l’école des plus beaux textes de l’oralité au fin fond du Cayor dans un milieu traditionnel où le verbe est succulent »
Le Témoin - Madame, qu’est- ce qui vous a amenée à la littérature ?
Mame Younoussa DIENG -S’il est vrai qu’il existe une littérature orale, j’ai toujours baigné dans l’ambiance littéraire de mon Cayor natal, où la parole est art et philosophie. Gorgée de cette littérature orale, populaire, une fois alphabétisée en français, puis en wolof, l’écriture a naturellement suivi. Je suis allée à l’école des plus beaux textes de l’oralité. J’ai toujours aimé ma langue maternelle. J’ai vécu au fin fond du Cayor, dans un milieu traditionnel où le verbe est succulent, entourée par des griots. C’est un milieu très instructif où la langue exprime les moindres sentiments et de façon fort imagée. J’ai vécu avec une famille de griots dont la maison faisait face à la nôtre. C’était une famille extraordinaire. Je crois que la source de mon inspiration, c’est cette famille dont la maison était comme une cour royale. Une vraie école de la vie où le wolof se chante en proverbes, sentences, dictons, calembours et contes, où le savoir se transmet en poésie. Le verbe volait haut partout et dans tous les sens.
Vous êtes une des premières Sénégalaises à écrire en langue wolof à travers votre roman « Aawo bi ». Pourquoi une telle option d’autant plus que beaucoup d’auteurs africains considèrent que leur culture littéraire s’est construite en français ?
La culture littéraire était déjà en moi du fait de l’oralité exquise de mon milieu. Bien entendu, le français a renforcé et structuré cette disposition naturelle. J’ai toujours écrit dans ma langue même avant « Aawo Bi ». Des poèmes, des traductions comme l’hymne national en 1961 par exemple.
Et quelle a été la réaction des auteurs qui écrivent en français ? Autrement dit, votre roman a-t-il été bien reçu du public francophone ?
Des auteurs m’ont devancée sur ce terrain là. Les Cheikh Anta Diop, Cheikh Aliou Ndao, Sakhir Thiam, Arame Fall Diop etc. avaient posé les premiers jalons. Ils écrivaient déjà dans leur langue maternelle : des études, de la poésie, des contes, des proverbes. J’ai trouvé une très forte littérature en langues nationales. Les auteurs, comme le public, ont très bien accueilli « Aawo Bi » comme le premier roman écrit dans nos langues et ça a vite fait des émules.
« Mes émotions s’expriment en wolof et je le confesse, mon français, c'est souvent du wolof traduit. »
Quels sont les auteurs qui vous ont inspirée pour vous construire un environnement littéraire ?
J’ai bu à deux sources, la tradition orale et le français. Ce sont d’abord les meilleurs diseurs de chez nous qui m’ont inspirée : les griots, conteurs etc., puis, à l’école, les grands classiques de la littérature française car nous n’étudiions pas les auteurs africains. Ainsi m’ont marquée Ronsard, Racine, Hugo, Châteaubriand, Lamartine etc. J’étais bien en français, parce que je l’étais d’abord en wolof. Je suis d’une culture littéraire hybride, quelque part, avec la prédominance de ma langue maternelle.
Mais après votre premier roman « Aawo bi », vous êtes retournée au français. Pourquoi le chemin inverse ?
En fait, j’ai toujours écrit simultanément en français et en wolof, selon mon inspiration. Mon premier roman était en français et, comme je désespérais de le voir publier, j’ai essayé un roman en wolof qui est sorti avant l’autre. Ce n’était pas un chemin inverse mais une continuité avec des accidents de parcours.
Pour autant, exprimez-vous mieux vos émotions en français qu’en wolof ?
Je l’ai déjà dit, je suis wolof, je sens, je ressens tout en wolof. Mes émotions s’expriment en wolof et, je le confesse, mon français, c'est souvent du wolof traduit.
Faut- il, alors, passer par l’apprentissage de nos langues pour éveiller la conscience de l’enfant ?
Bien évidemment ! Il est plus conséquent de passer par la langue maternelle de l’enfant pour éveiller sa conscience que de faire autre chose.
Beaucoup de cracks, en maths par exemple, sont retardés, voire recalés, faute d’avoir maîtrisé le français, une langue étrangère, une langue d’emprunt pour la plupart d’entre eux. Tout au long de ma carrière, j’en ai fait l’expérience en classe et chez moi avec mes enfants : je n hésitais pas à recourir au wolof pour faire passer un concept et continuer mon cours en français. Cela m’a souvent permis de gagner du temps et même de faire sauter des classes aux élèves les plus doués. Il est évident que la perte de temps, au niveau élémentaire surtout, est due en grande partie à la méconnaissance de notre langue d’enseignement qu’est le français.
Que vous inspire ce propos de l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop pour qui le français n’est pas son destin ?
Boris est un honnête homme, au sens patriotique du terme. Son propos peut s’appliquer à tous les auteurs de chez nous. Qu’on le veuille ou non, notre destin, c’est d’abord nous-mêmes, c’est notre langue. Dans le tourbillon du village planétaire, il faut retourner à nos valeurs car, comme on dit en wolof « Ku xamatul foo jém da ngay dellu fa nga joge woon ». Nous devons nous arrimer à notre culture avant de nous ouvrir à la civilisation de l’universel qui, nécessairement, sera une civilisation métisse, une symbiose des valeurs de tous les peuples. Aux autres donc de faire l’effort de nous comprendre, de nous étudier comme nous l’avons fait pour leur culture pendant des siècles. Ainsi, nous n’irons pas au rendez- vous du donner et du recevoir les mains vides, pour tout absorber sans rien apporter.
On constate que beaucoup d’auteurs africains écrivent aujourd’hui dans leur langue maternelle. Qu’est- ce qui explique, selon vous, cet engouement ?
C’est plus naturel, plus vrai, plus aisé. Maintenant que nous disposons d’un alphabet, c’est normal que les auteurs s’expriment dans leur langue maternelle.
Revenons à « Aawo Bi » Qu’est-ce que vous vouliez exprimer à travers ce roman ?
« Aawo bi » donne un tableau de la vie conjugale en milieu traditionnel africain, sénégalais en particulier.
J’ai voulu mettre le doigt sur les souffrances de la femme en ménage africain, montrer que, plus que la polygamie, c’est la belle famille elle-même qui entrave la marche du couple. Nous devons prendre conscience que ce sont des femmes qui ruinent la femme au foyer, sans prendre conscience qu’en entretenant une telle conduite dans notre société, nous en pâtirons à notre tour, nos filles aussi.
Dans vos deux romans, vous posez des questions féminines ; en même temps vos héroïnes restent des femmes fortes, mais chevillées à leur culture…
Moi-même, je me veux solidement ancrée à ma culture. Nous avons intérêt à nous enraciner profondément, à nous nourrir de la sève du terroir avant de boire la rosée apportée par tous les vents de ce siècle pollué.
Je voudrais que mes héroïnes soient à l’image de la femme noire, africaine en général, sénégalaise en particulier, qu’elles représentent pleinement la Sénégalaise du 20e siècle pour transmettre à la postérité des modèles de femmes positives, courageuses, respectables qui, sans se donner en spectacle, triomphent de la méchanceté, de la bêtise, de l’adversité insensée. De bons modèles du 20e siècle car moi-même, suis arrivée au 21e siècle par la grâce d’ Allah. Aussi, je ne prétends rien y changer, sinon prodiguer des conseils à qui veut les entendre et m’interroger tristement sur le genre de vie qui attend la jeunesse d’aujourd’hui.
Justement. Aujourd’hui tout ne vous parait-il pas déconstruit avec une société presque en lambeaux ?
En lambeaux, c’est peut-être trop dire parce que : « Fa ndox daan taa, tepp -tepp yaa nga fa ba tey ». Redressons la barre pendant qu’il est temps. Rien n’est encore perdu, mais tout est urgent. Récupérons les aspects positifs de notre milieu pour les conjuguer avec les apports fécondants de l’extérieur comme disait notre poète – président. En ce siècle de vitesse, baisser les bras, imiter les autres aveuglément, c’est se laisser emporter par la tempête.
Vous êtes femme et épouse de marabout, cela ne constitue-il pas un frein à votre épanouissement littéraire ?
Tout au contraire, être épouse de marabout m’a permis l’épanouissement dans tous les domaines car, avec le marabout, on sait à quoi s’en tenir : il s’acquitte de ses devoirs à la limite de ses moyens, et attend « religieusement » ses droits sans trop d’exigence. La plupart de nos grands messieurs dits intellectuels, prennent dans la tradition comme dans la religion ce qui les arrange et font souvent fi de leurs devoirs familiaux. Alors, avec des femmes « impossibles » comme moi, le ménage déménage sans cesse.
Vous considérez- vous pour autant comme une féministe ?
Si c’est réclamer les droits de la Femme sur le plan social, professionnel et religieux, le respect réciproque tout en étant soumise à un mari raisonnable, responsable et respectable, qui se comporte comme le mari religieux cité ci- dessus… alors, je suis féministe. Je n’ai jamais réclamé l’égalité entre homme et femme car, quelque part, je me sens supérieure à l’homme en ce sens que lui, est incapable d’enfanter, or c’est le plus grand rôle qu’un être humain puisse jouer sur terre. Je suis l’alliée de Dieu pour la continuité des espèces. « Na ndey di ndey, baay di baay, gune di doom ».
Que vous inspire alors cette notion de parité si chère aux femmes sénégalaises ?
J’applaudis à la vaillante lutte de mes sœurs pour l’émancipation de la Femme. Mais attention à la parité pour la parité. Mettons et maintenons les filles à l’école, encadrons les femmes adultes pour avoir assez de femmes aptes aux postes de responsabilité. Il se peut même qu’un jour il y ait plus de femmes cadres que d’hommes cadres. Ne prêtons pas le flanc devant l’Histoire, en occupant des postes de responsabilité sans en avoir la compétence requise.
Un contentieux vous opposerait aux Neas (Nouvelles éditions africaines du Sénégal). De quoi s’agit-il ?
Les Neas ? 37 ans de frustrations, une catastrophe qu'il me répugne d’évoquer encore dans la presse, du moins pour le moment…
Entretien réalisé par :Alassane Seck Guèye
Article paru dans « Le Témoin » N° 1164 –Hebdomadaire Sénégalais (MAI 2014)
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