À quelque chose malheur est bon ! La crise sanitaire de Coronavirus est certes un événement inattendu et malheureux, mais il faut reconnaître qu’elle recèle du positif. De quoi rappeler ce proverbe qui n'a jamais été autant d'actualité.
La pandémie de Covid-19 a frappé l’Afrique de plein de fouet, provoquant ainsi une crise sanitaire d’une ampleur inédite. Dans un continent où la pauvreté et le manque de moyens constituent de véritables fléaux, il n’y a pas de pan de la société qui n’ait été impacté : de l’économie à la culture en passant par l’éducation. En dépit de cela, on note la variété des réponses apportées dans certains pays, la réaction ne s’est pas fait attendre et certains secteurs se sont vite redressés grâce à la kyrielle de solutions qu’offre la technologie.
Le Sénégal fait partie des pays au sein desquels, des établissements qui, via l’enseignement à distance, ont assuré la continuité des enseignements et consacré le télétravail comme une sérieuse option de continuité d’activité pour plusieurs entreprises. L’agilité a vite été de mise.
Cependant, faut-il vraiment s’enorgueillir de solutions qui existaient déjà ? Des solutions dont l’utilisation, faut-il le rappeler, a été souvent retardée par un public réticent au changement. Il s’agit notamment d’enseignants s’agrippant aux méthodes traditionnelles de formation et du personnel administratif appréhendant le changement. Le recours à ces dispositifs, de façon permanente, peut-il se poursuivre au-delà même de la période actuelle marquée par la crise du coronavirus ?
De la réalité de l’enseignement à distance
Face à la pandémie, beaucoup d’établissements ont su basculer rapidement dans l’enseignement à distance et assurer la continuité de leurs activités grâce à des solutions digitales. Pour d’autres, la transition fut beaucoup plus pénible, malgré l'existence desdites solutions il y a belle lurette. En effet, l’enseignement à distance n’est pas une nouveauté en Afrique, notamment dans un pays comme le Sénégal.
Pour l’histoire, les premières balises de l’enseignement à distance ont été posées en Afrique dans les années 1960 avec la radio-télévision scolaire. Plus tard en 1997, la création de l’UVA (l’Université Virtuelle Africaine), un projet soutenu par la Banque Mondiale, avait sonné comme une révolution dans le système d’enseignement en Afrique, quoiqu'il n’y ait pas eu d’effet immédiat. Pour le surplus, la création de l’Université Virtuelle du Sénégal en 2013, devait lancer la machine et permettre une généralisation de la pratique. Toutefois, la montée en puissance prévue de cette dernière devait coïncider avec la crise de Covid-19.
Dès l’annonce de la décision de fermer les écoles, les pensées se sont tournées vers les étudiants qui, naturellement feraient les frais d’une année universitaire perturbée, voire écourtée.
C'est la raison pour laquelle, les rassemblements dans les cours d’école et les cours en présentiel ont été vite remplacés par les classes virtuelles grâce aux plateformes de cours à distance que les établissements les plus préparés avaient déjà dans leur dispositif et qu’ils ont sorties, tels des prestidigitateurs. Pour les étudiants, il fallait sauver l’année et, pour les établissements, notamment privés, il fallait continuer à "tourner" au risque de connaitre des difficultés de trésorerie.
La systématisation du basculement n'a pas eu lieu immédiatement du fait de plusieurs facteurs.
Parmi ceux-ci, certains n’avaient pas encore d’outils d’enseignement en ligne et ont donc dû en acquérir ; d’autres, en disposaient déjà, mais ne s’en servaient pas forcément. La transition a ainsi été nettement retardée. Ensuite, il faut admettre que l’enseignement à distance requiert des préalables. Il nécessite pour les enseignants un certain nombre de compétences techniques et pour les étudiants une relative autonomie. Sous ce registre, la formation des enseignants, notoirement réticents aux modifications de leurs pratiques d’enseignement traditionnel, il a été nécessaire de s'adapter.
Par ailleurs, il a fallu sensibiliser les étudiants à l’utilisation de la technologie comme outil d’apprentissage. Aujourd'hui, les parties prenantes (écoles, professeurs et apprenants) entrevoient les prémices d’une année sauvée. Les motifs de satisfaction des enseignants résident dans l'acquisition de nouvelles compétences, dont ils se réjouissent, d'une part, et les établissements, d'autre part, apprécient le fait d’avoir trouvé une nouvelle source de revenus, de nature à améliorer leur rentabilité.
Toutefois, il ne faut pas s’enthousiasmer et prétendre avoir trouvé la panacée, car en attendant le retour à la normale, la question du maintien de la qualité de l’enseignement et de l’intégrité des résultats académiques reste toujours un véritable défi de l’enseignement à distance, accru par le contexte particulier.
De l’adoption du télétravail
En raison de la pandémie de Covid-19, le télétravail s’est invité dans le vocabulaire des professionnels. Cette méthode qui consiste à exercer les tâches professionnelles à distance, et hors des locaux de l’entreprise était jusqu’ici méconnue dans la sphère professionnelle sénégalaise. De ce point de vue, à date, aucune disposition particulière n’a été prévue en la matière par le code du travail. Or, dans la pratique, le mode de collaboration existait déjà, mais était considéré comme l’apanage des plus hauts responsables. Du reste, s’il est bien encadré, le télétravail peut être un levier de performance et une véritable aubaine pour les entreprises dans lesquelles il est bien organisé.
La crise de Covid-19 fournit une belle occasion aux entreprises pour tester les outils collaboratifs dont elles estimaient le coût dispendieux au regard de la valeur ajoutée. Ces plateformes collaboratives, performantes mais jusque-là assez peu utilisées, se sont révélées beaucoup plus efficaces que les traditionnels gestionnaires de messagerie électronique. Ces dispositifs ont permis des échanges de courriels, certes, mais ont aussi offert plus de réactivité et de dynamisme, en enrichissant les échanges écrits, de la voix et de l'image. Tout ceci, en opérant des gains de temps substantiels dont les employeurs ont pu expérimenter la consistance.
D’une manière générale, les poncifs ont la vie dure. Nous pensons, sans que cela ne soit démontré, qu’il faut nécessairement être au bureau pour être productif. Force est d’admettre que la présence dans les locaux de l’entreprise n’est pas toujours gage de productivité. Si les conditions matérielles ne sont pas réunies et que le lieu de travail soit stressant - particulièrement en ces temps de crise sanitaire -, l’efficacité ne peut être qu’entamée. C'est ainsi que certains travailleurs se sont surpris à être nettement plus productifs et efficaces avec le télétravail. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle dans certaines corporations il est désormais plébiscité.
En France, par exemple, un sondage récent montre que les salariés préfèrent majoritairement continuer à télétravailler plutôt que de retourner dans les bureaux. Car l'environnement de la maison peut souvent offrir plus de sérénité et parfois, paradoxalement, plus de concentration.
Dans cette optique, tout l’enjeu repose sur le contrôle, la sécurité et la confidentialité de la production. C'est pourquoi il est nécessaire pour les managers d’innover dans le management en mettant l’accent sur trois piliers : la responsabilité, la confiance et le résultat. Ce dernier aspect importe plus que le temps passé dans un bureau.
Plutôt que de surveiller les collaborateurs, il est nécessaire de leur donner plus de responsabilité et de confiance afin d'aboutir à un meilleur résultat ; la conscience professionnelle fera le reste. Le télétravail implique non seulement une appropriation des nouvelles technologies et des outils collaboratifs par les collaborateurs, mais aussi un sens de la responsabilité et du travail accompli par acquit de conscience.
Repenser le mode de fonctionnement au-delà de la crise de Covid-19 ?
La pandémie de Covid-19 n’est pas la première crise qu'a vécue le monde. Ce ne sera surement pas la dernière non plus. Nous devons néanmoins lui reconnaître une particularité : ses effets dévastateurs dans le monde entier. Pourtant, elle doit plus que jamais pousser les organisations à repenser leur mode de fonctionnement, car rien ne devra plus être comme avant. Un changement de paradigme s’impose à plusieurs niveaux. L’enseignement hybride et le télétravail doivent désormais être une réalité pour une meilleure optimisation des ressources.
Un système d’enseignement intégrant l’utilisation de la technologie serait véritablement plus efficace. Il ne s’agira pas de remplacer l’enseignement en présentiel par l’enseignement à distance, mais plutôt de la mise en place d’un modèle hybride et « blended ». Invité dans l’émission ETECH sur iRadio, le Président Aboubacar Sedikhe Sy disait en substance que « la formation nécessite beaucoup de contacts entre le formateur et le formé, avec tout ce qu’il y a comme ingrédients humains ». Oui. Le contact humain est incontournable dans la formation.
Il faudra donc miser sur un enseignement équilibré qui allie le présentiel et l’utilisation réelle des outils technologiques. Ces derniers permettront un continuum d’enseignements bien au-delà des salles de classe.
La crise de coronavirus doit désormais pousser les organisations à repenser leur modèle de management. Le télétravail doit être complétement intégré dans le dispositif opérationnel. Pour ce faire, une place d'importance devra lui être accordée dans le code du travail pour mieux l'encadrer en reconnaissant son caractère particulier. C'est cela qui permettra aux entreprises d'obtenir une reconsidération du statut du salarié.
Pourquoi pas passer du salariat à l’actionnariat ? Car, les employeurs devront faire face à des défis de fidélisation, de résultat, de sécurité, et de confidentialité. Il faudra donc plus que de la motivation. Les collaborateurs compétents devront plus que jamais être impliqués et placés au cœur du dispositif de prise de décision, avec un accent sur le résultat et le partage équitable de la valeur créée.
L’adoption définitive de ces dispositifs, au-delà même de la pandémie de Coronavirus, pourrait avoir un impact positif sur le plan économique, social, sanitaire et environnemental.
Dr Djiby ANNE
Enseignant chercheur
Directeur de l’institut de langues et Relations Internationales
Groupe Sup de Co Dakar