Telle une mouche dans une toile d’araignée, l’enseignement supérieur s’agite, aujourd’hui, dans un contexte difficile marqué par des crises chroniques et des réformes d’envergure qui placent l’étudiant dans une situation d’inquiétude et d’incertitude quant à son avenir.
Les reformes sont-elles donc à l’origine des crises ? Si tout porte à le croire, il faut cependant signaler que la crise existe depuis belle lurette. Et les reformes visent, d’ailleurs, entre autres objectifs à mettre fin à cette crise itérative qui ébranlent l’enseignement supérieur sénégalais, voire tout son système éducatif. Hélas, elles butent sur des résistances et déclenchent de nouvelles crises profondes et généralisées, mettant essentiellement en confrontation les étudiants et l’État.
Il importe de rappeler que le processus de la réforme de l’enseignement supérieur a été enclenché depuis quelques années déjà mais c’est avec le régime de Macky Sall et sous la houlette du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Pr. Mary Teuw Niane que celui-ci prend forme. En ce sens, deux évènements majeurs ont marqué l’année 2013. Il s’agit d’une part, de l’organisation de la Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES) et d’autre part, de la tenue d’un Conseil présidentiel sur l’enseignement supérieur.
Ces évènements sont à considérer comme le germe de la crise actuelle qui secoue l’enseignement supérieur, transformant le temple du savoir en un temple de la violence. Aux prises, les étudiants et les forces de l’ordre ayant élu domicile dans l’espace universitaire (particulièrement à l’UCAD). Ils se rangent dans un contexte global de réformes dans lequel s’inscrit le Sénégal, durant ces dernières années, imposées par les exigences d’une gouvernance saine, transparente et efficace.
Le coup de sifflet est certes donné depuis 2011 avec 3 actes majeurs : l’adoption en janvier 2011 du « Document de stratégie pour l’Enseignement supérieur au Sénégal : 2011-2016 », le vote de la loi n° 2011-05 du 30 mars 2011, relative à l’organisation du système Licence, Master, Doctorat (LMD) et la signature du Projet de gouvernance et de financement de l’enseignement axé sur les résultats (PGF-Sup) entre le gouvernement du Sénégal et la banque mondiale en mai 2011. C’est dans cette mouvance que s’inscrit l’organisation une Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNAES) qui s’est déroulée du 6 au 9 avril 2013, aboutissant à l’élaboration de soixante-dix-huit recommandations et à la convocation le 14 aout 2013, d’un conseil présidentiel sur l’enseignement supérieur et la recherche à l’issu duquel onze directives présidentielles ont été adoptés. Il en découle l’élaboration d’un Plan de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche (PDESR) couvrant la période 2013-2017. Cette réforme comporte plusieurs axes majeurs parmi lesquels figure l’amélioration des conditions d’étude et de vie de l’étudiant et la promotion de sa réussite. Mais, l’étudiant, voit-il ses conditions d’étude et de vie s’améliorer pour une meilleure réussite ?
En tout cas, tel est loin d’être le point de vue des étudiants qui craignent pour leur avenir, et décidés à défendre leurs droits quitte à faire recours à la violence pour se faire entendre par l’autorité. Il est clair qu’ils se sentent menacés et inquiets face une situation marquée par l’augmentation des frais d’inscription, la suppression de la généralisation des bourses, le retard dans leur paiement, la privatisation de l’enseignement supérieur public etc. Tout cela exacerbé par la présence en permanence des forces de l’ordre dans le campus universitaire. La reforme apparaît alors comme une remise en cause des intérêts des étudiants, une détérioration de leurs condition de vie et d’étude, une menace pour leur avenir.
Mais, en évidence, les reformes ne sont pas, en soit, mauvaises. Elles sont nécessaires. C’est la manière de les conduire ou de les mettre en œuvre qui pose problème. Elles sont nécessaires dans la mesure où elles cherchent à adapter l’enseignement supérieur sénégalais à un contexte marqué par un accroissement considérable des effectifs ; à assurer sa conformité au standard des Universités internationales pour une meilleure viabilité, en renforçant la qualité de l’enseignement et l’efficacité du système ; à répondre aux exigences du système LMD ; à mettre fin aux crises multiformes qui caractérisent l’enseignement supérieur nourrissant des revendications interminables ; à élargir la carte universitaire et à assainir le système d’allocation des bourses…
Une telle ambition est salutaire et mérite d’être soutenue, car notre pays a besoin d’un système efficace, rentable, avec une gestion saine et transparente qui garantit un enseignement de qualité adapté aux nouvelles réalités du monde où la réussite pédagogique et professionnelle de l’étudiant doit être au centre des actions. L’avenir du pays y dépend car il a besoin d’une jeunesse suffisamment formée et fortement armée à faire face aux défis multiples qui interpellent le continent. Nous sommes dans un monde des sciences où le savoir reste la seule clé du succès qui ouvre la porte de l’avenir. Le savoir purgé de toute insouciance, de toute indolence ; le savoir utile à tout temps. Face à un avenir qui inquiète dans un contexte de changement climatique, de rareté des ressources, d’augmentation rapide de la population, de conflit tous azimuts, d’effondrement économique, il faut investir pour l’avenir, c’est-à-dire investir en la jeunesse.
Mais, malheureusement, les reformes se révèlent sources de crises profondes. Conçus pour résoudre les problèmes de l’enseignement supérieur, elles l’engouffrent dans un précipice de crise aiguë et de violence interminable. Pourquoi donc ? Sans doute, c’est par qu’elles sont souvent imposées et mal adaptées, et ne s’inscrivent pas dans un processus nécessaire de large réflexion, de concertation sérieuse, de préparation, d’appropriation, de prise en compte des réalités…
Elles sont précipitées, parce qu’il s’agit peut-être « d’accélérer la cadence ». Elles souffrent d’une absence criarde de mesures sérieuses d’accompagnement, subordonnées à des conjonctures et des calculs politiques. C’est pourquoi elles sont à l’origine des récentes crises qui secouent l’enseignement supérieur. Celles-ci portent sur des revendications relatives à l’augmentation des frais d’inscription ; à l’hébergement, la restauration et les conditions de vie dans le campus social ; au quota des bourses des nouveaux bacheliers ; au changement de taux ; au respect des échéances de paiement des bourses; à la présence des forces de l’ordre dans le campus social…
Aussi, ces crises sont-elles mal gérées. Les méthodes de gestion sont toujours les mêmes : la répression et l’intimidation, des négociations tardives, des tentatives de corruption, de stratégie de division des forces etc. En effet, la répression et l’intimidation se manifestent par l’intervention des forces de l’ordre dans les campus universitaires et la confrontation directe avec les étudiants. Le bilan des interventions est sidérant: de nombreux blessés; des portes de chambres d’étudiants défoncées, la destruction et le vol de leurs matériels, des tentatives de viol, et des arrestations… Une situation aggravée par des morts d’étudiants. Le cas Bassirou Faye demeure un exemple poignant d’une liste de perte en vie humaine dans l’espace universitaire résultant des manifestations. S’ensuivent des négociations tardives qui commencent dans un climat de confrontation et de tension. Et aux points de la plateforme revendicative, s’ajoutent les effets de la répression posés comme préalables dans les négociations : la prise en charge des blessés, l’exigence de la lumière et de la justice sur le cas de décès, la libération des étudiants arrêtés etc.
On en arrive, finalement, à un dénouement tardif. C’est comme si les autorités adoptent volontairement une démarche « de laisser pourrir avant venir voir ce qui peut être récupéré ». Pire encore, les solutions trouvées sont souvent conjoncturelles. Les autorités s’illustrent par leur manque de vision. L’absence de mesures de prévention de crise en est une preuve évidente. Une telle situation se retrouve aggravée par le non respect des engagements pris. Et la plateforme se reconstitue souvent avec les mêmes points de revendication. Et le cycle reprend. Quand s’arrêtera-t-il ? Bon Dieu ! En tout cas, il est temps.
Abdoulaye Guissé,
Poète, Doctorant en Droit public/
Université Gaston Berger de Saint-Louis
Les reformes sont-elles donc à l’origine des crises ? Si tout porte à le croire, il faut cependant signaler que la crise existe depuis belle lurette. Et les reformes visent, d’ailleurs, entre autres objectifs à mettre fin à cette crise itérative qui ébranlent l’enseignement supérieur sénégalais, voire tout son système éducatif. Hélas, elles butent sur des résistances et déclenchent de nouvelles crises profondes et généralisées, mettant essentiellement en confrontation les étudiants et l’État.
Il importe de rappeler que le processus de la réforme de l’enseignement supérieur a été enclenché depuis quelques années déjà mais c’est avec le régime de Macky Sall et sous la houlette du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Pr. Mary Teuw Niane que celui-ci prend forme. En ce sens, deux évènements majeurs ont marqué l’année 2013. Il s’agit d’une part, de l’organisation de la Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES) et d’autre part, de la tenue d’un Conseil présidentiel sur l’enseignement supérieur.
Ces évènements sont à considérer comme le germe de la crise actuelle qui secoue l’enseignement supérieur, transformant le temple du savoir en un temple de la violence. Aux prises, les étudiants et les forces de l’ordre ayant élu domicile dans l’espace universitaire (particulièrement à l’UCAD). Ils se rangent dans un contexte global de réformes dans lequel s’inscrit le Sénégal, durant ces dernières années, imposées par les exigences d’une gouvernance saine, transparente et efficace.
Le coup de sifflet est certes donné depuis 2011 avec 3 actes majeurs : l’adoption en janvier 2011 du « Document de stratégie pour l’Enseignement supérieur au Sénégal : 2011-2016 », le vote de la loi n° 2011-05 du 30 mars 2011, relative à l’organisation du système Licence, Master, Doctorat (LMD) et la signature du Projet de gouvernance et de financement de l’enseignement axé sur les résultats (PGF-Sup) entre le gouvernement du Sénégal et la banque mondiale en mai 2011. C’est dans cette mouvance que s’inscrit l’organisation une Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (CNAES) qui s’est déroulée du 6 au 9 avril 2013, aboutissant à l’élaboration de soixante-dix-huit recommandations et à la convocation le 14 aout 2013, d’un conseil présidentiel sur l’enseignement supérieur et la recherche à l’issu duquel onze directives présidentielles ont été adoptés. Il en découle l’élaboration d’un Plan de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche (PDESR) couvrant la période 2013-2017. Cette réforme comporte plusieurs axes majeurs parmi lesquels figure l’amélioration des conditions d’étude et de vie de l’étudiant et la promotion de sa réussite. Mais, l’étudiant, voit-il ses conditions d’étude et de vie s’améliorer pour une meilleure réussite ?
En tout cas, tel est loin d’être le point de vue des étudiants qui craignent pour leur avenir, et décidés à défendre leurs droits quitte à faire recours à la violence pour se faire entendre par l’autorité. Il est clair qu’ils se sentent menacés et inquiets face une situation marquée par l’augmentation des frais d’inscription, la suppression de la généralisation des bourses, le retard dans leur paiement, la privatisation de l’enseignement supérieur public etc. Tout cela exacerbé par la présence en permanence des forces de l’ordre dans le campus universitaire. La reforme apparaît alors comme une remise en cause des intérêts des étudiants, une détérioration de leurs condition de vie et d’étude, une menace pour leur avenir.
Mais, en évidence, les reformes ne sont pas, en soit, mauvaises. Elles sont nécessaires. C’est la manière de les conduire ou de les mettre en œuvre qui pose problème. Elles sont nécessaires dans la mesure où elles cherchent à adapter l’enseignement supérieur sénégalais à un contexte marqué par un accroissement considérable des effectifs ; à assurer sa conformité au standard des Universités internationales pour une meilleure viabilité, en renforçant la qualité de l’enseignement et l’efficacité du système ; à répondre aux exigences du système LMD ; à mettre fin aux crises multiformes qui caractérisent l’enseignement supérieur nourrissant des revendications interminables ; à élargir la carte universitaire et à assainir le système d’allocation des bourses…
Une telle ambition est salutaire et mérite d’être soutenue, car notre pays a besoin d’un système efficace, rentable, avec une gestion saine et transparente qui garantit un enseignement de qualité adapté aux nouvelles réalités du monde où la réussite pédagogique et professionnelle de l’étudiant doit être au centre des actions. L’avenir du pays y dépend car il a besoin d’une jeunesse suffisamment formée et fortement armée à faire face aux défis multiples qui interpellent le continent. Nous sommes dans un monde des sciences où le savoir reste la seule clé du succès qui ouvre la porte de l’avenir. Le savoir purgé de toute insouciance, de toute indolence ; le savoir utile à tout temps. Face à un avenir qui inquiète dans un contexte de changement climatique, de rareté des ressources, d’augmentation rapide de la population, de conflit tous azimuts, d’effondrement économique, il faut investir pour l’avenir, c’est-à-dire investir en la jeunesse.
Mais, malheureusement, les reformes se révèlent sources de crises profondes. Conçus pour résoudre les problèmes de l’enseignement supérieur, elles l’engouffrent dans un précipice de crise aiguë et de violence interminable. Pourquoi donc ? Sans doute, c’est par qu’elles sont souvent imposées et mal adaptées, et ne s’inscrivent pas dans un processus nécessaire de large réflexion, de concertation sérieuse, de préparation, d’appropriation, de prise en compte des réalités…
Elles sont précipitées, parce qu’il s’agit peut-être « d’accélérer la cadence ». Elles souffrent d’une absence criarde de mesures sérieuses d’accompagnement, subordonnées à des conjonctures et des calculs politiques. C’est pourquoi elles sont à l’origine des récentes crises qui secouent l’enseignement supérieur. Celles-ci portent sur des revendications relatives à l’augmentation des frais d’inscription ; à l’hébergement, la restauration et les conditions de vie dans le campus social ; au quota des bourses des nouveaux bacheliers ; au changement de taux ; au respect des échéances de paiement des bourses; à la présence des forces de l’ordre dans le campus social…
Aussi, ces crises sont-elles mal gérées. Les méthodes de gestion sont toujours les mêmes : la répression et l’intimidation, des négociations tardives, des tentatives de corruption, de stratégie de division des forces etc. En effet, la répression et l’intimidation se manifestent par l’intervention des forces de l’ordre dans les campus universitaires et la confrontation directe avec les étudiants. Le bilan des interventions est sidérant: de nombreux blessés; des portes de chambres d’étudiants défoncées, la destruction et le vol de leurs matériels, des tentatives de viol, et des arrestations… Une situation aggravée par des morts d’étudiants. Le cas Bassirou Faye demeure un exemple poignant d’une liste de perte en vie humaine dans l’espace universitaire résultant des manifestations. S’ensuivent des négociations tardives qui commencent dans un climat de confrontation et de tension. Et aux points de la plateforme revendicative, s’ajoutent les effets de la répression posés comme préalables dans les négociations : la prise en charge des blessés, l’exigence de la lumière et de la justice sur le cas de décès, la libération des étudiants arrêtés etc.
On en arrive, finalement, à un dénouement tardif. C’est comme si les autorités adoptent volontairement une démarche « de laisser pourrir avant venir voir ce qui peut être récupéré ». Pire encore, les solutions trouvées sont souvent conjoncturelles. Les autorités s’illustrent par leur manque de vision. L’absence de mesures de prévention de crise en est une preuve évidente. Une telle situation se retrouve aggravée par le non respect des engagements pris. Et la plateforme se reconstitue souvent avec les mêmes points de revendication. Et le cycle reprend. Quand s’arrêtera-t-il ? Bon Dieu ! En tout cas, il est temps.
Abdoulaye Guissé,
Poète, Doctorant en Droit public/
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