Dans son homélie qui a remarquablement ponctué la messe de minuit, du 24 décembre dernier, Son Eminence le Cardinal Adrien Théodore Sarr s’est fait l’avocat ardent de la résurrection de la morale de plus en plus agonisante au Sénégal. Avec le vocabulaire apostolique qui sied, le chef de l’Eglise locale a dit des vérités à haute teneur politique, dans un contexte politiquement alarmant. Et dans une situation militaire très préoccupante au sud du pays.
L’Archevêque de Dakar pouvait-il garder le silence résigné ou brasser des abstractions théologiques, face à une conjoncture si bourrée d’inquiétudes palpables ? Sûrement pas. D’abord, un berger muet conduit mal le troupeau. Ensuite, un veilleur de nuit et…d’âmes sonne, chaque fois que c’est nécessaire, le tocsin. Et Dieu sait qu’avant et après la célébration de la Nativité, les évènements vécus ou en cours, sont plus chargés de cauchemars et de cadavres que de cadeaux de Noël.
En Casamance, les militaires ont réveillonné dans des casemates fortifiées (sans lumières) loin de leurs familles, à la fois, dans l’attente et la crainte d’une attaque à l’issue de la quelle, leurs rangs seront clairsemés. A Dakar – capitale censée être plus sécurisée que les villages de Diégoune et de Kabeumb – les sinistres cadeaux de Noël précocement servis (le 23 décembre) ont pris les formes d’impacts de balles bariolant les murs des villas riveraines de la mairie de Sicap-Mermoz. Une commune d’arrondissement tragiquement célèbre pour avoir enregistré son cadavre…de Noël.
C’est justement pour en finir avec le chancre mou de la Casamance sur le corps du Sénégal que le Cardinal Sarr a prié. C’est, aussi et surtout, pour inciter les acteurs politiques et les citoyens à redresser un système démocratique qui vire dangereusement vers la « nervicratie » et mène fatalement à la « farwestocratie », que l’Archevêque de la capitale, a longuement parlé.
Morceaux choisis d’un florilège qui convoquent lourdement la morale avec une tonalité nettement évènementielle : « Nous devons changer nos cœurs endurcis par l’esprit de fraude, de duperie, d’appétit du pouvoir et de violence… ». L’allusion à l’élection présidentielle est claire. Ensuite, le rappel à l’ordre moral en direction des populations, est sans fioritures : « Il faut refuser de vendre sa conscience en échange de sommes d’argent, même en ces temps difficiles ». Puis, la mise en garde est corsée par un avis versé dans le vif débat sur la Charte Fondamentale : « La Constitution, gage du consensus national, doit être respectée ». Enfin, l’identification des chantiers de l’éthique – éclipsés par les chantiers de l’Apix – est parfaitement opérée : « Oui, aux grands chantiers ; mais il y a les chantiers plus grands, notamment ceux du domaine de l’éthique et de la morale ».
La quintessence de ce discours prononcé sous la nef de la cathédrale, est une invite à une introspection dont la finalité doit rimer avec la réhabilitation d’une gamme de valeurs salvatrices comme la morale, l’éthique et le civisme. Une trilogie dont le Sénégal a grandement besoin. Du reste, un rapide inventaire de nos défaillances dans des domaines socialement névralgiques comme le civisme, la religion, la politique ou le travail, illustre un mal si profond qu’il a fait le lit du sénégalo-pessimisme.
Au plan civique, un déficit inadmissible prévaut et persiste cinquante ans après l’indépendance. Or, le pire des déficits, le plus mortel d’entre tous, n’est pas le déficit de la balance commerciale ou celui de la balance des paiements. Ce sont là, deux déficits qui peuvent être résorbés par des techniques de production ou de productivité. En revanche, le déficit fatal est bel et bien le déficit civique qui mine le contrat social, rompt l’équilibre de la nation et érode le patriotisme.
Plus désespérant encore, tout se passe comme si le Sénégalais s’est fâché avec une seconde trilogie : Etat, Loi et Discipline. En effet, la relation que le citoyen sénégalais entretient avec la loi, les institutions – et même plus généralement avec les règlements – n’est pas, comme il se doit, impersonnelle. Exemple : face à un prestataire de services, public ou privé, au lieu d’être à cheval sur les normes requises ou de satisfaire les conditions préétablies, il convoque par d’interminables salamalecs, la proximité sociale ou la parenté biologique, pour mieux biaiser avec les impératifs.
Ici, le poids de la culture contrebalance la somme des expertises. Autre exemple frappant et courant : les cadres sénégalais formés dans Hexagone, sont parfois mieux notés que leurs condisciples français à l’Ena, Hec, X ou Centrale etc. Mais dans l’exercice ultérieur de leurs responsabilités, le futur Préfet des Alpes Maritimes à Nice, aura un comportement plus conforme aux canons de la bonne gouvernance que son ex-camarade de promotion devenu par la suite chef de l’Exécutif régional à Tambacounda où il n’hésite pas à rançonner paysans et commerçants, à longueur d’années.
Bien entendu, il ne s’agit guère de tare congénitale mais de « mœurs qui selon Maurice Barrès sont au dessus des lois, des coutumes et même au dessus de la vérité ». Plus amplement, le triple rapport à la chose publique, à la postérité et à l’argent constitue le talon d’Achille de la bonne gouvernance chez nous Le Président Senghor avait demandé, en petit comité, à ses collaborateurs, comment la langue ouolof traduisait le mot « pouvoir» ? Réponse : « Ngur ». Et Senghor, sur un air et un ton navrés, de rétorquer qu’il est désolant de voir que ce qui est en fait un sacerdoce, soit compris et vécu comme la nouba. Regrettable, quand on sait qu’une nation ne puise sa force que dans le respect des lois.
Sans charger les hommes politiques de tous les péchés d’Israël, le poids des réalités incline à souligner leur part de responsabilité dans certaines défaillances managériales. C’est au demeurant une vaste expérience de la gestion des hommes et des choses qui a fait dire à un médecin, planteur et syndicaliste comme Houphouët Boigny que « la malhonnêteté tue la compétence ». Du coup, la responsabilité des hommes politiques qui vivent leur métier comme un filon d’or et non comme un sacerdoce, devient certes parcellaire, mais patente. D’où la pénurie d’hommes d’Etat et l’excédent de politiciens.
Toujours dans la gamme des défaillances civiques d’origine politique, figure la contradiction flagrante et dévastatrice entre le parfait discours sur la bonne gouvernance et la réelle pratique de mal gouvernance au quotidien. Au Sénégal, le naufrage du bateau « Le Joola » qui a envoyé 1800 vies au fond de l’océan, et personne en prison ou devant le juge, dans un pays (autoproclamé) Etat de droit, en est une fâcheuse démonstration.
Les chantiers ci-dessus identifiés par et dans l’homélie du Cardinal Adrien Théodore Sarr, sont infiniment plus difficiles à boucler que l’aéroport de Diass et l’autoroute à péage cumulés. Pour deux raisons. Premièrement, la notion de sinécure est beaucoup trop attachée, aujourd’hui, à la notion d’Etat. Deuxièmement, l’individualisme forcené remonte inexorablement à la surface d’une société sénégalaise très mal arrimée à l’intérêt national.
Décryptage Par Babacar Justin NDIAYE
L’Archevêque de Dakar pouvait-il garder le silence résigné ou brasser des abstractions théologiques, face à une conjoncture si bourrée d’inquiétudes palpables ? Sûrement pas. D’abord, un berger muet conduit mal le troupeau. Ensuite, un veilleur de nuit et…d’âmes sonne, chaque fois que c’est nécessaire, le tocsin. Et Dieu sait qu’avant et après la célébration de la Nativité, les évènements vécus ou en cours, sont plus chargés de cauchemars et de cadavres que de cadeaux de Noël.
En Casamance, les militaires ont réveillonné dans des casemates fortifiées (sans lumières) loin de leurs familles, à la fois, dans l’attente et la crainte d’une attaque à l’issue de la quelle, leurs rangs seront clairsemés. A Dakar – capitale censée être plus sécurisée que les villages de Diégoune et de Kabeumb – les sinistres cadeaux de Noël précocement servis (le 23 décembre) ont pris les formes d’impacts de balles bariolant les murs des villas riveraines de la mairie de Sicap-Mermoz. Une commune d’arrondissement tragiquement célèbre pour avoir enregistré son cadavre…de Noël.
C’est justement pour en finir avec le chancre mou de la Casamance sur le corps du Sénégal que le Cardinal Sarr a prié. C’est, aussi et surtout, pour inciter les acteurs politiques et les citoyens à redresser un système démocratique qui vire dangereusement vers la « nervicratie » et mène fatalement à la « farwestocratie », que l’Archevêque de la capitale, a longuement parlé.
Morceaux choisis d’un florilège qui convoquent lourdement la morale avec une tonalité nettement évènementielle : « Nous devons changer nos cœurs endurcis par l’esprit de fraude, de duperie, d’appétit du pouvoir et de violence… ». L’allusion à l’élection présidentielle est claire. Ensuite, le rappel à l’ordre moral en direction des populations, est sans fioritures : « Il faut refuser de vendre sa conscience en échange de sommes d’argent, même en ces temps difficiles ». Puis, la mise en garde est corsée par un avis versé dans le vif débat sur la Charte Fondamentale : « La Constitution, gage du consensus national, doit être respectée ». Enfin, l’identification des chantiers de l’éthique – éclipsés par les chantiers de l’Apix – est parfaitement opérée : « Oui, aux grands chantiers ; mais il y a les chantiers plus grands, notamment ceux du domaine de l’éthique et de la morale ».
La quintessence de ce discours prononcé sous la nef de la cathédrale, est une invite à une introspection dont la finalité doit rimer avec la réhabilitation d’une gamme de valeurs salvatrices comme la morale, l’éthique et le civisme. Une trilogie dont le Sénégal a grandement besoin. Du reste, un rapide inventaire de nos défaillances dans des domaines socialement névralgiques comme le civisme, la religion, la politique ou le travail, illustre un mal si profond qu’il a fait le lit du sénégalo-pessimisme.
Au plan civique, un déficit inadmissible prévaut et persiste cinquante ans après l’indépendance. Or, le pire des déficits, le plus mortel d’entre tous, n’est pas le déficit de la balance commerciale ou celui de la balance des paiements. Ce sont là, deux déficits qui peuvent être résorbés par des techniques de production ou de productivité. En revanche, le déficit fatal est bel et bien le déficit civique qui mine le contrat social, rompt l’équilibre de la nation et érode le patriotisme.
Plus désespérant encore, tout se passe comme si le Sénégalais s’est fâché avec une seconde trilogie : Etat, Loi et Discipline. En effet, la relation que le citoyen sénégalais entretient avec la loi, les institutions – et même plus généralement avec les règlements – n’est pas, comme il se doit, impersonnelle. Exemple : face à un prestataire de services, public ou privé, au lieu d’être à cheval sur les normes requises ou de satisfaire les conditions préétablies, il convoque par d’interminables salamalecs, la proximité sociale ou la parenté biologique, pour mieux biaiser avec les impératifs.
Ici, le poids de la culture contrebalance la somme des expertises. Autre exemple frappant et courant : les cadres sénégalais formés dans Hexagone, sont parfois mieux notés que leurs condisciples français à l’Ena, Hec, X ou Centrale etc. Mais dans l’exercice ultérieur de leurs responsabilités, le futur Préfet des Alpes Maritimes à Nice, aura un comportement plus conforme aux canons de la bonne gouvernance que son ex-camarade de promotion devenu par la suite chef de l’Exécutif régional à Tambacounda où il n’hésite pas à rançonner paysans et commerçants, à longueur d’années.
Bien entendu, il ne s’agit guère de tare congénitale mais de « mœurs qui selon Maurice Barrès sont au dessus des lois, des coutumes et même au dessus de la vérité ». Plus amplement, le triple rapport à la chose publique, à la postérité et à l’argent constitue le talon d’Achille de la bonne gouvernance chez nous Le Président Senghor avait demandé, en petit comité, à ses collaborateurs, comment la langue ouolof traduisait le mot « pouvoir» ? Réponse : « Ngur ». Et Senghor, sur un air et un ton navrés, de rétorquer qu’il est désolant de voir que ce qui est en fait un sacerdoce, soit compris et vécu comme la nouba. Regrettable, quand on sait qu’une nation ne puise sa force que dans le respect des lois.
Sans charger les hommes politiques de tous les péchés d’Israël, le poids des réalités incline à souligner leur part de responsabilité dans certaines défaillances managériales. C’est au demeurant une vaste expérience de la gestion des hommes et des choses qui a fait dire à un médecin, planteur et syndicaliste comme Houphouët Boigny que « la malhonnêteté tue la compétence ». Du coup, la responsabilité des hommes politiques qui vivent leur métier comme un filon d’or et non comme un sacerdoce, devient certes parcellaire, mais patente. D’où la pénurie d’hommes d’Etat et l’excédent de politiciens.
Toujours dans la gamme des défaillances civiques d’origine politique, figure la contradiction flagrante et dévastatrice entre le parfait discours sur la bonne gouvernance et la réelle pratique de mal gouvernance au quotidien. Au Sénégal, le naufrage du bateau « Le Joola » qui a envoyé 1800 vies au fond de l’océan, et personne en prison ou devant le juge, dans un pays (autoproclamé) Etat de droit, en est une fâcheuse démonstration.
Les chantiers ci-dessus identifiés par et dans l’homélie du Cardinal Adrien Théodore Sarr, sont infiniment plus difficiles à boucler que l’aéroport de Diass et l’autoroute à péage cumulés. Pour deux raisons. Premièrement, la notion de sinécure est beaucoup trop attachée, aujourd’hui, à la notion d’Etat. Deuxièmement, l’individualisme forcené remonte inexorablement à la surface d’une société sénégalaise très mal arrimée à l’intérêt national.
Décryptage Par Babacar Justin NDIAYE