« Entretenons la flamme de l’espoir pour nos brûlés » : Une réalité grave au Sénégal


« Des histoires graves »
 
Etudiante en droit, Basia, 19 ans, se remémore la scène de sa brûlure. Dix ans après, le souvenir est vif et sa précision des faits est étonnante. Alors que son père avait mis de l’huile sur le feu, il a dû s’absenter un instant. Attirée par la fumée, Bacha, à 9 ans fait face aux flammes. Elle cherche à enlever la casserole de la cuisinière tout en pensant au fait qu’elle ne peut la déposer sur le côté. Les flammes s’agrandissent, la casserole bascule et l’huile bouillante se déverse sur ses mains et ses bras. La fillette est brûlée au 2ième degré. Basia raconte qu’elle était comme dans un faux rêve, entre réalité et flou. Elle se rappelle de la violence du stress avec comme une sensation d’extrêmes entre le chaud et le froid. En état de choc, elle n’entend plus sa voix mais elle sait qu’elle crie. Elle gardera longtemps un sentiment de faute en croyant qu’elle avait été punie.
 
Elle est évacuée en Afrique du sud. Elle y subit une première greffe avec de la peau synthétique de cochon. C’est un échec, la peau de Bacha rejette la greffe. Bacha subira deux interventions chirurgicales supplémentaires avec cette fois une greffe de la peau de sa cuisse. Son hospitalisation durera un mois et demi mais la cicatrisation prendra près de deux ans. Elle s’en est bien sortie.
 
A l’époque des grandes coupures en 2009, Agnès se réveille à 2h du matin lorsque le ronronnement du groupe électrogène s’éteint. Elle se lève à moitié endormie pour recharger d’essence la machine. La lampe à pétrole est au pied du groupe. Les vapeurs d’essence du bidon se dirigent vers la lampe à pétrole enflammant brutalement le bidon. Agnès lâche la bouteille dont le contenu se répand en feu sur ses bras et ses jambes. Elle a pris feu. Elle tente d’éteindre en vain les flammes en tapant avec ses mains sur ses jambes et en criant « au secours, je brûle ». La peau des mains s’en va. Un sentiment d’irréalité et d’immense peur la traverse. Elle tombe enfin par terre, se roule et s’éteint. Agnès se relève péniblement et crie aux enfants de sortir : les fauteuils de la cour et le linge sur la corde sont en flammes. Après un passage rapide chez la voisine pendant lequel son petit garçon de 10 ans l’asperge d’eau sans qu’elle ne cesse de dire « continue, continue, ne t’arrête pas », un voisin la conduit dans la clinique à proximité. Déjà, elle ne peut plus marcher. Des lambeaux de peau noire parcourent ses jambes mettant à nu, une autre peau étrangement très blanche. « Nous ne pouvons pas vous soigner, nous ne sommes pas équipés » lui dit-on en la plaçant dans une ambulance. Dans l’ambulance, il n’y a rien, juste un brancard sur lequel elle repose en gémissant alors que son petit garçon l’évente avec un carton ramassé par terre, chaque cahot est douloureux. Dès qu’il s’arrête épuiser, elle crie.  La conscience de la peau qui cuit est forte et la peur aussi. Dans une 2ième clinique privée, le médecin de garde écoute par téléphone les descriptions de l’infirmier de garde et refuse aussi de l’accueillir, sans même l’avoir vue. A 3h du matin, aux urgences de l’hôpital, on ne la fait pas descendre et on lui administre un calmant. « Madame, calmez-vous ! » lui dit-on quand elle crie qu’elle a mal. « On ne peut rien pour vous, nous ne soignons pas les brûlés, allez ailleurs ! ». Une 4ième clinique privée ne l’acceptera pas non plus alors que la douleur cuit toujours sa peau. C’est grâce à Mariame, une amie appelée au milieu de la nuit, pendant ce trajet interminable de douleurs et de cris qu’elle sera finalement reçue à la clinique visitée auparavant. Il aura fallu que Mariame, indignée, menace de porter plainte pour non-assistance à personne en danger pour qu’elle soit enfin prise en charge.
 
La sensation de cuisson de la peau se poursuit pendant près d’un mois et surtout après les réveils suite à l’anesthésie générale quand les pansements doivent être refaits. A chaque fois, elle recuit, comme au premier jour. Au bout d’un mois Agnès, sort de la clinique sur des béquilles. Après avoir réappris à marcher, elle reprendra le travail 6 mois après en boitant ou en posant sa jambe sur une chaise. La peau des zones brulées est restée, inflammatoire, rouge, pendant 6 ans. Depuis 10 ans, chaque jour, le karité assouplit sa peau qui ne cesse de se rétracter. Le souvenir lui amène toujours des larmes aux yeux. Elle s’en est bien sortie.
 
Qui n’a pas lu cette lettre émouvante d’un père Mamadou Diop à sa fille qui raconte le long calvaire de la petite Seynabou, 4ans ? Admise en salle commune auprès d’autres malades, c’est 9 jours après son admission que le médecin découvre l’étendue réelle de ses lésions.  Le diagnostic de Seynabou avait été sous-estimé et ses brûlures étaient bien plus graves qu’annoncées. Pendant 1 mois, le père tapera à toutes les portes des autorités pour obtenir son évacuation et les autorisations diverses.  Pendant ce temps, l’infection court dans le corps de la petite Seynabou.  Peut-être que les précautions d’asepsie n’étaient pas prises, peut-être que les pansements étaient mal faits. Seynabou est décédée à la veille de son départ pour la France. Elle ne s’en est pas sortie.

Qui n’a pas entendu l’histoire de ces enfants qui tombent sur les fourneaux malgaches ?  Qui n’a pas été bouleversé par ces maris brûlés ? Qui n’a pas une histoire de brûlure d’un proche à raconter, toujours plus atroce que la précédente ? Qui a oublié l’incendie meurtrier du Dakaa de Médina Gounass (2017) ? Que sont devenues ces victimes ?
 
Une situation inacceptable
 
 
Ces drames nous rappellent douloureusement que les décès ont souvent lieu au cours du transport. Les prises en charge se font dans des centres de santé de fortune dans lesquels les conditions d’asepsie sévères pour un brûlé ne sont jamais remplies. C’est de la proximité des autres malades dans les salles communes, que les brûlés meurent rapidement à cause des infections. Les soins doivent normalement se faire sous anesthésie générale dans un bloc opératoire. Le soin pour les brûlés nécessite des équipements spécialisés et des conditions d’hygiène très précises.  Nous ne possédons pas cela au Sénégal. Seulement 3 lits sont dédiés aux brulés à l’hôpital principal. Trois lits pour 14 millions d’habitants ! Ceux-ci ne sont pas toujours disponibles. Malades refusés, négligences médicales, hospitalisations dans des conditions désastreuses : jusqu’à quand ? Combien de décès suite aux brûlures ? 2000 par an au Sénégal !
 
De l’espoir, enfin.
 
 
Comment éviter cette hécatombe ? M. Diop le père de Seynabou écrivait : « Nous espérons que ce système changera pour que plus jamais aucun enfant n’ait à souffrir et que le gouvernement va enfin construire une infrastructure digne de ce nom pour les enfants brûlés ». Les cas d’Agnès et de Seynabou illustrent la gravité du problème au Sénégal : il n’y a pas de structure hospitalière pour accueillir des brûlés.  Et pourtant la solution est accessible et peut-être bientôt disponible.
 
 
 
En effet un projet de Centre de traitement des Brûlés (CTB) a été élaboré en partenariat avec l’Hôpital de Fann et le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale. Il est conduit par l’Association des Lion’s Club du Sénégal et est inscrit au PSE.  Il sera construit sur un terrain de 5400m2 à l’Hôpital de Fann. Toutes les études ont été préfinancées par des partenaires afin de permettre l’inscription d’une partie du financement au budget de l’Etat du Sénégal. L’autre partie sera apportée par la Fondation des Lions clubs et leurs partenaires. Plusieurs bailleurs se sont déjà manifestés pour soutenir l’Etat, une fois le projet inscrit à son budget.
Le Centre de Traitement des Brûlés de Dakar est un réel espoir pour une vraie prise en charge de la brûlure. Le CTB sera un pôle de référence pour le Sénégal et la sous-région.
Stéphanie RICOU
Professeure de SVT
Cellule de communication du CTB
 
 
Mardi 23 Juillet 2019
Dakar actu