En quoi les principes implicitement enseignés depuis le préscolaire sont-ils importants dans le leadership politique? (Par Dr. Seynabou Diop)


En quoi les principes implicitement enseignés depuis le préscolaire sont-ils importants dans le leadership politique? (Par Dr. Seynabou Diop)
Définir le leadership peut s’avérer complexe à cause de l’intérêt qu’il suscite dans beaucoup de domaines. En 2006 déjà, il y a eu plus de 10,000 études sur le sujet, nous rappelle Schermerhorn et autres dans Le dictionnaire encyclopédique l’administration publique. Mais, selon Joseph Rost (Leadership for the Twenty-First Century, 1991), le leadership est «une relation d’influence mutuelle entre un leader et son groupe pour apporter un changement à partir d’objectifs communs». Selon ce dernier, le leadership doit être différencié de la notion de gestion ou de management et doit répondre maintenant à un paradigme post-industriel. En effet, Rost considère que la plupart des études qui se disent sur le leadership sont en fait des études sur le management. Le leadership requiert une aptitude à apporter un changement dans un contexte global alors que la gestion requiert la capacité à faire face à une situation complexe. Si le gestionnaire ou manager gère des problèmes précis, le leader lui gère une vision globale, une trajectoire pour apporter un changement réel. Néanmoins, comme le montre John Kotter (What leaders really do, 1999), ces deux concepts sont «complémentaires dans l’action». On peut d’ailleurs voir que pour bien gérer une situation complexe un minimum de changement s’avère nécessaire. De même, une vision globale n’a de sens qu’à travers un problème précis, un plan adéquat, et des actes concrets. Le bon leader est donc d’abord un bon gestionnaire. Sur le plan strictement individuel et psychologique, cette distinction entre le leadership et la gestion semble discutable. L’homme qui naisse et grandisse dans un milieu socioculturel donné, traverse des transformations multiples, et est appelé à gérer perpétuellement des changements dans sa vie, en exerçant d’abord des influences sur lui-même, quelque soit l’origine de ces influences, pour mieux s’adapter et éventuellement influencer les autres. Pour rejoindre alors la définition de Rost, « la relation d’influence mutuelle entre le leader et son groupe» présuppose un minimum d’expérience et de compétence chez le leader pour être pressenti comme tel, c'est-à-dire, capable de diriger un groupe. Le leadership devient alors un acte individuel de transformation, de volonté, de conviction, et de sacrifice personnel, bref, de gestion de soi avant d’être une influence vers un projet commun. Il devient un processus cumulatif d’apprentissage individuel. Dans le préscolaire, l’unité de base de l’éducation formelle, les tout-petits (âges 0-5 ans) apprennent à s’adapter et à s’ajuster à leur personne et à leur milieu à travers un processus de développement physiologique, socio-émotionnel et cognitif. Dans ce secteur de l’éducation primaire, le but principal est d’accompagner ces tout-petits en les aidant à apprendre à se gérer dans plusieurs domaines: gérer leur corps, gérer leurs émotions, gérer leur temps, gérer leur espace, gérer leur langage, gérer leurs ressources, et, conséquemment, gérer leurs connaissances. En d’autres termes, le but est de les préparer à être leur propre leader en les éveillant sur des valeurs (de savoir être, savoir faire et savoir devenir) qui leur permettront plus tard d’être de bon apprenants, des citoyens productifs et d’influencer les autres. A travers ces différentes gestions, ces enfants partagent déjà beaucoup avec le leader politique. La comparaison du leader politique avec ces tout-petits n’a rien d’irrespectueux ou d’irrévérencieux. Bien évidemment, ces tout-petits ne sont pas encore des adultes et ne doivent pas être considérés comme tels puisqu’ils ont leur propre psychologie basée sur des besoins physiologiques, émotionnels et cognitifs particuliers (Jean Piaget, Origins of intelligence in the child, 1936). Ils ne sont pas, non plus, encore des leaders puisque le processus de gestion dans lequel ils sont soumis ne se résume souvent qu’à des exercices et actes d’éveil et d’apprentissage élémentaires selon le degré de développement où se trouve l’enfant. Leur comparaison avec le leader politique ayant déjà fait un parcours de vie peut donc sembler même pédagogiquement inappropriée. Néanmoins, comme on le verra plus tard, tous les deux partagent un certain nombre de principes d’exercice de gestion de soi. Si le tout-petit apprend à gérer ses besoins primaires de nourriture, de sommeil, de jeu, de langage, etc., le leader politique, plus expérimenté, doit aussi continuer à se gérer comme tel pour mieux gérer les affaires du groupe qu’il dirige. On se rappelle, en effet, d’un leader politique récemment qui, ne pouvant gérer correctement son langage devant les caméras, s’est lâché contre certains des membres de son parti, ce qui a provoqué l’indignation de beaucoup de sénégalais pour ses propos jugés inappropriés et choquants. Les différents types de gestion dans lesquels les tout-petits sont soumis au préscolaire s’inscrivent dans un processus cumulatif comme dans toute acquisition de connaissances ou de compétences. Comme chez le leader politique, ce processus n’est pas aussi sans frustration, sans sacrifice et contrainte déjà chez l’enfant qui doit apprendre à prendre des décisions, à choisir et à perdre, à s’abstenir, à partager, à faire des efforts, à obéir aux normes établis et à les défier s’il le faut, comme si la gestion simple de soi, comme le leadership, nécessite qu’on se fasse ‘violence’ en permanence pour atteindre des objectifs pour soi ou pour le groupe. Le leadership est donc d’abord un exercice personnel, comme nous le rappelle cette phrase de Victor G. Ndiaye, du Club Travail et Vertu (CTV): «Plus ce que vous voulez atteindre est élevé, plus les sacrifices que vous avez à faire sont grands». L’enfant apprend à gérer son corps en prenant conscience de plus en plus de sa flexibilité et du fait que ce corps, constitué de sa physiologie et de son esprit, doit être en permanence entretenu pour sa bonne santé et son bon épanouissement. Il commence alors à comprendre qu’il doit faire des exercices physiques de temps en temps, faire attention à ce qu’il consomme, et s’écarter de tout danger dans son environnement. Il gère son espace en apprenant à s’y mouvoir correctement, à s’y repérer, et en se servant efficacement des choses qui s’y trouvent. Son espace devient la projection de sa propre personne et doit inspirer l’équilibre et les valeurs qu’il incarne. Il gère son temps en apprenant à s’organiser autour de celui-ci pour donner sens à sa vie: temps de sommeil, temps de travail, temps de jeu, etc. La notion de passé, de présent, et de futur lui sont ainsi introduite. Il gère ses émotions en apprenant à les exprimer sincèrement, les moduler suivant la situation dans laquelle il se trouve. Il apprend à faire des ancrages dans son milieu pour développer sa connaissance de soi, son sens d’appartenance et son estime de soi. Il utilise son intelligence émotionnelle pour se connecter avec son environnent. Ainsi, il apprend à lire et à exploiter les humeurs et les faiblesses de sa mère et de sa maîtresse. C’est ainsi aussi que, face à son camarade qui superpose des blocs de bois d’une manière ingénieuse qui attire l’admiration de la maîtresse et des autres enfants de sa classe, avec beaucoup de concentration et d’application, il veut en faire plus haut ou plus intéressant pour dérober cette admiration. De ce fait, il commence à prendre conscience que « Plus ce que vous voulez atteindre est élevé, plus les sacrifices que vous avez à faire sont grands ». Sa culture devient alors un outil pour lui. Mieux, il commence à prendre conscience que cette culture là, présente aussi des pesanteurs et des limites qu’il faudra des fois défier pour faire mieux ou se distinguer des autres. Il gère son langage en apprenant à parler en structurant sa pensée, à enrichir son vocabulaire, et surtout à respecter sa parole. En classe, il doit choisir ses jouets et respecter le choix des autres. S’il se fâche parce que les autres font des choses plus intéressantes avec les jouets qu’ils ont choisis et qu’il veuille ces jouets là, un moment pédagogique fort intervient où la maîtresse lui distille certains facteurs fondamentaux qui régissent la vie surtout celui du leader: prendre une décision ou faire un choix et s’en tenir, avec toutes les valeurs ou conséquences qui la soutiennent (la patience, le goût de l’effort, le sacrifice, la créativité, etc.). L’enfant alors apprend progressivement au fil du temps, que choisir c’est se priver des autres choix; qu’une décision comporte toujours des conséquences. Il gère ses ressources en apprenant à faire la distinction entre ce qui lui appartient individuellement et se dont il partage avec ses camarades. Il apprend à prendre soin de ses ressources, à les partager avec les autres qui n’en ont pas. Il apprend aussi à ne pas en dépenser plus qu’il n’en possède, ni n’en vouloir plus qu’il ne peut en avoir légitimement. C’est ainsi qu’avec l’aide de sa maîtresse et de sa famille, il prend goût au travail et à l’effort, respecte les autres et leurs avoirs et apprend à être autonome. Il apprend ainsi à se ‘faire violence’ pour se priver de certaines choses et rester lui-même. Il gérer ses connaissances en apprenant à établir des liens entre ce qu’il sait déjà et ce qu’il apprend de nouveau tous les jours, en les corrigeant et les complétant. Ce qu’il sait déjà en termes de connaissances antérieures devient important pour se gérer quotidiennement. Ainsi, il commence à se poser beaucoup de questions surtout quand il voit une contradiction entre ce qu’on lui avait dit ou promis et ce qui en est. Ces différentes gestions que font déjà les tout-petits au préscolaire ont beaucoup de ressemblance avec celles que doit faire le leader politique dans sa propre vie et dans sa gestion du pouvoir. Comme l’enfant, le leader, au delà du travail physique qui s’impose aussi à lui en permanence pour prendre soin de son corps et son esprit, à aussi le devoir de projeter une apparence sereine et équilibrée pour inspirer la confiance et le contrôle des affaires qui lui sont confiées. La gestion du temps du leader est d’autant plus importante surtout quand il doit répondre aux aspirations du groupe qui l’a élu et aux promesses qu’il a tenues. Si le temps chez le tout-petit tourne autour de sa personne et est réparti en fonction de ses besoins de base, celui du leader politique l’est aussi d’une certaine manière. Seulement, le sens éthique du leader (qui n’est rien d’autre que sa capacité à voir dans tout acte l’intérêt général avant son intérêt personnel) doit faire que la satisfaction de ses besoins personnels se confond avec ou est dépassée par la satisfaction des besoins du groupe qu’il sert. L’expérience nous apprend qu’en réalité, c’est seulement en satisfaisant les attentes des populations et les promesses tenues, que les besoins personnels du leader politique comme celui de réélection ou de rentrer dans la postériorité est certain. Comme les tout-petits qui doivent bien s’approprier de leur espace scolaire pour mieux inspirer leur apprentissage, la gestion de l’espace du leader politique répond aussi d’abord à la bonne gestion des espaces qu’il occupe et la qualité des personnes qui tournent autour de lui. Si on parlait du palais présidentiel sous le président Abdoulaye Wade comme ‘la deuxième permanence du PDS’, sous le président Macky Sall, on a entendu des bagarres, vu un nombre pléthorique de ministres et de conseillers sans portefeuilles et une redondance de postes dans certains ministères, ce qui n’inspirent pas un bon assainissement dans l’espace des affaires. La gestion des émotions est beaucoup plus complexe chez le leader politique car si ces dernières peuvent bien être un moyen de se connecter avec son groupe, elles présentent le risque d’en exprimer trop, ou pas assez, ou de faire des promesses aveugles sous leur emprise. On se pose toujours la question de savoir si la suppression du Sénat du président Macky Sall au moment des inondations de 2013 ou le dernier ‘coup de gueule’ du président Abdoulaye Wade récemment concernant la descendance du président Macky Sall étaient des actes assez muris ou simplement, des coups émotifs pour détourner les populations de l’essentiel. La gestion de la langue nous interpelle beaucoup ici vu notre contexte politique actuel. Si la parole, même plus fluctuante chez le tout-petit qui est à ses premiers pas de régulation émotionnels et de maîtrise de soi, est susceptible de beaucoup de tolérance, elle devient beaucoup plus figée et sacrée chez le leader. Dire ce que l’on veut pour plaire seulement, comme dire seulement pour avoir ce que l’on veut, n’est plus acceptable. Dans nos langues africaines où «on ne dit pas les choses mais l’image des choses» pour reprendre l’expression du Pr. Abdou Salam Sall, la gestion de la parole délimite un champ d’interprétation plus large mais ne vacille jamais du message principal. «Si je suis élu, je réduirai mon mandat de sept à cinq ans», nous disait le candidat Macky Sall lors de sa conférence de presse à l’hôtel Térou-bi le 29 Février 2012. Dans cette affirmation au conditionnel, on ne peut voir comme message principal qu’une dette contractée par un candidat auprès d’un peuple avec qui il a voulu se connecter, vue la volonté d’une bonne partie de ce peuple d’élire désormais ses présidents pour 5 ans renouvelable (la charte de bonne gouvernance démocratique, 2008). La dette s’articule ainsi donc: «donnez- moi vos voix, après mon élection, je vous paierai avec un mandat de 5 ans comme vous l’aviez exprimé dans la charte de bonne gouvernance». La gestion des ressources chez le leader comme chez l’apprenant au préscolaire, c’est d’abord de pouvoir différencier et respecter ce qui appartient à soi-même de ce qui appartient au groupe tout entier. Le tout-petit s’accrochant à un jouet qui appartient à toute la classe en pleurant et voulant l’amener à la maison, est des fois vite ramené à cette distinction aussi bien par sa maîtresse que par ses parents. Dans notre contexte socioculturel, la culpabilité et le sens éthique des parents doivent triompher aux cris de l’enfant et à sa déception pour lui apprendre à ne jamais vouloir prendre quelque chose qui ne lui appartient pas. La gestion politique doit obéir aux mêmes normes malgré des pressions personnelles, familiales ou culturelles, d’accumulation de biens, d’appartenance à une certaine catégorie de personnes, d’apparence ou de peur du lendemain. La gestion des connaissances est aussi très importante. Elle se repose essentiellement sur un processus cognitif selon lequel on apprend en s’appuyant sur ses connaissances antérieures pour acquérir des connaissances nouvelles. Ceci est valable au tout-petit qui vient en classe avec son biberon. Malgré son âge, il sait déjà distinguer la notion de chaud du froid puisse qu’il rejette automatiquement son biberon si sa maman lui sert par accident du lait chaud. Connaissances antérieures servant donc d’ancrage pour des connaissances nouvelles et éclairant l’action du leader semblent être au cœur de notre champ politique d’aujourd’hui. Si les sénégalais ont sanctionné la première alternance à propos de faits et d’actes précis qu’ils ont désavoués, répugnés, condamnés, et se sont battus pour changer, tout leader qui fait fi de ces événements antérieurs récents a-t-il bien su sa leçon d’histoire? En d’autres termes, peut-il vraiment être au diapason des sénégalais pour les diriger? Le but donc de cet article était, d’une part, de souligner l’aspect personnel et pédagogique du concept de leadership comme processus d’apprentissage à tous les âges. D’autre part, il se voulait d’insister sur l’importance du préscolaire dans l’éducation de qualité des enfants, et pour la formation des leaders de demain. L’heure a sonné de voir au Sénégal ce secteur reformer, réorganiser, et renforcer en le rendant d’abord obligatoire pour tous les enfants de 3 à 5 ans et devenir un pilier clé de l’éducation formelle. Selon l’Enquête Démographique et de Santé à Indicateurs Multiples (EDS-MICS), 2010-2011 seulement 22% des enfants dans cette tranche d’âge «ont fréquenté un lieu d’encadrement et d’apprentissage dont prés de la moitié (10%) était un lieu d’apprentissage du coran ou un daara». Cet appel est d’autant plus urgent si on veut construire un pays émergent basé sur des valeurs et des compétences sûres, comme l’a si bien souligné le Pr. Abdou Salam Sall lors des assises de l’éducation de 2014. Dr. Seynabou Diop Spécialisée dans les Sciences et Technologies de l’Education
Dimanche 10 Mai 2015
Dr. Seynabou Diop




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