Comment Nicolas Sarkozy a appris l'arrestation de DSK


Ces nuits-là restent toujours comme des moments étranges dans un quinquennat : quand, à l'heure où dorment les présidents, surgit un événement qui ne relève pas seulement du fait divers mais aussi de la diplomatie, voire de la politique. Comme ce soir d'août 1997 où Lady Di est morte sous un pont parisien, la nuit du samedi 14 au dimanche 15 mai restera gravée dans la chronique française. Car l'homme auquel la police new-yorkaise passe les menottes n'est pas seulement le patron du Fonds monétaire international. Dominique Strauss-Kahn se préparait à affronterNicolas Sarkozy  à la présidentielle de 2012.
 

Soucieux de laisser cette affaire empoisonner la seule gauche, l'Elysée s'est montré très discret sur la manière dont le chef de l'Etat a appris la nouvelle. Alimentant du coup maladroitement, au PS, des accusations de "complot" et des sous-entendus sur le rôle de prétendues "officines françaises". Obligeant le groupe hôtelier à "démentir formellement les allégations" sur une éventuelle manipulation.Récit de ces heures cruciales dans l'entourage du président.

Samedi 14 mai, 22 h 52, fin du match Lille-PSG au Stade de France. Dans la loge présidentielle, pour applaudir la finale de la Coupe de France de football, Nicolas Sarkozy, quelques ministres, Martine Aubry  mais aussi, à deux mètres, "Jo" Querry, le responsable à Paris de la sécurité du groupe Accor, donc du fameux Sofitel de New  York, que Dominique Strauss-Kahn  a quitté à 18 h 28, heure parisienne. Martine Aubry s'ouvre à Roselyne Bachelot, avant de le faire plus tard devant des journalistes, de l'air préoccupé du président, qu'il s'affaire sur son Blackberry ou remette, à 22 heures 52, la coupe au capitaine lillois - quelques minutes à peine après que DSK a été interpellé à l'aéroport JFK par la police new-yorkaise. "Ridicule, soupire l'Elysée. Il est toujours comme ça." Au Monde, "Jo" Querry assure qu'au Stade de France, "ni lui ni personne ne peut encore rien savoir".

23 heures 45, Querry "sonne" Ange Mancini. A 23 h 45, le patron de l'hôtel new-yorkais prévient de "l'affaire DSK" le permanencier parisien du groupe hôtelier, qui téléphone à son chef, M. Querry. "Il arrive une chose incroyable. DSK aurait eu une histoire sexuelle avec une de nos employées..." M. Querry sonne immédiatement son ami de trente-cinq ans, le coordonnateur du renseignement à l'Elysée, Ange Mancini. Et non, Place Beauvau, le directeur de la Coopération internationale (DCI),Emile Perez, qui lui en fera (aimablement) le reproche. Lui-même n'est averti que par le circuit diplomatique "classique", bien plus lent : un télégramme de l'attaché de sécurité intérieure, prévenu par l'ambassadeur de France à New York, lui-même appelé par le consul de France, Philippe Lalliot, premier Français officiellement informé par le NYPD : il sera le seul à rendre visite à DSK au commissariat d'Harlem. M. Perez ne réveille donc que tard dans la nuit ses deux "tutelles" :Frédéric Péchenard, le patron de la police, et Jacques Mignaux, pour la gendarmerie.

Vers minuit, le mail d'alerte du directeur du Sofitel est réexpédié à l'Elysée. Au téléphone, Mancini demande à son ami "Jo" de répéter calmement : "Tu es sûr de ton coup ?" Puis il alerte le directeur du cabinet du président, Christian Frémont, qui se montre incrédule. Nouveau coup de fil de M. Mancini à son copain d'Accor : "Jo, on est sceptiques... T'es sûr que c'est pas une blague ? C'est pas l'heure de rigoler." Pour preuve de sa bonne foi, M. Querry fait suivre à l'Elysée l'e-mail que vient de lui adresser, pour confirmation, le directeur du Sofitel.

Minuit trente, la Place Beauvau est en alerte. Averti par le directeur de son cabinet,Claude Guéant  recevra dans la nuit une quarantaine d'appels : chacun veut être le premier à apprendre la nouvelle au ministre de l'intérieur. Vers 2 heures du matin, alors que le New York Post et le New York Times "sortent" l'arrestation de DSK, confirmant les premiers tweets échangés trois heures plus tôt, Nicolas Sarkozy est, semble-t-il, réveillé et apprend la nouvelle à son tour. Et non pas, comme l'a dit d'abord l'Elysée, "le matin, à l'heure du petit déjeuner".

Dimanche à l'aube, dans un château allemand, le criminologue Alain Bauer ronge son frein. Il a donné la veille une conférence, s'est réveillé à 5 heures du matin, a trouvé son téléphone saturé de messages d'amis américains. Est-il 8 heures ? Un peu plus tard ? Dès qu'il juge l'horaire décent, il joint en tout cas "Nicolas" qu'il conseille régulièrement sur les questions de sécurité. "On m'a prévenu", souffle le président, très peu disert. Puis : "Tu vois ça comment ? " M. Bauer lui expose le fonctionnement de la justice américaine : "Il n'y aura pas de mise en examen avant trois jours", se trompe-t-il d'ailleurs.

Dimanche, 9 heures, Nicolas Sarkozy appelle Xavier Musca. C'est leur rituel dominical. "Tu as entendu la radio ? Qu'est-ce que tu en penses ?", demande le président au secrétaire général de l'Elysée. M. Musca a reçu dans la nuit un SMS du service de permanence et d'information, puis un appel de M. Frémont. Calmement, il a décidé : "On ne réveille pas le président."
Ariane Chemin

Lundi 11 Juillet 2011