Côte d'Ivoire : 13 hommes dans le viseur de la justice internationale


Côte d'Ivoire : 13 hommes dans le viseur de la justice internationale
Dirigeants politiques, chefs militaires, patron de presse ou miliciens… Ils sont treize, pro-Gbagbo ou pro-Ouattara, accusés d’avoir commis, permis ou encouragé les pires atrocités tout au long de la crise postélectorale en Côte d'Ivoire. Treize hommes qui sont déjà dans le collimateur de la justice internationale.
Difficile de sortir indemne de la lecture du rapport de Human Rights Watch (HRW) sur la Côte d’Ivoire, rendu public le 6 octobre. Les rescapés de la crise postélectorale, qui s’est ouverte au soir du second tour de la présidentielle, le 28 novembre 2010, y témoignent d’exactions où l’horreur le dispute à la barbarie. Le document recense, au fil des pages, des bombardements contre des civils, des actes de torture, des exécutions sommaires et des viols, et fait le bilan macabre d’une guerre qui a provoqué la mort de plus de 3 000 personnes.
Pour le rédiger, les enquêteurs de l’ONG américaine ont effectué six missions de terrain au cours desquelles ils ont recueilli les récits de plus de 500 victimes et rencontré des humanitaires, des diplomates et des journalistes. Au final, treize dirigeants militaires et politiques – officiellement toujours présumés innocents – sont épinglés. Sept appartiennent au camp du président déchu, et Laurent Gbagbo lui-même est montré du doigt. Responsables politiques, militaires, patron de presse ou chefs de milice… Ils sont soupçonnés d’avoir véhiculé la haine, d’avoir participé, orchestré ou couvert de graves exactions. Les cinq autres se sont battus pour installer Alassane Ouattara au pouvoir. Loin des conventions internationales sur la guerre, ils se sont laissés guider par un esprit de vengeance et sont, eux aussi, accusés d’actes odieux.
Ce rapport mâche le travail de la Cour pénale internationale (CPI), dont les magistrats enquêtent actuellement en Côte d’Ivoire avant de se décider à lancer des mandats d’arrêt internationaux contre les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Retour sur le parcours de ces hommes qui sont soupçonnés d’avoir commis ou permis l’indicible.
Autour de l'ex-président...
1Laurent Gbagbo, 66 ans, détenu à Korhogo
Parce qu’il s’est entêté, obstiné, parce qu’il a refusé le verdict des urnes, l’ancien président ivoirien est tenu pour le premier responsable des violences postélectorales. En tant que chef suprême des forces armées, il a couvert – si ce n’est encouragé – les crimes commis par ses hommes et par les miliciens qui lui étaient fidèles. À la résidence présidentielle d’Abidjan, où il s’était retranché, on a découvert un important stock d’armes lourdes, achetées pour la plupart alors que la Côte d’Ivoire était sous embargo onusien et utilisées à plusieurs reprises contre des civils. Arrêté le 11 avril par les forces pro-Ouattara, il est depuis détenu à Korhogo (Nord), et a déjà été inculpé de crimes économiques par la justice de son pays. Saisie par les autorités ivoiriennes, la CPI a également ouvert une enquête et pourrait le juger pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. À ses avocats qui viennent lui rendre visite, Gbagbo affirme toujours avoir remporté l’élection présidentielle et se dit victime d’un complot franco-burkinabè.
2 Charles Blé Goudé, 39 ans, en exil au Ghana
Surnommé le « général de la rue », le chef des Jeunes patriotes occupait le poste de ministre de la Jeunesse dans le gouvernement illégitime de Gilbert Marie Aké-N’Gbo. HRW lui reproche d’avoir prononcé des discours incitant à la haine raciale et à la violence. Le 25 février, dans une déclaration prononcée devant des centaines de personnes et largement diffusée, Charles Blé Goudé avait ainsi appelé ses partisans à ériger des barrages dans les quartiers et à dénoncer les étrangers. Dans la foulée, les crimes perpétrés sur une base partisane, ethnique ou religieuse se sont multipliés. Signalé au Bénin et en Gambie, Blé Goudé se trouverait aujourd’hui au Ghana. Lors de ses sorties médiatiques, il accuse le nouveau régime « d’installer son pouvoir dans la terreur » et se dit prêt à répondre à la justice… à condition qu’Alassane Ouattara et son Premier ministre, Guillaume Soro, fassent de même. Le 1er juillet, le procureur ivoirien de la République, Simplice Koffi Kouadio, a lancé un mandat d’arrêt international à son encontre.
3 Philippe Mangou, 59 ans, Abidjan
En tant que chef d’état-major, c’est lui qui dirigeait l’armée ivoirienne, même si, dans les faits, plusieurs unités aux méthodes brutales et expéditives échappaient à son contrôle. C’était le cas du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), de la Garde républicaine et des fusiliers marins. Le général Mangou a participé, le 21 février à Abidjan, à une réunion publique au côté de Blé Goudé. En réponse aux jeunes qui réclamaient des kalachnikovs, il aurait promis que l’armée prendrait « tout le monde, sans tenir compte ni du diplôme ni de l’âge », ajoutant : « Nous vous convoquerons au moment opportun pour le combat. » Le lendemain de la chute de Gbagbo, Mangou a fait allégeance au nouveau président qui l’a maintenu à son poste avant de le remplacer, le 7 juillet, par le général Soumaïla Bakayoko. Il pourrait être nommé ambassadeur au Gabon.
4 Bruno Dogbo Blé, 59 ans, incarcéré à Korhogo
L’ancien commandant de la Garde républicaine est impliqué dans plusieurs cas de disparitions forcées, dans la répression brutale de manifestations pro-Ouattara et dans la persécution d’immigrés ouest-africains. Bruno Dogbo Blé est également soupçonné d’avoir orchestré l’enlèvement et l’assassinat des Français Stéphane Frantz di Rippel, patron du Novotel d’Abidjan, et Yves Lambelin, ex-directeur général de Sifca, et des collaborateurs de ce dernier. Dénoncé par l’une de ses maîtresses, il a été arrêté le 15 avril dans sa garçonnière du quartier du Plateau à Abidjan. Il est aujourd’hui détenu dans un camp militaire de Korhogo et a été inculpé, le 11 août, pour son rôle dans certains crimes de sang. Il pourrait être transféré à la CPI.
5 Guiai Bi Poin, 59 ans, détenu à Abidjan
Originaire de l’ouest du pays, formé dans les meilleures écoles américaines et françaises, il était à la tête du Cecos, redoutable unité composée de 800 gendarmes, policiers et militaires. Surentraînés, suréquipés, ses hommes seraient responsables de la disparition de dizaines de personnes. Ils sont également accusés d’avoir commis des crimes sexuels, réprimé des manifestations dans le sang et tiré à l’arme lourde sur des civils. Le Cecos a été l’une des dernières forces fidèles à Gbagbo et s’est battu jusqu’à la chute de l’ex-président, début avril. Le général Bi Poin a été entendu par un procureur militaire, le 13 mai, et remis en liberté provisoire. Il a pris part, le 22 juin, à un rassemblement d’officiers chargés de désigner les têtes de la nouvelle armée… avant d’être arrêté, le 20 août. Cinq jours plus tard, il était inculpé pour crimes économiques et placé en détention préventive à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca).
6 « Bob Marley », en prison à Monrovia
En 2002 et 2003 déjà, ce chef d’une milice libérienne avait pris fait et cause pour Laurent Gbagbo, et s’était battu pour lui. Arrêté au Liberia en mai 2011, « Bob Marley » se servait du village de Ziglo, situé dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, comme d’une base arrière. C’est là qu’il recrutait et entraînait des mercenaires libériens. HRW l’accuse d’être impliqué dans les massacres de Bloléquin et de Bédi-Goazon, perpétrés en mars, et d’être responsable de la mort d’au moins 120 personnes. D’après les témoignages recueillis par l’ONG, il a fait exécuter des immigrés ouest-africains et des ressortissants du Nord, dont des femmes et des enfants. Il est actuellement détenu à Monrovia où il doit être inculpé pour « mercenarisme ».
7 Pierre Brou Amessan, en exil à Accra
Ancien directeur général de la Radio Télévision ivoirienne (RTI), Pierre Brou Amessan a supervisé des émissions qui incitaient à la violence contre les partisans d’Alassane Ouattara et les étrangers, appelant les « vrais Ivoiriens » à les « dénoncer » et à « nettoyer » le pays. La chaîne publique a également encouragé l’attaque de personnels et de véhicules des Nations unies.
8 Denis Maho Glofieï, 56 ans, Abidjan
Chef suprême du peuple wé, troisième adjoint au maire de la ville de Guiglo, Denis Maho Glofieï a créé le Front de libération du Grand-Ouest (FLGO) pour repousser l’offensive rebelle, après la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002. Avant la crise postélectorale, il avait fédéré les différents groupes de libération patriotiques au sein des Forces de résistance du Grand-Ouest (FRGO, dont il assurait la présidence). Il revendiquait 25 000 hommes, nourris à l’idéologie identitaire, et comptait de nombreux sous-chefs aux surnoms évocateurs : Colombo, Bob Marley, Le Vieux…
Il est accusé d’avoir orchestré les représailles contre les Baoulés, les Malinkés et les étrangers. Ses milices auraient aussi participé à des massacres dans l’ouest du pays et à Abidjan, où il a été aperçu lors des derniers mois de la crise, souvent en compagnie de Charles Blé Goudé. Maho aurait fui le quartier de Yopougon (Abidjan) avant l’arrivée des forces pro-Ouattara. Selon nos informations, il serait maintenant de retour dans la capitale économique ivoirienne et collaborerait discrètement avec le nouveau pouvoir pour démanteler sa branche armée.
... et dans le camp d'Alassane Ouattara
9 Eddie Médi, en poste à Danané
Ancien commandant du secteur de Danané, Eddie Médi a dirigé l’offensive militaire menée en février et mars de Zouan-Hounien à Guiglo, dans l’Ouest. Selon HRW, ses hommes ont assassiné de nombreuses personnes, violé au moins vingt femmes et réduit plus de dix villages en cendres. Ils ont commis leurs exactions après avoir pris le contrôle de la région, notamment lors des opérations de « nettoyage » menées depuis la base de Bloléquin. En septembre 2002, Eddie Médi faisait déjà partie des chefs du Mouvement pour la justice et la paix (MJP), l’un des groupes rebelles qui ont donné naissance aux Forces nouvelles (FN). Aujourd’hui, ce redoutable chef militaire est toujours commandant des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).
10 Losseni Fofana, Abidjan
« L’Intrépide Loss », comme aiment à l’appeler ses soldats, est l’un des hommes forts de l’ex-rébellion. Il a conquis l’Ouest ivoirien infesté de miliciens pro-Gbagbo et de mercenaires libériens. Ancien chef militaire de la zone Man, il était le supérieur du capitaine Eddie Médi. Les soldats sous son commandement ont pris le contrôle de Duékoué le 29 mars au matin. Ils sont soupçonnés d’avoir participé au massacre de centaines de personnes dans le quartier Carrefour. Loss a été nommé en août vice-commandant des Forces spéciales, corps d’élite de la nouvelle armée.
11 Chérif Ousmane, Abidjan
Ex-chef rebelle charismatique, patron des bérets verts de la redoutable compagnie Guépard devenu commandant de zone de la IIIe région militaire de Bouaké, le commandant Chérif Ousmane a participé à l’assaut final sur Abidjan. Ses hommes ont notamment conquis Yopougon, le principal fief des partisans de Gbagbo, au prix d’exécutions sommaires. Selon HWR, il aurait ordonné la mort de vingt-neuf prisonniers début mai. Un rapport de l’agence de presse des Nations unies, l’Irin, publié en 2004, le soupçonne d’avoir supervisé des forces impliquées dans l’assassinat de mercenaires libériens et sierra-léonais. Alassane Ouattara l’a promu, le 3 août 2011, numéro deux du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR).
12 Ousmane Coulibaly, Abidjan
C’est sous le pseudonyme de Ben Laden qu’il s’est fait connaître, mais c’est maintenant Ben le sage qu’il se fait appeler. Ousmane Coulibaly a longtemps commandé les FN à Odienné. Lors de la bataille finale d’Abidjan, il a dirigé des éléments, basés à Yopougon, accusés d’être impliqués dans des meurtres, des actes de torture et des détentions arbitraires. En 2003, il commandait le MJP dans la ville de Man. Il entretenait alors des liens avec l’ancien président libérien, Charles Taylor, et avec ses miliciens. Ayant rejoint les Forces spéciales en août, il assure la sécurité dans le quartier de Yopougon.
13 Amadé Ouérémi, dans la région du mont Péko
Le Burkinabè Amadé Ouérémi dirige un groupe de miliciens burkinabè dans la région du mont Péko, à l’extrême ouest du pays. Lui et ses hommes sont soupçonnés d’être les principaux auteurs du massacre de Duékoué, commis fin mars. Ils combattaient alors aux côtés des FRCI. L’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) a récupéré des armes et munitions auprès de 90 membres de cette milice, le 10 août dernier. Une toute petite partie de leur arsenal.

( Jeune Afrique )
Mardi 25 Octobre 2011




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