Elections 2012 : On n'aurait jamais dû en arriver là !


Kassumay !

La situation actuelle du Sénégal est très préoccupante. Le Conseil Constitutionnel a validé la candidature du Président Abdoulaye WADE alors que pour beaucoup d’observateurs il a épuisé le nombre de mandats auxquels il avait droit. Je ne m’étendrais pas sur les questions juridiques puisque depuis au moins deux ans, depuis que le Président WADE a déclaré sa candidature, deux camps se sont vites opposés. D’une part il y a ceux qui soutiennent que le Président WADE veut violer la Constitution en se présentant pour un troisième mandat consécutif ; de l’autre ceux qui disent que la Constitution est explicite en la matière, qu’un nouveau mandat serait parfaitement légal. Pour ces deniers, 2012 ne ferait que consacrer la deuxième candidature sous l’empire de la Constitution de 2001, la troisième République ayant abrogé les prérogatives de la Constitution de 1963 sous l’empire de laquelle le Président WADE a été élu en 2000. Le plus invraisemblable dans cette affaire, c’est qu’on utilise de part et d’autre des arguments politiques pour expliquer une procédure qui aurait dû avant tout rester juridique. La Constitution est-elle floue à ce niveau jusqu’à créer un imbroglio insurmontable ? Ou est-ce parce que des politiques mal intentionnés veulent manipuler les Sénégalais (et pas seulement la Constitution) à leur guise ? Les Sénégalais ont-ils donné au Président WADE un « cadeau » de sept ans (2000-2007) sans le préciser ?
Je laisse ces polémiques aux constitutionnalistes. J’ai lu la Constitution dans son intégralité comme beaucoup de mes concitoyens. Le fameux article 104 me semble parfaitement explicite, mais puisque les partisans du Président WADE prétendent que la loi n’est pas rétroactive, je ne sais pas quoi penser. En même temps nous avons entendu certains constitutionnalistes – du camp opposé évidemment, nous préciser que la Constitution n’est pas une loi en soi, par conséquent le principe de non rétroactivité ne s’appliquerait pas à elle. Chacun se fera une idée. Cela dit depuis que la question est posée, on n’est pas sorti de l’auberge.
La question que je me pose est celle-ci : pourquoi Maître Abdoulaye WADE a été élu par les Sénégalais en 2000, après 26 ans passées dans l’opposition ? Les raisons de son élection peuvent être multiples. Il y avait une part non négligeable de Sénégalais qui pensaient que le Président DIOUF avait assez mené le Sénégal au désastre que le changement devenait impérieux. Ces citoyens avaient voté WADE plutôt par dégoût de DIOUF et des socialistes que par véritable choix alternatif. Il était le mieux placé pour battre DIOUF, donc le choix par défaut. Pour d’autres, dont moi-même, le temps était venu pour un changement radical et durable du Sénégal. C’était donc un vote d’espoir. L’espoir d’un avenir meilleur pour le Sénégal. Je ne me faisais guère d’illusion sur l’économie et la transformation sociale nécessaire. La situation était suffisamment difficile pour que les changements se fassent rapidement. Les hommes et les femmes politiques doivent dire la vérité aux Sénégalais. On n’éradique pas la pauvreté sur un coup de baguette magique. Ce n’est pas non plus en 5 ou 7 ans qu’on résout ce problème. Le discours de vérité aurait consisté à dire que si dès à présent (c’est-à-dire en 2000, mais c’est toujours valable aujourd’hui) on prend les mesures adéquates, le décollage s’amorcera dans une vingtaine d’années. Les politiques devraient inculquer aux Sénégalais les notions du long terme, encore faudrait-il qu’eux-mêmes aient une vision sur la longue durée. L’expression qu’on prête au Président SENGHOR : « En 2000, Dakar sera comme Paris, Pikine comme Dakar » avait le mérite de mettre en perspective une vision d’avenir. Dommage qu’on se soit contenté de paroles et non de politiques (urbaines dans ce cas précis) plus pragmatiques.
J’attendais donc Maître WADE sur un autre front, celui de la réforme des institutions. Un Exécutif fort, une Justice exemplaire, des parlementaires libres, le tout dans un cadre clairement défini et encadré efficacement par la loi, enfin des citoyens responsables prêts à rendre compte de leurs actes. Pour cela le changement des mentalités s’imposait. Lorsque les institutions sont fortes, indépendantes, la corruption et les mauvaises pratiques ne peuvent être que combattues, la violence politique anéantie, les citoyens se sentent naturellement protégés. Au lieu de cela, que constate t-on ? La loi du plus fort prédomine. WADE a dès le départ protégé ses hommes au mépris des lois primaires, il a laissé certains s’enrichir ostensiblement, il a laissé les petites injustices se multiplier. Finalement la violence, sous toutes ses formes s’est banalisée, violence politique, violence sociale, violence morale, psychologique, intellectuelle. Certes cette violence a toujours existé, on en convient. Mais, c’est justement parce que la puissance coloniale l’a mise en place en réprimant férocement les partis nationalistes (PAI, entre autres), le Président SENGHOR perpétuée, le Président DIOUF utilisée, qu’elle devait disparaître définitivement. Je me souviens à Guédiawaye, lorsque les sections socialistes, tendance A, B, voire C se caillassaient entre elles ou dispersaient dans la confusion à jets de pierres les réunions politiques des adversaires. Je me disais qu’il fallait bien un jour mettre fin à ces pratiques honteuses. Seule une justice forte donc indépendante pouvait permettre de venir à bout de cette violence. Mais que disent les cercles actuels du PDS ? « Les autres l’avaient fait avant nous » Certains d’entre eux n’hésitent pas à nous rappeler 1988 lorsque beaucoup d’opposants (dont des enseignants que je connais) goûtèrent aux saveurs amères de la prison. Cela justifie leur violence. Quelle honte ! Quand on aime son pays, on essaye quand même de le faire progresser en corrigeant les erreurs du passé. Il ne faut pas que le Président WADE et ses partisans se trompent d’époque. Le Sénégal a changé, le monde a évolué. Ce qui était valable en 1988 ne l’est plus.
Par ailleurs, le Président WADE fait prévaloir son bilan économique pour prétendre avoir le droit de continuer (il a des chantiers à terminer, dit-il – mais qui peut terminer tous ses projets !?). Ce bilan, il faut le peser objectivement. Il y a effectivement de bonnes choses que seuls les aveugles (d’esprit bien sûr) ne peuvent pas voir. Je respecte le bilan économique de WADE et je n’arrive pas à comprendre ce slogan dangereux parce que pervers « on ne mange pas les routes » En tant que géographe, je peux dire sans risque de me tromper qui si on ne mange pas les routes, les routes nous font manger. La politique d’infrastructures doit continuer, elle doit même être renforcée. Je considère néanmoins que WADE avec la formidable manière dont il a su mobiliser autant de ressources financières aurait pu faire mieux et plus. La mauvaise gestion et le laisser-aller sont malheureusement passés par là.
Toutefois, là n’est pas la question. Un peuple a aussi besoin d’autres choses. On a besoin de respect, de dignité, de liberté, de justice, même lorsqu’on est pauvre. La pauvreté n’est pas une fatalité. Si toutes les conditions institutionnelles sont réunies, elle n’aura pas raison d’exister.
La faillite de WADE, ce n’est pas d’avoir ou de ne pas avoir un bon bilan économique. Sa faillite, c’est d’avoir fragilisé les institutions. Il commandite une Constitution qui n’en est vraiment pas une (nous en avons la preuve maintenant), puis la manipule à sa guise pour renforcer ses pouvoirs ou éliminer politiquement des adversaires supposés (Macky SALL en sait quelque chose). Il dissout le Sénat créé par le Président DIOUF au grand dam des Sénégalais, puis le remet sur pied. Déjà que le Parlement ne sert pas grand-chose, ne fallait-il pas le renforcer au lieu de créer une autre chambre qui du coup, on le sait, ne sert qu’à recaser un personnel politique susceptible de contester ? Il ramène le mandat présidentiel de 7 à 5 ans puis remet le à 7 ans (beaucoup de Sénégalais pensent que nous allons élire le nouveau Président pour une durée de 5 ans, ce qui souligne que la modification constitutionnelle s’était faite en catimini). Il crée le CRAES qui est une autre coquille vide. La liste n’est pas exhaustive. Il y a d’autres « réformes » dont je ne me souviens même plus, tellement la liste est inutilement longue. En plus de cela, il perd son temps à vouloir disloquer le Parti socialiste. En réalité, le Président WADE ne gouverne pas avec ceux qui l’ont porté au pouvoir (où sont passés Idrissa SECK, Macky SALL, Aminata TALL et les autres leaders du PDS qui l’ont toujours soutenu, ainsi que ses alliés de « circonstance » que sont Landing SAVANE, Abdoulaye BATHILY, Amath DANSOKHO ?). Le retour de bâton ne se fait pas attendre. Il ne voulait pas avoir d’opposants, finalement il se retrouve avec la quasi-totalité des personnalités politiques importantes du Sénégal contre lui, ses anciens alliées et amis compris. Il est resté chef de parti, passant son temps à polémiquer avec leaders politiques de l’opposition alors qu’il aurait dû avoir de la hauteur pour rassembler les Sénégal, voire les rassurer en toutes circonstances. La majorité des Sénégalais ne milite dans aucun parti, il se devait pour le peuple de dépasser les querelles de chapelles. Le Président WADE avait dénoncé la gestion solitaire du pouvoir en Afrique lors de son discours d’investiture du 3 avril 2000. Il s’est lancé sur ce chemin corps et âme…
Vous l’avez compris. Les raisons qui me poussent à me positionner contre la candidature de WADE ne sont pas juridiques. Je pense que même si la Constitution lui donnait le droit de se (re)présenter, il ne devait pas le faire. Qu’importe le bilan, positif, négatif ou mitigé comme c’est partout le cas, quand on a fait son temps il faut savoir s’arrêter. Par ailleurs, le bon sens aurait dû l’inciter à renoncer. Au-delà de l’âge (86 ans, ce n’est pas rien !), il y a le principe. Les Sénégalais étaient unanimement d’accord que des présidents qui durent (20 ans), ça en avait de trop. Le Président WADE lui-même, en faisant voter sa Constitution de 2001, avait clairement précisé que ce n’était pas intéressant de rester trop longtemps au pouvoir, que deux mandats suffisaient largement si on est uniquement soucieux de travailler pour l’intérêt national. L’autre slogan qui nous est servi gracieusement par les partisans de WADE est qu’il reste populaire. Cela veut dire quoi ? Tant que la population nous aime, on doit continuer ? A quoi servent dans ce cas les chartes qui régissent notre nation ? La morale sénégalaise, veut justement que lorsqu’on est au sommet de sa popularité, on se retire en toute indépendance puisque la popularité, c’est aussi le temps des cours (royales), des flatteries (vous êtes le meilleur, le seul). Dans un Etat de droit qui se veut moderne, il est inacceptable de laisser ces cours se constituer et faire pression sur l’autorité de l’Etat. Au demeurant qu’est-ce que le Président WADE peut-il encore faire qu’il n’ait déjà fait pour le Sénégal ? Ma réponse est rien. Les programmes de l’Etat engagés seront poursuivis par la prochaine équipe. C’est ça la République. Le pire, c’est que dans cette affaire, ses partisans nous ramènent vers 2000 lorsque les partisans du Président DIOUF prétendaient que seul celui-ci pouvait diriger le pays. Je pense que le fait qu’un Président puisse dire qu’il n’y a que lui qui peut diriger son pays est une condition suffisante pour le faire partir (démocratiquement, cela va de soi). En effet, il est de la responsabilité de ceux qui dirigent de préparer l’avenir, de former et de préparer les personnes aptes à diriger. Le fait de penser qu’après son départ, c’est le chaos, c’est un échec personnel. Bien sûr, nous savons que c’est par pur esprit propagandiste que de tels propos sont déclinés, mais c’est suffisamment grave pour arrêter définitivement avec ces âneries d’un autre temps.
Néanmoins, la raison la plus importante qui fait que je suis en colère contre le Président WADE, c’est que nous n’aurions franchement jamais dû en arriver à cette situation de méfiance, à se poser la question de savoir s’il doit ou pas se (re)présenter. Il devait consolider l’Etat de droit. Il devait faire en sorte que les tous Sénégalais, riches ou modestes, se sentent protégés par les lois. Il devait abolir tous les privilèges, les passes droits, au profit d’une minorité. S’il avait fait ce qu’il aurait dû faire dès son élection en 2000, les élections ne poseraient plus de problèmes. S’il avait fait ce qu’il aurait dû faire, nous n’en serions pas revenus à la situation de 2000. On se souvient des tensions d’alors et on se disait qu’on avait définitivement enterré les phases sombres de notre histoire politique et électorale. Quoi qu’on dise, la culture démocratique est ancrée dans ce pays, tout ce qui reste à faire c’est d’organiser les acteurs, de clarifier les règles et de les faire respecter par tous. Si le Président WADE avait fait ce qu’il aurait dû faire, il arbitrerait les élections dans un cadre apaisé, où le vainqueur serait félicité par tous. Mais il préfère s’arc-bouter au pouvoir au risque de remettre en question l’unité nationale, la confiance réciproque entre concitoyens et des citoyens vis-à-vis de l’Etat et de ses fonctionnaires, l’image du Sénégal tout simplement. Dans cette affaire, le Président WADE réussit même la prouesse de décrédibiliser la Justice, de fragiliser la parole des leaders moraux, religieux notamment. En effet, il a mis dans l’embarras tous ceux dont la parole et les actes comptent. Le Sénégal n’avait vraisemblablement pas besoin de cela.
C’est vraiment regrettable, car tout cela n’incite pas à l’optimisme ; j’ai en effet l’impression que le pouvoir corrompt les esprits et les moeurs. Comment peut-on convaincre de jeunes compétents d’entrer en politique pour servir honorablement leur pays si la classe politique dans son ensemble est irresponsable et parfois corrompue ? Je suis d’autant plus déçu que j’ai toujours cru au Président WADE et quelque part je crois encore en lui. J’ai toujours aimé son patriotisme (est-il toujours en lui ?), son audace (y compris sur le plan des projets : il faut oser rêver !), son indépendance. Mais pour moi la politique, c’est savoir se dépasser quand les intérêts de son pays sont en jeu. S’effacer, même si on a raison, pour que le pays émerge. Pour moi, la politique, c’est ne jamais mettre l’orgueil personnel devant l’orgueil de son pays. Jamais son honneur avant l’honneur de la nation. La réussite du pays doit être plus importante que la réussite personnelle. Dans notre pays, et dans beaucoup d’autres pays africains, les politiques préfèrent leur personne et leur clan (dans son acception initiale, c’est-à-dire ayant en commun des liens familiaux plus ou moins lointains) à leur pays, ils ne se sacrifieront jamais pour leur pays. La Côte d’Ivoire, ce pays magnifique qui a d’énormes atouts, a été sacrifiée au dépend d’intérêts égoïstes (Alassane OUATTARA en premier, celui qui est en train de vendre, au propre comme au figuré, son pays aux étrangers) par des politiques incapables d’aimer leur pays et d’avoir une vision d’avenir qui transcende et leur propre personne et les différences inhérentes à toute nation. Pour beaucoup de leaders africains, aimer son pays, c’est forcément en être à la tête, qu’importent les traumatismes qu’il faut faire subir aux populations. C’est absurde et dangereux à la fois. On n’a pas besoin d’être chef d’Etat pour servir son pays et on n’a pas besoin quand on est au pouvoir de bloquer ses adversaires pour réussir.
Nous pouvons tous et devons le faire avec abnégation, servir notre beau pays, chacun à son niveau, commerçants, artisans, ouvriers, artistes, enseignants, infirmiers... Oui, chacun peut à son niveau, aussi modeste soit-il, servir son pays.
Pour terminer, je suis contre la candidature du Président WADE. Mais j’ai toujours estimé que l’opposition n’avait pas le droit de menacer les Sénégalais (pour moi, c’est de cela dont il s’agit) en arguant qui si sa candidature est déclarée recevable, le Sénégal serait à feu et à sang. WADE est certes le premier responsable de cette impasse, mais l’opposition, incapable elle aussi de faire des propositions concrètes, doit assumer sa part dans ce blocage. Son irresponsabilité doit être également condamnée.
Maintenant, les dès sont jetés. Le Président WADE doit partir. Le Président WADE a toujours dit avec beaucoup de noblesse qu’il ne marcherait pas sur des cadavres pour entrer au Palais. Il ne faut pas qu’il marche sur des cadavres pour en sortir. L’opposition, la société civile et l’ensemble du peuple Sénégalais doivent lui laisser la porte ouverte. Qu’il parte pacifiquement, en total honneur. Pour cela, il faut des négociations et un calendrier. Que le Président WADE accepte ces négociations sans parti pris, que ses adversaires acceptent également la règle du jeu démocratique. Il ne devrait pas être question de rapports de force. Pas de « jay dole » dans un camp ou dans l’autre. L’arrogance est contre-productive, porteuse de désordre. Les égos surdimensionnés, ça suffit ! C’est l’intérêt du Sénégal qui est en jeu et c’est uniquement cela qui doit guider les acteurs.
Le Sénégal a toujours été un pays de dialogue et de compromis démocratiques. Je ne doute pas qu’il y aura en fin de compte une solution satisfaisante, qui espérons le, sera pour le bien des Sénégalais.

Abaraka !

Vive le Sénégal !
Vive l’Afrique !

Docteur Youssouph SANE
Géographe
Spécialiste en Urbanisme et Aménagement
Contact : youssouph.sane@yahoo.fr
Samedi 4 Février 2012
Youssouph SANE