Comment planifier une stratégie de croissance accélérée ?

La Planification (…) relève de la philosophie de la science, elle renvoie à l’utilisation de la science dans l’encadrement des actions à effectuer.
(CAMHIS, 1979)


 
Quand il est question d’agir pour accélérer la croissance économique d'une nation, le taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) est par reflex, l'objectif qui capte l'attention des planificateurs. En effet, ce taux de croissance du PIB permet de démontrer si les investissements consentis ont entrainé la croissance escomptée ou, à l'inverse, si l'économie est en récession.
Cependant, dans la planification de la stratégie d’émergence économique du régime actuel, on a souvent tendance à oublier que le PIB est juste un indicateur global, alors que la croissance économique doit toujours s’apprécier à travers son impact réel sur le niveau de vie du citoyen, car un taux croissant du PIB n'est pas toujours corrélatif à une hausse du niveau de vie des ménages.
Toujours, dans une approche objective, contributive et technique, nous allons démontrer toute la pertinence technique d’une incubation et d’une formulation d’une stratégie de croissance économique depuis les leviers et les secteurs qui ont un impact direct sur le niveau de vie des ménages.
 
En effet, le niveau de vie s'apprécie plutôt à  travers un indicateur du stock des ménages et non un indicateur de l'évolution de la courbe de croissance de l'économie globale. Par exemple, deux pays ayant une même courbe de croissance du PIB peuvent révéler de profondes différences dans leurs compositions et par voie de conséquence dans l’impact engendré ou pas sur la condition de vie des citoyens. Voilà pourquoi, quand nous faisons une planification pour une croissance accélérée, c'est la composition du PIB/habitant qui doit déterminer notre stratégie du stimulus. Cette stratégie du stimulus est appliquée aux ressources et activités ayant démontré un niveau de croissance forte et dont le potentiel de rendement n'est pas en maturité et que nous pouvons comptabiliser à court terme.
Autrement dit, une politique économique et sociale ne peut donc pas se permettre d’annoncer un taux de croissance précis du PIB comme objectif, surtout quand elle se satisfait d’une stratégie de croissance qui reprend la politique générale. D’autant plus que les politiques sociales sont un poste de dépense dont l'impact en termes de croissance est difficilement mesurable et encore moins prévisible. De ce fait, une stratégie de croissance accélérée doit avoir comme objectif une composition précise du PIB/habitant, une croissance durable adossée aux ressources spécifiques des territoires et  surtout l'assurance d'un impact qualitatif mesurable par l’indice du bonheur (Gallup).
Pour le cas du Sénégal, il faut avoir le courage de reconnaitre que l’approche actuelle demeure celle d’une politique  générale à l’instar du DPES (Document de Politiques Economiques et Sociales) ou de la SNDES (Stratégie Nationale de Développement Économique et Sociale) avec une option d'investissement dominée par les infrastructures, ce qui est loin d'être une nouveauté. Et pour une fois, mais malheureusement pas avec le bon indicateur, le PIB est utilisé comme objectif global en lieu et place d’une stratégie de croissance axée depuis les leviers spécifiques au PIB/Habitant de la nation considérée. Et pourtant, on peut aisément comprendre que si l’objectif de développement est bien l’amélioration du bien-être des populations, alors le véritable baromètre du développement économique devrait être l’impact social de la croissance économique, et cet impact s'apprécie par le PIB/habitant. La preuve en est que les chiffres des 5 dernières années de L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) démontrent qu’une croissance du PIB n’est pas corrélative à l’indice de satisfaction de la vie. Et ceci est aisément compréhensible, car la « satisfaction de vie » est plus liée au stock économique des ménages qu’au flux de l'économie globale. Ainsi, dans la formulation d'une stratégie de croissance économique et surtout dans la définition des objectifs stratégiques de la planification de la politique économique, un remplacement du PIB par le PIB/habitant est plus avisé. Aujourd'hui,  la corrélation positive est beaucoup plus forte et les chiffres le démontrent assez bien, d’autant plus qu’une analyse des chiffres produits par l’OCDE depuis ces 20 dernières années démontre que les pays leaders ont tous développé des stratégies axées sur les leviers du PIB/habitant.
 
Nous allons livrer quelques éléments d'orientations de cette logique de planification stratégique qui s’est révélée payante pour plusieurs pays occupant le peloton de tête de la course pour une croissance économique diffuse en termes de retombés sociales. Ces orientations se fondent sur la volonté d'avoir un impact qualitatif sur le niveau de vie des populations, en évitant certains pièges liés à une planification économique classique, globale et généraliste.
 
1- La balance commerciale : Elle est nécessaire mais pas suffisante.
En effet, travailler pour qu’elle soit excédentaire est nécessaire, mais pas suffisant pour une forte croissance du PIB par habitant. L’Allemagne est l’illustration parfaite avec sa belle réussite quant aux investissements et aux exportations. Cependant, en valeur nette, ses secteurs sont en réalité 1% plus bas par rapport au PIB des pays de plus grande croissance. L’explication est que l’investissement et l’exportation n’apparaissent pas dans la consommation, mais plutôt dans les dépenses publiques. D’ailleurs, ces 20 dernières années prouvent qu’il n’y a pas de relation directe entre l’équilibre commercial et la croissance du PIB/Habitant. Il est donc évident qu’une bonne performance en exportation est nécessaire, mais pas suffisante pour une forte croissance du PIB par habitant.
 
2- Le Secteur public : L’efficience et  l’usage des recettes avant la taille et le volume des dépenses
D’emblée, nous savons que la relation entre le budget injecté dans le secteur public et la croissance du PIB est très faible.  Voilà pourquoi une stratégie parallèle de croissance économique est nécessaire et doit être construite depuis les leviers, les mécanismes et les composants du tissu économique national. En plus du fait que l’action publique est très limitée, en terme d’impact direct et durable sur l’économie, il faut comprendre que ce n’est pas la grandeur ou la taille du secteur public qui est le plus déterminant, mais,  c'est bien entendu, l’usage des recettes fiscales. Le principe est plutôt simple. Quand les recettes fiscales payent les intérêts de la dette publique et peut importe la taille du secteur public, cette situation n’est pas un gage d’une croissance économique. Dans le cas du Sénégal, la taille du secteur public et le rapport entre les recettes fiscales et les intérêts de la dette sont problématiques. En revanche, un secteur public compétent et efficient (même s’il prend une grande partie de l’économie) peut être associé à une forte croissance économique.
 
3-Production industrielle : Le savoir-faire avant la force des bras.
En poussant notre analyse un peu plus en détail, il apparaît qu’une obsession sur une politique industrielle fondée sur l'atout des bras pas chers est peu rentable et totalement dépassée. Nous nous rendons compte que les niveaux élevés de production industrielle ne sont pas en soi corrélés avec une forte croissance. Cependant, la preuve est faite que l’industrie innovante, qui demande un système éducatif adaptée et un investissement important en recherche et développement, bénéficiera largement plus à l’économie. La conclusion qui s'impose à nous est qu'en matière de croissance du PIB/Habitant, c'est la matière grise qui paye et pas les muscles, c’est le cas d’Apple dont le coût de la main-d’œuvre chinoise (assemblage) ne constitue que 5% de la valeur totale du produit. Voilà pourquoi le Sénégal doit investir dans la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et dans la recherche industrielle (transformation et conservation) appliquée à ses ressources territoriales. Si nous voulons faire de notre pays une destination des entreprises en processus de délocalisation, il faut, avant tout, avoir une main-d'œuvre qualifiée.
 
4- Politique Salariale : L’équilibre entre la part de revenus salariaux et celui des bénéfices des Entreprises.
La part des revenus salariaux est importante dans le PIB/habitant.  Cet équilibre entre les bénéfices des entreprises et la part de salaire dans la composition du PIB/habitant permet de réduire la vulnérabilité de l’économie. Par ailleurs, si l'augmentation des parts de bénéfices des entreprises n'est pas proportionnelle à la part de salaire, cela traduit une création de richesse qui n'est pas partagée avec la masse salariale. Ce déséquilibre entraîne un sentiment de frustration chez les travailleurs et fragilise l'économie globale en termes de consommation et le système financier en termes de baisse de l’épargne des ménages. Ainsi, la France, qui a une grande part de PIB pour les salaires a une économie qui résiste bien en temps de crise. Mais les pays aux PIB à grande proportion par les entreprises ont  beaucoup souffert de la récession (c’est le cas des USA).
 
 
 
 
Conclusion
 
In fine, cibler le PIB/Habitant comme objectif global, du fait de sa corrélation forte avec le bien-être des populations, est devenu une exigence dans un contexte mondial marqué par les concepts de développement économique  durable et de commerce équitable. Nous pouvons retenir que dans la planification stratégique pour une croissance économique accélérée des orientations  claires sont à retenir :
-En premier lieu, il faut viser la croissance de la productivité du travail par un système éducatif adapté aux besoins en ressources humaines de l’économie nationale, avec, notamment, un secteur privé compétitif et un secteur public efficient.
-Parallèlement, il faut travailler pour l’équilibre entre les bénéfices des entreprises et les salaires.
-Concernant l'industrie, il ne faut pas regarder la croissance de la production industrielle dans sa globalité, mais il faut avoir le bon type de croissance industrielle pour guider la croissance économique. L'idée est d'adosser cette industrialisation sur les ressources spécifiques aux territoires du pays, par l'intermédiaire de sociétés à capital mixte, afin d'augmenter la rétention des retombées de l'activité et éviter ainsi un manque à gagner du fait des capitaux étrangers.
-Enfin, les exportations ne sont pas une fin en soi. La qualité du produit par la R&D créera d’elle-même la demande de l’étranger.  
En somme, l’intelligence économique voudrait que nous disposions d'une ingénierie financière utilisant les sociétés à capital mixte et à gestion privée (il ne se s'agit donc pas de nationalisme et la France a utilisé ce montage financier à travers les SEM (Sociétés à Économie mixte)). Ces capitaux mixtes garantissent la prise en compte effective de l'intérêt général dans les objectifs de l'entreprise et en même temps ils disposent de la souplesse d’une société de droit privé et de l’expertise internationale. Cette mixité entre fonds étrangers et fonds publics est d'ailleurs l'une des exigences que nous imposent les PTF (Partenaires Techniques et Financier) quand nous sollicitons leur aide au développement à travers le principe de la contre partie nationale. Ainsi, nous devons être assez intelligents pour reproduire le même type de capital mixte dans l'exploitation de nos ressources par des entreprises étrangères. Car les salaires, l'impôt sur sociétés et les droits d'exploitation sont insignifiants par rapport à la valeur marchande réelle de nos ressources, et c'est d'autant plus vrai que ces dépenses sont déjà comptabilisées et prévues dans les coûts d'exploitation de ces sociétés étrangères. En réalité, le nerf de la guerre est le bénéfice annuel réalisé par la société après 12 mois d'exploitation de nos ressources. Et qu’on ne s’y trompe pas, le seul moyen pour l'État et les populations de bénéficier de manière équitable de la vraie valeur de nos ressources sur le marché international est de détenir une part du capital d'investissement. Il ne sert à rien d'être un nationaliste borné et encore moins un libéral altruiste et utopique au point d'aller à l'encontre de ses intérêts, mais d’être un adepte de la realpolitik dans le sens où les idéologies politiques, les divers instruments d'action publique et l'environnement des affaires tant décrié n'ont de sens et d'intérêt que quand ils servent l'intérêt du peuple souverain en termes de rendement comptable. Des ressources inexploitées ne servent à rien, telle l'image de l'Afrique pauvre assis sur une chaise d'or. Et si nous ne nous réveillons pas, nous finirons dépossédé, pauvre et toujours assis ... mais cette fois, à même le sol et sur le tas d'immondices constituées par les déchets laissés par des soi-disant multinationaux, mais dont les capitaux servent l'intérêt de nations étrangères.
Et Mr AMADY ALY DIENG avait raison de nous dire en première année à l’UCAD  que «  De l’histoire de l’humanité, les capitaux étrangers n’ont jamais été à l’origine du développement économique d’une nation pauvre ».
 
Moussa Bala Fofana (Canada-Montréal) – ctfofana.matcl@gmail.com
* Conseiller Financier en Banque & Représentant en Épargne collective.
- Chef de Projet en Planification de la Politique des Pouvoirs Publics.
- Ingénieur d’Étude en Planification Spatiale (Aménagement et urbanisme) de l’INPL – Institut National Polytechnique   Lorraine
- Spécialiste en Sociologie du Développement, des Organisations et de l’Action  Publique
- Expert en Développement Territorial, Développement Économique Local et Transfrontalier
Samedi 12 Juillet 2014
Daddy Diop