Cheikh Béthio Thioune n’est pas un citoyen ordinaire (Omar Ba)


Le 16 octobre 2012, à la surprise générale, on...

... apprenait que Cheikh Béthio Thioune, détenu depuis le mois d’avril, a été transféré à la Maison d’arrêt de Rebeuss à Dakar. Une décision prise la veille aurait rendu possible cette opération qui s’est faite nuitamment dans des conditions non encore élucidées.



Depuis cette date, les médias se sont emparés de l’affaire avec des commentaires dans lesquels un novice peut se perdre. L’occasion d’analyser ce qui s’est passé avec toute la lucidité qui sied.

Dans toute la presse on lit qu’il s’agit d’un «transfèrement». Un terme juridique qui est à différencier d’un autre, «transfert», qui ne recouvre pas la même chose. Le transfèrement est une disposition du droit international qui permet à une personne condamnée dans un pays étranger de pouvoir purger sa peine dans son pays d’origine. L’objectif de cette opération est essentiellement humanitaire. Il s’agit de permettre au détenu d’être plus près de sa famille, de bénéficier d'un accès adapté aux moyens de réinsertion tout en étant préparé à sa libération.

Ce à quoi nous assistons avec le guide des Thiantacounes ne semble reposer sur aucune base légale pour deux raisons majeures. La première raison est que Cheikh Béthio Thioune n’a encore fait l’objet d’aucune condamnation. Il purge une détention préventive qui dure depuis sept (7) mois. On ne peut parler de transfèrement pour un accusé non encore jugé. La deuxième raison – qui n’est pas la moindre - est que la prison vers laquelle il a été acheminé se trouve dans le même pays, le Sénégal. Sans oublier le fait qu’il ne s’agit pas de lui rendre la détention plus facile, comme le prévoit tout accord sur le transfèrement, car nul doute que Rebeuss sera beaucoup difficile pour le détenu.

Autant de raisons de douter du fondement juridique de l’opération à laquelle nous avons assisté. On a invoqué des motifs administratifs pour justifier le transfert mais depuis quand le droit administratif prime sur les droits de l’Homme ? Même l’étudiant en premier année de droit international public reconnaîtra qu’il y a ce qu’on appelle des «normes impératives» ou jus cogens, qui sont au-dessus de toutes les autres. On peut citer parmi elles l’interdiction du génocide, de la torture, de l’apartheid, de l’esclavage, bref de toute violation des droits de la personne humaine. Dès lors, invoquer une décision administrative pour remettre en cause les droits d’un détenu relève de l’amateurisme judiciaire.

Au-delà de ces problèmes strictement juridiques que pose cette affaire, surgissent des dommages collatéraux que les autorités compétentes ne peuvent s’exonérer de prendre en considération. «Cheikh Béthio Thioune est un citoyen ordinaire» chante-t-on sur tous les toits. Pour plusieurs raisons cette affirmation est erronée. A 74 ans, il est peut-être le détenu le plus âgé du pays en plus d’être malade, à en croire ses médecins. A quoi il faut ajouter les centaines de milliers de disciples que comptent son mouvement sans oublier le rôle médiatique, politique et social que l’homme a joué au Sénégal, malgré les polémiques régulières qui l’ont émaillé. On peut décider de fermer les yeux sur tout ceci en brandissant le principe de l’égalité des citoyens devant la loi mais on ne peut raisonnablement traiter la question «Béthio Thioune» comme un banal fait divers. La preuve en est que le simple changement de son lieu de détention a suscité le saccage de près de neuf (9) bus de Dakar Dem Dikk, le caillassage d’un cortège de la présidence et la blessure de 2 personnes sans compter la perturbation de la circulation sur la corniche et l’avenue Malick Sy. Sans cautionner ces actes inacceptables, il ne serait pas responsable de les ignorer.

Il n’est pas question d’un quelconque traitement de faveur car le guide des Thiantacounes est déjà en train de payer pour ce qu’on lui reproche. Il s’agit pour la Justice de ce pays de faire preuve d’encore plus de professionnalisme. «Professionnalisme !», c’est le mot qui semble ne rien évoquer dans l’esprit d’un certain nombre de responsables de l’enquête. En effet, on ne compte plus le nombre de fois où des éléments confidentiels de l’instruction se sont retrouvés dans la presse, y compris avec des détails à couper le souffle. Ces attitudes ne sont pas de nature à rassurer les citoyens.

Il est peut-être temps pour la Justice de sortir de son attentisme et de ses tergiversations pour organiser de la façon la plus impartiale ce procès que tout un pays attend. Tel est l’unique moyen d’éviter que l’affaire reste phénomène politico-médiatique dont on ne maitrisera guère les dérapages.



Omar Ba avec Baolnews.com
Samedi 20 Octobre 2012
Omar Ba