Barack et Michelle Obama : l'adieu à la Maison Blanche

Le rideau va bientôt se refermer sur sa présidence. Leur présidence, pourrait-on écrire, tant Michelle aura été cruciale pour le parcours de son mari. Huit ans plus tard, Barack Obama n’a tenu qu’une partie de ses promesses. Mais il quittera le pouvoir avec plus de 55 % d’opinions favorables. Et 64 % pour Michelle.


Ce n’était pas prévu qu’il vienne, mais le président n’est plus à une surprise près. Ce 6 octobre, Barack Obama a débarqué seul, et en bras de chemise, au potager de la Maison-Blanche. Michelle l’avait créé dans le cadre de sa campagne « Let’s Move ! » contre l’obésité et la malbouffe. C’était il y a presque huit ans, alors qu’elle faisait ses premiers pas de First Lady. Bien avant qu’elle ne démontre ses talents d’animal politique en montant à la tribune défendre Hillary Clinton, celle qui pourrait succéder à son mari… Ce jour-là, elle est au milieu de ses plantations, entourée par les dizaines d’enfants qu’elle a réunis pour la récolte d’automne. Sa dernière. Ensemble, Michelle et Barack passent d’un groupe à un autre en plaisantant. Ils prennent leur temps. Comme un avant-g-oût de ce qui les attend dans quelques semaines, le charme tranquille de la retraite…


Le 30 avril, déjà, le dîner annuel des correspondants de presse à la Maison-Blanche était empreint de nostalgie. Avec humour, Barack Obama faisait remarquer qu’il était à la hausse dans les sondages. « Pourtant, je n’ai rien changé », lançait-il, sourire en coin, tandis qu’au même moment apparaissaient sur les écrans géants deux photos sinistres : celle de Donald Trump, pas encore investi candidat républicain à l’époque, et une autre de son rival, Ted Cruz. Eclats de rire dans la salle. Le président enchaînait : « C’est bien ! Avec une popularité pareille, je vais bientôt me faire quelques Tubman en plus. » Des Tubman ? Les VIP comprennent qu’il s’agit de Harriet Tubman, égérie noire de la lutte contre l’esclavage, dont le visage orne désormais les nouveaux billets de 20 dollars. L’allusion à Hillary Clinton et à son goût pour les conférences rémunérées 200 000 dollars (soit 10 000 Tubman !) est transparente. Mais il peut se permettre ce petit plaisir.


Car depuis quelques mois, un vent nouveau s’est levé sur le pays. Un signe parmi d’autres, la déclaration d’amour de David Brooks, l’éditorialiste conservateur du « New York Times » : « I love Obama ! » Au moment de quitter la scène, le président jouit de 55 % d’opinions favorables, presque autant que Ronald Reagan à la fin de son mandat (57 % en novembre 1988), renouant avec la cote de popularité de ses débuts au pouvoir. « Son élection avait été vécue comme l’arrivée de Dieu sur terre », rappelle Michael Days, auteur du livre « Obama’s Legacy » (éd. Hachette Book Group). Pendant sa campagne, le candidat avait osé promettre l’impossible : réconcilier l’Amérique avec elle-même. Mais il suffit de constater le niveau des insultes de la campagne actuelle pour comprendre que le miracle n’a pas eu lieu, loin de là. L’Amérique n’a pas dépassé ses oppositions bipartisanes, encore moins ses clivages raciaux au vu du nombre de fusillades et d’Afro-Américains tués par des policiers sous la présidence Obama. Ironie de l’histoire : c’est sous le mandat du premier président noir des Etats-Unis qu’a émergé le mouvement Black Lives Matter… Mais à l’époque, le pays tout entier avait envie d’y croire. « Yes, we can » était devenu le slogan plein d’espoir d’une nation désenchantée.

Hilary et Barack Obama Rivaux en 2008 lors de la primaire démocrate, alliés aujourd’hui : Barack Obama et Hillary Clinton dans le patio du bureau Ovale, le 29 juillet.
© Chuck Kennedy / The White House
L’état de grâce ne durera pas. La faute à la crise. Huit millions d’emplois envolés ! Obama tergiverse, puis tranche à moitié, passant pour l’homme du consensus mou. Lui qui avait juré d’en finir avec les excès de la finance laisse les P-DG empocher des dizaines de millions de dollars de bonus, tout en renflouant au frais du contribuable les pertes créées par ces derniers. Il promet de réformer le système bancaire, de sanctionner les mastodontes auteurs de la récession ; mais les coupables, Goldman Sachs, Citibank et compagnie sont toujours là et se portent bien. Les électeurs de l’aile gauche de son parti ne lui ont toujours pas pardonné : leurs votes se sont reportés sur Bernie Sanders lors de la primaire démocrate. Quant aux républicains, Obama passe à leurs yeux pour un dangereux étatiste : l’homme qui a injecté près de 800 milliards de dollars d’argent public dans l’économie américaine ne peut être qu’un ennemi de la libre entreprise. Une majorité d’électeurs l’estime responsable du lent redémarrage de la croissance. Son projet phare de couverture santé est malmené. Même si elle a permis à 20 millions d’Américains d’avoir accès à une prise en charge médicale, sa réforme, timorée et bancale, reste bien en deçà de ses promesses électorales : ses partisans lui en tiennent rigueur, ses adversaires le conspuent. Verdict des urnes : en novembre 2010, deux ans après son élection triomphale, Obama perd sa majorité au Congrès.



Les républicains reviennent en force, et pas les plus modérés : la Chambre des représentants doit désormais compter avec les élus de la branche Tea Party, mouvement très conservateur et anti-étatiste du parti.  Obama est, dit-on à l’époque, déprimé, raide dans ses certitudes et aveuglé par son aura. Il n’a pas compris que les républicains ne se soient pas ralliés derrière sa bannière, alors que le pays était au bord de l’abîme, quand il s’est installé à la Maison-Blanche. Aujourd’hui, il reconnaît avoir péché par « naïveté » et négligé le service après-vente de sa politique. En janvier, il a même admis que, dans ce domaine, Abraham Lincoln et Franklin Roosevelt auraient fait un bien meilleur boulot que lui…

En 2012, Obama repart pour quatre années de pouvoir. Mais plus personne ne rêve

On a beaucoup accusé le 44e président de manquer de modestie, mais cela ne l’a pas empêché de faire son mea culpa. Encore moins de rebondir. Au terme d’une campagne laborieuse en 2012, il réussit à battre le falot Mitt Romney, son rival républicain qui a cru qu’il pouvait emporter l’élection présidentielle en misant sur son image de businessman (déjà). Le chômage est alors revenu dans la zone des 8 %, un niveau qui ferait rêver la France aujourd’hui. Obama repart pour quatre années de pouvoir. Mais plus personne ne rêve. Et tout le monde a en tête la malédiction du second mandat. Ronald Reagan empêtré dans l’Irangate, Bill Clinton assommé par les révélations de Monica Lewinsky, George W. Bush englué dans la guerre en Irak et la crise des subprimes… Pourtant, Obama échappe à la fatalité : aucun scandale ne vient entacher son bilan. Et à chacune des tragédies qui ont assombri ses huit ans de règne, il a su trouver les mots pour réconforter et panser les plaies, à défaut d’imposer un contrôle du port d’armes.

La candidate démocrate le 26 octobre, jour de son 69e anniversaire, à Miami, où elle a assisté la veille à un concert d’Adele. La candidate démocrate le 26 octobre, jour de son 69e anniversaire, à Miami, où elle a assisté la veille à un concert d’Adele.
© Carlos Barria / Reuters
Son charisme compense son manque de résultat. En juin 2015, après l’exécution de neuf Noirs dans une église de Charleston par un jeune Blanc raciste, il entonne « Amazing Grace », un hymne abolitionniste écrit en 1772, devant une assistance médusée lors des obsèques d’une des victimes. « Son image personnelle est immaculée », analyse Gil Troy, professeur à l’université McGill et spécialiste de l’histoire des présidents des Etats-Unis. « Les Américains lui font crédit d’avoir au moins essayé de changer les choses », renchérit Peter Baker, journaliste au « New York Times ». Son lien avec eux semble même plus fort que jamais. Certes, il n’a pas réussi à redonner des boulots bien payés à tout le monde, d’où le mouvement de colère qui balaie un pays où le fameux American Dream ressemble de plus en plus à une chimère. Mais l’économie est aujourd’hui proche du plein-emploi, avec un chômage à 5 %, une croissance de 2,9 % au dernier trimestre et un déficit budgétaire réduit des deux tiers. Selon la plupart des experts économiques, son interventionnisme a permis d’éviter que la crise de 2008 ne se transforme en récession de longue durée, comme dans les années 1930. Même le Prix Nobel d’économie Paul Krugman, autrefois très critique sur la « timidité » du plan Obama de relance, a dû récemment reconnaître s’être « trompé ».

Barack partage ses playlists sur les réseaux sociaux, Michelle danse dans le parc de la Maison-Blanche avec l’humoriste James Corden

« Si vous restez chez vous le jour de l’élection au lieu d’aller voter, je le prendrai comme un affront personnel ! » tonnait récemment Obama devant une assemblée de notables noirs démocrates. Lui qui se rêvait en Ronald Reagan de gauche, un président qui a fait bouger la société américaine, est aujourd’hui en campagne pour défendre son bilan. De ses deux mandats resteront dans l’histoire le redressement de l’économie, la création d’une couverture maladie pour tous et l’élimination de Ben Laden, ennemi public numéro un. Mais, dans le cœur des Américains, sont gravés à jamais le charme indéfinissable qui caractérise ce showman à l’allure toujours soigneusement décontractée, cette élégance cool et souriante d’un couple présidentiel aussi populaire que le furent en leur temps les Kennedy. De plus, ces John et Jackie du XXIe siècle ont intégré les codes de la société-spectacle et les vertus de l’autodérision. Barack partage ses playlists sur les réseaux sociaux, Michelle danse dans le parc de la Maison-Blanche avec l’humoriste James Corden, chante à tue-tête des chansons de Stevie Wonder ou de Beyoncé…

Et chacune de ses apparitions fait un malheur. Sa cote de popularité, qui flambe à 64 %, est digne d’une rock star. Première dame modèle, elle n’a jamais caché qu’elle avait du caractère. « Mais elle est toujours restée à sa place », explique l’historien Gil Troy. Plutôt que d’installer son bureau dans l’aile ouest de la Maison-Blanche, comme l’avait fait Hillary, Michelle a cultivé son potager. Aujourd’hui, elle aussi est en campagne… pour Hillary Clinton. Sa phrase fétiche à propos de Trump : « Quand il vise bas, restons tête haute » est devenue un classique de la candidate. Et si c’était la mauvaise First Lady qui se présentait à l’élection ? Il ne faut jamais sous-estimer les vertus du jardinage… Le 20 janvier 2017, le couple quittera l’épicentre du pouvoir pour s’installer dans une maison de neuf chambres à Kalorama, un quartier de Washington, jusqu’à ce que Sasha, la petite dernière, passe son bac et entre à l’université. 
Qu’on l’apprécie ou pas, Obama, Prix Nobel de la paix 2009, a gagné une place à part dans l’histoire des présidents américains : jeune, idéaliste et sans casseroles… A des années-lumière de celui ou celle qui lui succédera. 



























Dimanche 6 Novembre 2016
Yusufa Niang