Candidature de Wade : le Conseil constitutionnel sénégalais sous pression


Sur la validité de la candidature d'Abdoulaye Wade à la présidentielle de février 2012 au Sénégal, chacun a déjà donné son avis. Sauf le Conseil constitutionnel qui doit désormais trancher, le 27 janvier prochain. Portait d'une institution sous haute pression.
Le Conseil constitutionnel sénégalais est sur les dents. Le 27 janvier prochain, il devra décider de la validité de la candidature d’Abdoulaye Wade, qui souhaite se présenter pour un troisième mandat. Une éventualité qui fait bondir les organisations de la société civile. Celles-ci estiment que le chef de l’État, 85 ans, ne peut se représenter car l’exercice de ses fonctions est limitée à deux mandats depuis la réforme de la Constitution en 2001. Elles lui ont même lancé un ultimatum.
Selon les défenseurs de Wade, son premier mandat ne peut être comptabilisé puisque la réforme constitutionnelle n’a eu lieu qu’un an après son élection, en 2000. Les pressions antagoniques sont donc fortes sur la plus haute juridiction de l’État, créée en 1992, et dont les décisions ne font l’objet d’aucun recours. Juge constitutionnel mais aussi électoral, le Conseil est composé de cinq membres, nommés par décret par le président de la République, et ce pour six ans non renouvelables.
Ancien président de la Cour d’appel de Dakar, Cheikh Tidiane Diakhaté est à la présidence du Conseil constitutionnel depuis août 2010. À la vice-présidence, depuis début janvier 2009, le professeur agrégé de droit Isaac Yankhoba Ndiaye. À 56 ans, cet ancien doyen de la faculté des sciences juridiques et politique de Dakar est le magistrat le plus jeune. Mais aussi, selon les observateurs, le plus indépendant.
Prudence et consensus
Les trois autres membres du Conseil sont Mouhamed Sonko, magistrat et ancien président du Conseil d’État, Chimère Malick Diouf, magistrat et ancien directeur des Affaires criminelles et des Grâces et enfin Siricondy Diallo, ancien chef de l’Inspection générale d’État. Chez les cinq Sages, la prudence est de mise. Un seul d’entre eux a accepté de répondre à nos questions, sous couvert de l’anonymat. « L’ambiance est sereine. Nous pouvons avoir des avis différents mais la règle c’est le consensus », explique-t-il. « Et pour le moment nous ne pouvons pas dire que notre cœur balance d’un côté ou de l’autre ».
Une affirmation qui laissera sceptique de nombreux Sénégalais. « En se déclarant souvent incompétents sur des questions pour lesquelles ils ont été saisi, les Sages ont donné l’impression d’être plutôt proches du pouvoir », assure le politologue Abdoul Aziz Diop, auteur d’Une succession en démocratie : les Sénégalais face à l’inattendu.
Et en attendant la décision du Conseil, les esprits s’échauffent. L’ancien bras droit de Wade et candidat à la présidentielle, Idrissa Seck, a expliqué le 2 septembre qu’il serait « prêt à tout » pour obliger le président à respecter la Constitution. Le mardi suivant, Serigne Mbacké Ndiaye, le porte-parole de la présidence répondait : « nous sommes sûr de la validité de notre candidature ».
Sortie glorieuse
Selon la majorité des constitutionnalistes, l’invalidité de la candidature d’Abdoulaye Wade ne fait pourtant aucun doute. comme « La Constitution de 2001 veut qu’un Sénégalais n’exerce pas plus de deux mandats présidentiels. Le président sortant a épuisé les deux mandats », tranche le professeur agrégé de droit Ismaila Madior Fall.
Le président passera-t-il outre l’avis des constitutionnalistes pour forcer la main au Conseil ? Quelle que soit la réalité de l’hypothèse, une autre possibilité se dessine. « On prête à Wade l’organisation d’une sortie glorieuse, en demandant au Conseil de ne pas valider sa candidature. Résultat, le monde entier l’applaudira », souligne le politologue Babacar Justin Ndiaye.
Reste que le sujet est si sensible que la question de la sécurité des Sages se pose. « Le gouvernement a beau dire qu’ils ne laisseront personne s’en prendre à leurs familles, leur position est inconfortable. Des violences à leur encontre pourraient aussi bien venir de la mouvance de l’opposition que du PDS », précise le journaliste et analyste politique Mame Less Camara. Une menace que notre Sage relativise avec un air serein : « À part la pression des médias nous ne subissons aucunes intimidation directe ». Pour le moment…


( Jeune Afrique )
Lundi 10 Octobre 2011