Directeur du magazine panafricain en ligne ContinentPremier qui fêtera le 25 mai prochain ses 20 ans, notre compatriote El Hadji Gorgui Wade Ndoye, initiateur du « Gingembre Littéraire » du Sénégal sur « Le Vivre Ensemble », interrogé par Dakaractu, livre ses sentiments sur le Président Diomaye Faye et la nouvelle équipe du Premier ministre Ousmane Sonko. Il conseille à ces derniers de continuer à cheminer ensemble comme Moïse et Haroun pour éviter le syndrome Dia/Senghor afin de ne pas décevoir les espoirs des Sénégalais et des Africains.
Quelles sont vos impressions par rapport à l'avènement du Président Bassirou Diomaye Faye, en tant que sénégalais résidant à l'étranger et journaliste "Observateur" ?
"Les résultats de cette élection montrent un choix clair du peuple pour une rupture en douceur"
El Gorgui .W.Ndoye : « La dernière élection présidentielle est le signe majeur de la grande maturité politique du peuple du Sénégal éternel. Le processus a été laborieux avec son lot d’incertitudes et de grand danger planant sur notre pays. Le non-respect de notre Constitution nous a valu des morts, une image fissurée avec son lot de traumatismes chez beaucoup de nos concitoyens à l’intérieur comme à l’extérieur. La nation sénégalaise, en allant dignement et paisiblement voter, a remis la Constitution au cœur de la République ! Les résultats de cette élection montrent un choix clair du peuple pour une rupture en douceur. En élisant le candidat de la coalition « Diomaye Président », les Sénégalais ont sanctionné le régime libéral malgré ses réalisations incontestables car il a ignoré ses appels à la modération. Notre peuple est digne, résilient à la limite stoïque mais il trace des lignes rouges : la sacralité de sa Constitution notamment avec le bannissement du troisième mandat, l’exigence de sa cohabitation sociale héritée de nos vaillants ancêtres qui ont construit le Sénégal comme une grande Famille où presque tout le monde est apparenté et l’étranger bien accueilli d’où ce merveilleux vivre-ensemble qui ignore l’ethnicité pour promouvoir la parenté à plaisanterie, la sauvegarde de nos religions, et la fidélité au drapeau national pour éviter toute trahison à la nation.
En choisissant Bassirou Diomaye Faye au détriment d’autres candidats sérieux et capables de diriger le pays, les Sénégalais ont fait le pari sur l’espoir. Ils ont voulu fermer une certaine manière de faire de la politique malgré toute la diabolisation qui a été faite sur le « Pastef ». Heureusement, d’ailleurs, que l’ancien Président, Macky Sall a fait sortir de prison le candidat Faye. Avec des amis, notamment ceux avec qui j’ai lancé « l’Appel de Genève pour un Sénégal démocratique et paisible », et sur la base d’une étude claire des forces en présence et au vu de la division du camp présidentiel, nous avions dit « Si Diomaye ne sortait pas de prison, nous allions avoir un prisonnier qui allait faire une passation de service avec un président ». A noter que, la rupture est consacrée - pas par le Pastef comme formation politique ou sa doctrine, mais par le vote des Sénégalais. Le système combattu n’est pas une machine artificielle, mais des individus, aux méthodes décriées. Le fameux système est défini par certains comme tout ce qui est contraire à la vertu, à la performance, à l’efficience et à la transparence. L’antisystème, est donc la lutte contre l’arrogance, la corruption, la gabegie, l’accaparement des ressources naturelles et foncières, le népotisme etc, pour un réel vivre ensemble, pour la cohésion sociale, l’équité, l’égalité, la prospérité partagée dans un Sénégal de dignité, de paix et de démocratie, où la Constitution reste au cœur de la République ».
Quelle lecture faites-vous de la 1ere adresse à la Nation du PR Diomaye ?
"Il faudra qu’il prenne des décisions courageuses pour l‘Intérêt national'
El Gorgui .W.Ndoye : « Le Président de la République a compris très vite les attentes des Sénégalais si fiers et qui sont de grands travailleurs qui n’aiment pas l’injustice mais exigent d’avoir un leader qui les comprend et qui les hisse vers le haut. Il a déjà indiqué les premières pistes de réformes immédiates – réconciliation des segments sociaux, refondation des clés de distribution/allocation des ressources, discrimination positive en faveur des segments vulnérables et redressement des politiques publiques dans la transparence, l’anti-corruption et la redevabilité… C’est déjà un énorme chantier ! Identifier est nécessaire en matière de priorité, mais pas suffisant pour résoudre. Pour résoudre, il faut un processus de gestion rigoureuse, orientée vers les résultats concrets, inclusifs et surtout bien guidés, le tout dans l’humilité… Ce sera donc avec tous les segments que cela se fera. A lui tout seul, il ne peut pas résoudre les problèmes, mais son leadership sera déterminant et pour cela, il inspire confiance de par son adresse humble et sans complexe.
Il faudra qu’il prenne des décisions courageuses pour l‘Intérêt national.
Les premières décisions seront scrutées à la loupe. C’est le cas de la formation aussi de son premier gouvernement. Le don de soi est plus que nécessaire pour réussir les 100 premiers jours. Et ce sur ce point, je pense que le Premier ministre Ousmane Sonko sait qu’il ne peut pas, qu’il ne doit pas décevoir le Sénégal et l’Afrique ! Aussi, avec Mary Teuw Niane scientifique de renommée mondiale comme directeur de Cabinet, le travail sera certainement efficace et propre. Ceux qui viendront négocier avec le Sénégal devront montrer pattes blanches. J’encourage la nouvelle équipe et lui suggère d’avoir toujours dans chaque pas qu’elle posera, l’amour de notre grand peuple si bienveillant ».
Il y a des secteurs qui n'ont pas été abordés lors de sa première sortie (Culture, Sport, la santé), est-ce à dire que c'est moins important ? Qu’attendez-vous de l’actuelle ministre de la Culture ?
"Les intellectuels devraient être plus écoutés et donnés en exemples aux jeunes"
El Gorgui .W.Ndoye : « Je ne crois pas que Monsieur Diomaye Faye minimise ces trois piliers. Ce sont là des secteurs plus qu’essentiels notamment dans un pays composé à majorité de jeunes. La culture, le sport et la santé sont en réalité la colonne vertébrale qui tient tout le corps du développement. Au vu d’ailleurs des priorités annoncées par le président Faye, il devra s’appuyer sur ces secteurs-là. C’est la culture qui réconcilie les peuples. Senghor qui était un grand visionnaire avait raison de dire que « La culture est au début et à la fin du développement ». Tout récemment lors de la restitution des travaux du « Gingembre Littéraire » du Sénégal sur « Le vivre-ensemble », nous démontrions l’importance de recourir aux valeurs de nos cultures si profondes et riches pour la préservation et une bonne distribution des ressources foncières et minières. André Malraux disait avec justesse que « la culture est nécessairement fraternelle ».
Le sport pour notre pays est devenu une sorte de bel opium avec toutes ces médailles et autres coupes que les jeunes ont emmenées au pays participant à rehausser son image. C’est beau aussi de les voir vers la Place du Souvenir s’entraîner. C’est le Sénégal en mouvement, qui vit ! La santé doit être une priorité absolue car voir des femmes qui meurent en couches faute de césarienne ou malnutries, des hôpitaux délabrés, un plateau technique peu relevé ici et là malgré la grande renommée de notre Faculté de Médecine à Dakar posent problème. De grandes villes comme Rufisque ne disposent même pas d’hôpitaux de grande qualité, d’autres n’ont pas de services des sapeurs-pompiers, ailleurs les services d’urgence sont inexistants pour une population de près de 18 millions ! Des efforts ont été faits par les différents régimes, il faut continuer à les consolider et à bâtir tout en faisant des réformes nécessaires.
Concernant, la ministre de la Culture, elle ne vient pas dans un champ vierge. Certains de ses prédécesseurs ont fait un travail formidable sur lequel, elle pourra s’appuyer et apporter sa touche personnelle. Le professeur Aliou Sow, par exemple, a développé l’idée de la diplomatie culturelle renforçant ainsi nos relations avec les pays voisins, il a essayé d’être à l’écoute des besoins des artistes en les accompagnant etc. Il y a cependant et c’est malheureusement d’actualité une nécessité de mieux revaloriser notre patrimoine culturel tant physique qu’immatériel par la sauvegarde de nos archives qui permet de préserver la mémoire multiple de la nation, de créer de grandes bibliothèques dans chaque département, de promouvoir la lecture etc. Les intellectuels devraient être plus écoutés et donnés en exemples aux jeunes. La culture ce n’est pas que la musique, ni le sport le football et la lutte ! Il faudrait soutenir les projets des jeunes créateurs, écrivains, initiateurs de festivals, faire connaître les cultures profondes des autres terroirs de la République indivisible du Sénégal. Chacun a un rôle à jouer dans ce sens. Les mécènes et les grands artistes devraient aussi pouvoir soutenir le ministère qui subventionne beaucoup d’activités. Il ne s’agit pas uniquement d’attendre du gouvernement mais que peut-on chacune et chacun aussi apporter, à son humble niveau ? En tout cas, je souhaiterais que le « Gingembre Littéraire » dont je suis l’initiateur et que je finance à hauteur de 95% avec quelques amis soit reconnu d’utilité publique et inscrit dans l’Agenda culturel du Sénégal. Il pourra mieux aider dans l’ambition affichée du Premier ministre de promouvoir la citoyenneté et de donner des référents valeureux aux plus jeunes. Aussi, avec mon ami Dr Adama Aly Pamm de l’UNESCO Paris, nous pouvons aider sur certains projets comme celui de la réhabilitation de l’école William Ponty à Sébikotane etc. Pour que la jeunesse puisse bien jouer pleinement son rôle dans le développement et s’approprier des valeurs de la citoyenneté que veut promouvoir avec justesse le Gouvernement, elle doit être cultivée dans le sens large du terme ».
Considérez-vous la nomination d’Ousmane Sonko au poste de Premier ministre, comme une surprise ou une suite logique ?
"Sonko ne peut pas se débiner, il est l’incarnation du Pastef"
El Gorgui .W.Ndoye : « Monsieur Sonko a fait preuve d’une grande résilience, d’une belle tolérance face à l’adversité mais aussi et surtout d’une générosité humaine exemplaire digne d’un patriote. J’ai eu des frissons en écoutant l’actuel Président alors dans l’opposition lors d’un meeting du Pastef dire « Cet homme est notre candidat. Nous devons protéger Ousmane Sonko et l’élire en 2024 ». Il était presque en transe, habité certainement par la fraternelle amitié et la croyance à leur « Projet ». Sonko ce jour-là, avait les yeux fixés au ciel, l’air méditatif. Ni lui, ni son compagnon ne savaient qu'ils allaient en prison, en sortiraient, allaient se réconcilier avec le Président Macky Sall, feraient 10 jours de campagne électorale pour finir au Palais. Ils ne savaient surtout pas que c’est Bassirou Diomaye Diakhar Faye que le Seigneur Le Seul Éternel avait désigné ! Cette séquence-là est pleine d’enseignements !
Sonko ne peut pas se débiner, il est l’incarnation du Pastef. Il est le porteur du « Projet » depuis le début. Ne pas accepter de jouer un rôle central dans son application serait fuir devant ses responsabilités historiques et trahir le peuple « pastéfien » et ses sympathisants. Cette votation est un vrai référendum et l’histoire personnelle d’Ousmane Sonko y est pour beaucoup. Les Sénégalais n’aiment pas l’injustice, ils n’aiment pas être méprisés pourtant ils ne sont ni haineux ni violents ! Mon grand frère Macky Sall était pourtant le mieux placé pour le savoir lui qui a été aussi plébiscité par le peuple à cause des nombreuses injustices qu’il avait subies. Sonko Premier ministre ne fait que répondre, donc, à l’appel du devoir après avoir été aidé par la majorité des Sénégalais à retrouver ses droits. Ce n’est donc pas une surprise et je ne suis pas d’accord avec ceux qui veulent qu’il disparaisse de l’espace public pour ne pas faire ombre à notre Président. Je souhaiterais cependant lui dire autant qu’au chef de l’État soyez aujourd’hui plus que jamais unis comme des siamois inséparables ou de Moïse et de Haroun, pour nous éviter l’épisode douloureuse et de gâchis du couple Dia/Senghor qui aurait pu faire décoller depuis très longtemps le Sénégal s’il avait résisté face aux influences de la politique politicienne négative autant à l’intérieur du pays comme en France ».
Les sénégalais attendaient, depuis des heures, voire des jours la publication de la liste du nouveau Gouvernement. Était-ce normal cette longue attente pour former un gouvernement ?
"L’autre dosage qui n’a pas bien pris, c’est de faire entrer un grand nombre de femmes..."
El Gorgui .W.Ndoye : « Les premières frustrations vont naître entre les militants de la première heure, y compris ceux de la diaspora, et tous les alliés qui ont rejoint la coalition. De même Diomaye et Sonko savent que leurs premiers actes seront scrutés et surveillés comme de l’huile sur du feu. Aussi malgré les assurances de Sonko que leur Gouvernement ne serait pas une sorte de partage du gâteau, il y a une nécessité d’opérer un dosage tout en ayant une équipe compétente et efficace. La promesse de ne pas dépasser la trentaine de ministres fixait déjà une limite. Avec qui donc construire le Sénégal nouveau entre exigences de rigueur, d’un train de vie d’un État revu grandement à la baisse, la récompense des nombreux alliés, un peuple très politisé et plus exigeant. Tout cela ne peut se faire en quelques heures. Nous avons eu quand même entre la nomination du PM et les membres du premier gouvernement que 3 jours ! Ce qui est parfaitement dans le bon timing d’autant plus que la grande administration sénégalaise n’a jamais cessé de fonctionner. C’est cela aussi une République et un État debout. Reste maintenant que cette équipe de 25 ministres et de 5 secrétaires d’État d’aller vite et bien dans les 100 premiers jours pour une mise en œuvre des mesures phares du « Projet » tant attendu par les Sénégalais comme « Mandat » salvateur. Les critères qui ont été mis en avant pour la formation de la nouvelle équipe ont été, il me semble, la compétence et l‘intégrité pour servir l‘intérêt national, dans la générosité et l’humilité. Il faudrait, en tout état de cause, éviter de tomber dans le piège des « politiciens professionnels » qui veulent faire de la politique leur chasse-gardée en mettant des sortes de barrières d’entrée. Ils veulent qu’on les laisse entre eux. Et puis il y a politique et politique publique. L’expérience en politique, « l’art de conquérir le pouvoir et de s’y maintenir », n’est nullement indispensable dans un contexte de rupture.
En revanche, en matière de politique entendue dans le sens d’élaborer des stratégies et des tactiques pour convaincre les électeurs tout en échappant aux pièges des tenants du pouvoir, la mouvance de « Diomaye Mooy Sonko » a montré un talent insoupçonné. Il s’agira donc de mettre cette haute ingénierie politique en branle pour la recherche de solutions idoines aux problèmes des sénégalais. Malgré les assurances, qu’il ne s’agira pas de partage de gâteaux entre le Pastef et ses alliés, il apparaissait très difficile de mettre en place un attelage gouvernemental sans faire appel à des personnalités qui ont rallié récemment ou des technocrates neutres politiquement. Ce qui ne manquera pas de faire grincer des dents ! L’autre dosage qui n’a pas bien pris, c’est de faire entrer un grand nombre de femmes dans le gouvernement de rupture. En tout cas à la rupture du jeûne et l’annonce des postes ministériels, certains féministes ont dit « Où sont les femmes ? ». Il est à espérer qu’elles seront plus présentes dans les grands postes de direction. Mon ami philosophe Khadim Ndiaye basé au Canada qui a une belle subtilité pédagogique répond sur facebook à une sympathisante de Pastef « Je suis votre avocat : Homme Mooy Femme !». D’ailleurs, à ce propos, vous remarquerez qu’il y a actuellement un ministère de la Famille et des Solidarités. Les mots genre, femmes, enfants etc, n’y sont plus. Ces derniers ne sont-ils pas membres de la Famille ? »
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