Comprendre les obligations fiscales des entreprises françaises au Sénégal : Double imposition, conventions fiscales et nouvelles perspectives ? (Par Dr Thierno Thioune*)


Lorsque l'on aborde la question de la fiscalité des entreprises françaises installées au Sénégal, il est important de prendre en compte plusieurs éléments, en particulier dans le contexte actuel marqué par un changement de régime axé sur la souveraineté, la rupture et la transparence. Premièrement, ces entreprises sont tenues de respecter les obligations fiscales locales définies par le Code général des impôts du Sénégal, incluant l'impôt sur les sociétés, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et d'autres taxes indirectes (I). Deuxièmement, il convient de mentionner les particularités contenues dans les conventions fiscales bilatérales entre la France et le Sénégal, qui traitent des questions telles que l'élimination de la double imposition, le paiement de l'impôt sur le revenu et des sociétés, les revenus immobiliers et les paiements d'intérêts, dividendes et redevances (II). Troisièmement, la rumeur selon laquelle les entreprises françaises paieraient désormais leurs impôts au Sénégal, alors qu'elles ne le faisaient pas auparavant, suscite des interrogations (III).

Obligations fiscales des entreprises françaises au Sénégal

Conformément au Code général des impôts du Sénégal, les entreprises françaises ayant une présence physique au Sénégal sont tenues de s'acquitter de leurs obligations fiscales au Sénégal. Cela inclut le paiement de tous les impôts locaux pertinents, notamment l'impôt sur les sociétés, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et d'autres taxes indirectes.

Les entreprises françaises peuvent également être soumises à certaines obligations fiscales en France, telles que l'impôt sur les sociétés et la contribution sociale généralisée (CSG), en fonction de leur statut juridique et de leur forme organisationnelle. Toutefois, les revenus générés au Sénégal ne sont normalement pas imposables en France conformément aux conventions fiscales internationales existantes entre la France et le Sénégal.

La convention fiscale entre la France et le Sénégal prévoit des dispositions spécifiques pour éviter la double imposition et garantir que les entreprises ne soient pas imposées deux fois sur le même revenu. Elle stipule que les entreprises sont généralement imposées dans le pays où elles exercent leurs activités, c'est-à-dire au Sénégal dans ce cas.

Donc, les entreprises françaises présentes au Sénégal sont tenues de payer leurs impôts au Sénégal conformément au Code général des impôts du Sénégal. Elles peuvent également être soumises à des obligations fiscales en France, mais les revenus générés au Sénégal ne sont normalement pas imposables en France en raison des conventions fiscales internationales existantes entre les deux pays.

D’ailleurs, à titre d’exemple, un litige fiscal implique l'entreprise Eiffage Genie Civil Marine Sénégal et l'Unité mixte fiscale et douanière du Sénégal et de la Mauritanie concernant le non-respect allégué des règles fiscales applicables aux sous-traitants travaillant sur le projet Grand Tortue / Ahméyim (GTA) pour un montant de 17,6 milliards de francs CFA. Le différend porte sur un projet de sous-traitance lié au projet GTA, où l'entreprise était chargée de fournir des services d'ingénierie, d'approvisionnement, de construction, de transport, d'installation (EPCTI). A ce titre, comment une telle société, surement de droit sénégal ou peut être filiale de Eiffage France,  pourrait contester un tel redressement et intenter une action en justice contre l'Unité mixte fiscale et douanière si elle n’était pas assujettie et soumise aux compétences de l’Unité mixte ? D’autant plus que les règles fiscales applicables aux sous-traitants travaillant sur le projet GTA sont régies par un accord interétatique conclu en 2018 entre le Sénégal et la Mauritanie. Donc, il semble y avoir un désaccord quant à savoir si l'entreprise a correctement suivi ces règles fiscales lors de l'exécution de son contrat de sous-traitance et qui est assez révélateur. 

Particularités dans les conventions fiscales entre la France et le Sénégal

L’analyse des conventions fiscales entre la France et le Sénégal fait subsister des caractéristiques spécifiques liées notamment à l’élimination de la double imposition, le paiement de l’impôt sur le revenu, celui de l’impôt sur les sociétés, l’acquittement des revenus immobiliers et les dispositions relatifs aux paiements des intérêts, dividendes et redevances.

Concernant l’élimination de la double imposition, les conventions fiscales ont pour objectif principal d'éviter la double imposition des revenus perçus par les individus et les entreprises qui ont des activités commerciales dans les deux pays. Pour atteindre cet objectif, les conventions fixent des règles pour déterminer quel État a le droit d'imposer différents types de revenus.

Au titre du paiement de l’impôt sur le revenu, les conventions fiscales établissent généralement des règles pour déterminer dans quel pays les personnes physiques doivent payer l'impôt sur le revenu. Selon les conventions entre la France et le Sénégal, une personne est considérée comme résidente d'un État si elle dispose d'un domicile permanent dans ce pays ou si elle séjourne dans ce pays pendant une période continue d'au moins six mois au cours de toute période de douze mois.

Pour le paiement de l’impôt sur les sociétés, les conventions fiscales fixent des règles pour déterminer dans quel pays les sociétés doivent payer l'impôt sur les sociétés. Selon les conventions entre la France et le Sénégal, une société est considérée comme résidente d'un État si elle est constituée en vertu des lois de cet État ou si son siège social ou son administration centrale y est situé.

Au sujet de l’acquittement des revenus immobiliers, les conventions fiscales comportent souvent des dispositions relatives aux revenus provenant de biens immobiliers. Selon les conventions entre la France et le Sénégal, les revenus tirés de biens immobiliers sont généralement imposables dans le pays où les biens sont situés.

En ce qui concerne les intérêts, dividendes et redevances, selon les conventions entre la France et le Sénégal, ces types de revenus sont généralement imposables dans le pays où ils proviennent, mais des crédits d'impôt peuvent être autorisés pour atténuer la charge fiscale globale.

En résumé, les conventions fiscales entre la France et le Sénégal offrent une protection importante contre la double imposition et établissent des règles claires pour déterminer dans quel pays les revenus doivent être imposés. Cependant, chaque convention comporte des nuances propres et devrait être examinée attentivement pour comprendre pleinement ses implications.

Quid des entreprises françaises qui paieraient désormais leurs impôts au Sénégal

Il n'y a pas de preuve formelle ni d'annonce officielle confirmant que les entreprises françaises paieraient désormais leurs impôts au Sénégal alors qu'elles ne le faisaient pas auparavant. Cependant, il est possible de s’interroger sur les raisons possibles pour lesquelles cette rumeur circule en ce moment où un nouveau régime arrive au pouvoir.

D’abord il est clair que le Sénégal a renforcé ses capacités fiscales ces dernières années, ce qui lui permet de mieux surveiller et collecter les impôts auprès des entreprises étrangères opérant dans le pays.

Ensuite, le nouveau régime annonce d’ériger la transparence comme priorité. Sauf qu’il faut véritablement considéré que le Sénégal s’est déjà engagé dans les dernières années à renforcer la transparence fiscale en mettant en œuvre des mesures telles que l'échange automatique d'informations fiscales avec d'autres pays, ce qui peut conduire à une pression accrue sur les entreprises pour qu'elles paient leurs impôts.

Aussi, des changements dans les politiques fiscales au niveau national (sans doute avec l’arrivé de ce nouveau régime) ou international (taxation GAFA ; réformes des politiques fiscales internationales) peuvent entraîner des modifications dans la façon dont les entreprises paient leurs impôts. Par exemple, la tendance croissante à l'imposition minimale des sociétés multinationales peut inciter les entreprises à payer davantage d'impôts dans les pays où elles opèrent.

Egalement, une des raisons peut être liée à la pression politique et médiatique. Des campagnes menées par des organisations non gouvernementales, des militants sociaux et des journalistes pour promouvoir la justice fiscale peuvent créer une pression sur les entreprises pour qu'elles paient leurs impôts dans les pays où elles opèrent.

Mais enfin, elle peut tout bonnement être liée à un désir d’amélioration de la gouvernance fiscale du pays car le Sénégal a pris des mesures pour réformer la gouvernance fiscale en adoptant des normes internationales telles que celles établies par le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales. Ces mesures peuvent rendre plus difficile pour les entreprises de contourner les systèmes fiscaux nationaux.

En fin de compte, sans source officielle, il est impossible d’exprimer avec exactitude pourquoi cette rumeur est alimentée. Mais les facteurs évoqués supra tendent à expliquer pourquoi les entreprises françaises pourraient être encouragées ou forcées de payer plus d'impôts au Sénégal qu'auparavant.

* Thierno THIOUNE 

   Maître de Conférences Titulaire 

   Directeur du Centre de Recherches Economiques Appliquées (CREA)

   Université Cheikh Anta Diop de Dakar 

 
Jeudi 18 Avril 2024
Dakaractu