DAKARACTU.COM Au risque de passer pour l’une des « machines de guerre » contre Karim Wade – comme il surnomme lui-même « certains journalistes » -, je ne peux m’empêcher de confronter aux faits les propos contenus dans sa lettre ouverte, à l’intention des lecteurs de dakaractu.com. D’abord, je suis profondément gêné par la tonalité globale du texte qui présente son auteur sous les traits d’un doux agneau en proie aux méchants loups de la classe politique et de la presse. La posture victimaire de Karim Meïssa Wade, fils du président de la République, tout-puissant leader de la Génération du concret, principal homme de confiance de son président de père, numéro un du conseil de surveillance de l’Anoci, ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Energie, attributaire d’un budget annuel de 270 milliards de francs cfa, est tout simplement indécente. Les victimes sont nombreuses au Sénégal. J’en cite quelques-unes : les diplômés chômeurs qui ne trouvent même pas de stage faute d’avoir un père bien placé pour les nommer; les jeunes désespérés qui empruntent des embarcations de fortune pour échouer sur les côtes européennes ; les artisans comme les menuisiers métalliques et les tailleurs aujourd’hui en cessation d’activité à cause des coupures d’électricité ; les paysans privés de semences et de paiement après la vente de leurs récoltes ; les démunis qui meurent faute de soins médicaux ou d’argent pour acheter des médicaments…
Si je passe sur l’usage du « nous » pour se désigner – signe d’une certaine vanité du pouvoir - , je m’arrête sur ce passage : « Pourtant, rien ne m’a été donné. Avec mes collaborateurs et fort de l’expertise nationale et internationale, nous sommes toujours partis de rien, pour aboutir à ce que l’on voit. » Tout a été donné à Karim Wade : le pouvoir sans limites, un ministère d’une dimension jamais égalée dans l’histoire, un budget de 370 milliards dans le cadre de l’Anoci… On racle toutes les niches budgétaires pour affecter leurs ressources aux projets qu’il gère. Le record absolu de lois de finance rectificatives pour octroyer des crédits supplémentaires a été battu au profit de l’Anoci. Dans toute l’histoire du Sénégal, aucun homme politique n’a géré autant de moyens financiers que lui. Depuis qu’il a en charge le plan Takkal, toutes les dépenses de l’Etat sont orientées en priorité en sa faveur. Tous les fonds, y compris celui de la téléphonie mobile, sont affectés audit plan qui plonge chaque jour davantage les Sénégalais dans les ténèbres. Autant de privilèges ne peuvent pas ne pas faire grincer des dents. Au cas où il l’ignore, Karim Wade fait l’objet « de graves accusations, de profondes détestations, d’attaques hallucinantes » d’abord de la part de ses collègues du gouvernement qui ne ratent aucune occasion pour aligner les griefs à son encontre : « il se fait affecter tous les budgets », « il prend aux autres ministres tous les dossiers stratégiques qui relèvent de leurs compétences », « il se mêle de tout, fait et défait »…
« On me prête beaucoup, s’indigne Karim Wade. Qu’on perde un marché public, une position, une faveur, un privilège, un titre, une fonction, aussitôt l’on me rend responsable. Qu’un ministre soit limogé, il prétend que son départ est la conséquence immédiate de son refus d’un prétendu ‘’projet de dévolution monarchique du pouvoir’’. » Je veux bien croire qu’il n’y est pour rien dans rien. Mais certaines coïncidences me troublent. Indéboulonnable ministre de l’Energie, Samuel Sarr a été limogé dès qui s’est brouillé avec lui. Idrissa Seck a été défénestré de la primature et embastillé à Rebeuss pour délit de rivalité avec le « fils biologique ». Macky Sall a été éjecté du perchoir de l’Assemblée nationale pour avoir pensé devoir le convoquer afin qu’il s’explique devant les députés sur la gestion de l’Anoci. Comme il l’a révélé, Bara Tall a commencé sa descente aux enfers le jour où il a refusé d’agréer un accord de répartition de marchés entre entreprises de BTP proposé par l’Anoci. Je ne connais pas un journaliste qui n’ait pas été condamné par la justice sénégalaise s’il lui est arrivé d’écrire un article qui fâche « le fils du président ».
Au bout d’un tableau de chasse si étoffé, je m’étonne que Karim Wade s’étonne de ne pas s’être fait que des amis. Produit de deux cultures, né à Paris d’une mère française, ayant fait des études universitaires en France et travaillé dans une banque à Londres, je ne comprends pas qu’il soit à l’aise en s’accaparant de tous les pouvoirs à la faveur d’un népotisme si grossier. Est-ce parce qu’on est en Afrique, sous la férule de rois nègres, qu’il trouve normal d’être nommé simultanément à tous les postes où coule l’argent ? Je ne comprends pas non plus qu’un homme si lourdement encombrant dans la sphère étatique depuis 2000 puisse penser plaire à tout le monde dans une société ouverte comme le Sénégal. Au cas où il l’ignore, il apparaît aux yeux de l’écrasante majorité de nos compatriotes comme un « fils de… » grossièrement pistonné qui vit distant des Sénégalais et de leurs préoccupations, se gave de privilèges de la République et voyage en jet privé. Les polémiques soulevées par la gestion de l’Anoci et la renégociation de la licence de Tigo n’ont pas arrangé les choses.
Si je trouve évidente l’origine des attaques qu’il déplore dans sa lettre ouverte, je me réjouis de voir Karim Wade écrire : « Tout comme le chef de l’Etat, je combats toute idée de dévolution monarchique du pouvoir. » N’étaient donc que purs hasards les déclarations récurrentes d’Abdoulaye Wade décrivant son fils comme le meilleur de tous et en tout, les mises en scène pour lui faire capitaliser certains grands coups comme dans l’affaire Clotilde Reiss, le tintamarre orchestré par la Génération du concret et son offensive couteuse pour conquérir la banlieue dakaroise et les villes de l’intérieur du pays, les accointances avec Claude Guéant pour obtenir les faveurs de l’Elysée, la tentative avortée de lui donner la mairie de Dakar histoire qu’il s’y fasse la main, la récente opération « poignée de main » avec le président américain Barack Obama à Deauville, le projet de révision constitutionnelle tué par la mobilisation populaire du 23 juin…
Je suis en admiration devant la pertinence de Karim Wade à ce niveau de son texte : « Désormais il y a un avant et un après 23 juin. Ce message ne peut être ignoré ni par le pouvoir ni par l’opposition. Notre formation politique, le PDS, et nos alliés ne peuvent faire autre chose que de consolider les acquis démocratiques de Léopold Sédar Senghor, d’Abdou Diouf et de Me Abdoulaye Wade. » Ce propos me redonne espoir. Il signifie, à mes yeux, qu’Abdoulaye Wade a compris le message du peuple qui trouve qu’il a fait ce qu’il a pu et que le moment est venu pour lui de passer le relais dans des conditions qui consolident la démocratie sénégalaise.
Au demeurant, je voudrais rassurer Karim Wade que « la haine » et « les détestations » sont étrangères à la culture sénégalaise. Il suscite un intérêt proportionnel à son emprise sur les affaires publiques. Les acteurs politiques et les journalistes n’ont rien de personnel contre lui. Si je parle de mon cas que je connais le mieux, je lui reconnais, pour l’avoir côtoyé, des qualités humaines, une volonté de faire et une certaine technicité dans la conduite des dossiers qu’il gère. J’arrête le commentaire de la lettre ouverte sur cette tonalité positive pour ne pas être « cassé » ou « brisé » en cette période où je démarre une nouvelle vie dans mon pays.