Son bureau, aux larges baies vitrées, surplombe les grands entrepôts d’ensachage et de conditionnement de l’aliment de volaille, d’œufs de ponte et de poussins d’un jour.
Babacar Ngom, fondateur et PDG de Sedima Group, est un homme discret, presque secret. Pendant trente ans, le grand public n’avait jamais vu sa photo. Mis en lumière grâce à Facebook, sa page officielle a enregistré en à peine six mois plus de 100 000 amis. Pour la première fois depuis des années, l’homme prend le risque de s’exposer. «Ça vaut la peine», relativise celui qui exhorte les jeunes à avoir l’ambition de s’engager et à entreprendre. «Je leur dis souvent : réveiller ce leadership qui dort en vous. Tout le monde ne peut pas trouver un emploi dans l’administration. Il faut qu’il y en ait aussi qui donne du travail et je suis persuadé qu’en leur montrant des exemples et en les incitant à développer cette envie et ce courage, parce que ça nécessite aussi du courage..., insiste Babacar Ngom,
ils arriveront. Je dis bien oser : oser investir, oser prendre des risques, oser y aller. Aimer les défis», martèle celui qui n’a jamais été un salarié.
DE L’INFORMEL À L’INDUSTRIEL
L’homme raconte ses débuts aux allures de conte, comme seules les success-stories savent l’être. En 1976, Babacar, 22 ans, avec pour seuls diplômes un BEPC et un BEP en mécanique automobile, décide de s’établir à son propre compte. Son besoin d’indépendance lui fait choisir une activité qui le passionne, à savoir l’aviculture et l’élevage. Avec 120 poussins- chair et un investissement de 60 000 francs CFA (un peu moins de 100 euros), l’aventure Sedima débute dans une chambre de 16 m2, dans la banlieue dakaroise. Trois décennies plus tard, ce qui était au départ une activité informelle, puis un groupement d’intérêt économique (GIE), devenu SARL, puis SA, est devenu un consortium d’entreprises florissantes dont le chiffre d’affaires annuel atteint 20 Mds de francs CFA.
La société se consacre d’abord à l’aviculture, avec la production de poulets de chair. Pendant longtemps, l’homme a été le plus grand producteur de poulets au Sénégal.
Ensuite, l’activité se diversifie avec la poule pondeuse, la production d’œufs de consommation et, plus tard, l’importation de poussins.
Là aussi, il devient le plus gros importateur de poussins d’un jour au Sénégal. «Je faisais venir deux fois 19 000 poussins (deux palettes) par semaine», raconte le fondateur de Sedima.
Enfin, pour compléter la chaîne, en 1986, Babacar Ngom commence à produire de la provende, son propre aliment de volaille. Avant, il était contraint de l’acheter auprès de deux multinationales qui étaient les seules à en fournir. «J’ai commencé par faire l’aliment moi-même, dans ma ferme, et, plus tard, je me suis mis à le distribuer. Aujourd’hui Sedima, c’est une usine d’aliments d’une capacité de 1200000 tonnes avec un projet d’extension de 250 000 tonnes», précise son PDG.
Après l’alimentation, Sedima se lance dans la distribution de matériel avicole. En 1992, la société démarre l’accouvage en investissant cette fois dans le couvoir. Là encore, Sedima occupe la première place au Sénégal avec une capacité de production de 14 millions de poussins par an. «Nous avons remonté l’aval de la filière en investissant dans la reproduction car, jusque là, les œufs à couver qui nous permettent de faire les poussins d’un jour, étaient importés du Brésil ou de l’Europe. Ce métier, qui est très technique, nous l’avons développé au Sénégal et, aujourd’hui, nous produisons presque la totalité de nos œufs à couver-ponte et environ 80% de nos œufs à couver-chair. Avec l’ambition, en phase de concrétisation imminente, d’arriver non seulement à la totalité de nos besoins mais de pouvoir satisfaire aussi une demande nationale et sous-régionale. Ça, c’est au plan de l’aviculture», explique le chef d’entreprise.
Toujours dans une logique de diversification, le groupe s’est lancé, depuis quelques années, dans l’immobilier haut de gamme avec des plateaux de bureaux
– de grandes institutions sont logées dans ses différents immeubles. Une société de construction, Batix, spécialisée dans le BTP, qui construit pour Sedima mais aussi pour ses autres clients, a aussi été mise sur pied.
Enfin, le nouveau projet du groupe, une minoterie – usine de fabrication de farine boulangère et pâtissière –, qui a été pensé durant deux années, a démarré depuis mars 2014, avec une capacité de 250 tonnes d’écrasement de blé soit 200 tonnes de farine par jour. Arrivé dans un secteur très concurrentiel, Sedima compte également y gagner ses parts de marché.
Autre projet à l’étude : l’ouverture d’une nouvelle usine d’aliments de volaille et de bétail et, peut-être, faire de la pisciculture, précise Babacar Ngom. Dans cette logique d’extension, le groupe prévoit de s’installer, dans quelques semaines, sur le même site où a déjà été érigée la minoterie. Situé à une dizaine de kilomètres de Keur Massar, son site actuel, une grande tour d’une vingtaine d’étages, en cours de finition, regroupera toutes les filiales du groupe.
Autre projet à l’étude : l’ouverture d’une nouvelle usine d’aliments de volaille et de bétail et, peut-être, faire de la pisciculture, précise Babacar Ngom. Dans cette logique d’extension, le groupe prévoit de s’installer, dans quelques semaines, sur le même site où a déjà été érigée la minoterie. Situé à une dizaine de kilomètres de Keur Massar, son site actuel, une grande tour d’une vingtaine d’étages, en cours de finition, regroupera toutes les filiales du groupe.
AUTO-INVESTISSEMENT
La Sedima emploie actuellement 300 personnes avec des perspectives de développement assez importantes, précise son fondateur. Et si son chiffre d’affaires est passé de 3 Mds en 2003 à 20 Mds de francs CFA en 2013. Le PDG et son équipe projettent le doublement dès cette année, «compte tenu de la nouvelle activité qui a démarré – l’ouverture de la minoterie.»
Quid de l’investissement?
«Nous avons, ces cinq... dix dernières années, investi quelques dizaines de milliards de francs CFA», révèle le PDG.
Pour réussir à atteindre une telle capacité d’investissement, une seule recette : réinvestir les bénéfices. Pendant dix à quinze ans, l’entreprise a fait de l’auto-investissement, refusant de prendre le risque de contracter des crédits auprès des banques et préférant se serrer la ceinture. La méthode semble avoir payé. «Grâce à une gestion rigoureuse, tout ce que la société réussissait à gagner, même si ce n’était pas beaucoup, elle l’a réinvesti», explique Babacar Ngom. Plus tard, lorsqu’elle a voulu se développer autrement et prendre une certaine envergure, Sedima alors s’est adressée aux banques et autres institutions financières pour l’accompagner dans ses projets, et ce avec l’aide de collaborateurs de très haut niveau.
Le slogan de l’entreprise rend d’ailleurs hommage à ces derniers : «Sedima, la vision d’un homme, la force d’une équipe.»
PROFESSIONNALISER LA FILIÈRE
Comme toute entreprise, Sedima travaille à faire du profit mais pas seulement. Leader dans une filière qui compte beaucoup de jeunes qui tentent leur chance, l’entreprise s’implique dans leur accompagnement, en les conseillant. Un service de conseil et d’encadrement technique a ainsi été mis en place par le groupe pour «inciter et encourager les populations à investir dans ce secteur, pour arriver à la sécurité alimentaire», dixit le PDG. «Auparavant on vendait du poussin, de l’aliment, on pensait que c’était ça notre métier. Mais, aujourd’hui, on découvre que notre vrai métier, c’est de nourrir les populations. Ça a du sens!»
Sedima œuvre au sein de l’IPAS, l’interprofession, dirigée également par Babacar Ngom, pour la mise à niveau et pour le développement de la filière. Ceci passe notamment par la mise en place d’un cluster pour la formation professionnelle, la création d’un futur centre d’excellence sous-régional afin que les professionnels du secteur puissent se former et se spécialiser en aviculture. Il s’agit aussi de nouer des partenariats avec d’autres structures pour développer la filière. «Aujourd’hui, on est à des niveaux de consommation qui restent encore faibles, et il y a un potentiel qui est énorme, aussi bien au niveau de la consommation que de l’emploi.
Si on parle de 30 000 emplois, au Sénégal, aujourd’hui, on peut arriver à 500 000 emplois dans quelques années – 500 000, c’est le chiffre qu’il y a actuellement au Maroc», explique le PDG, qui poursuit « mais si l’activité se développe, on espère arriver facilement à 100 000 emplois, ce qui est un objectif tout à fait raisonnable», affirme celui qui souhaite voir en l’Afrique un continent qui exporte davantage et dont les matières premières sont davantage valorisées.
RECETTE DU SUCCÈS
«Je dis souvent que l’on apprend par l’échec et comme on dit : “Progresser, c’est changer d’erreur.” Donc on peut avoir une peur de l’échec, soit l’échec total, là où on est incapable de rebondir. Mais tant qu’on est résilient, qu’on a la force, la volonté, la persévérance, cette peur-là est quand même assez relative», confie Babacar Ngom. Différents obstacles ont été surmontés, comme la menace des importations de produits avicoles étrangers, avec l’époque de la déferlante des cuisses et ailes de poulets qui menaçaient de prendre la place de la production locale.
Autres difficultés : le manque d’infrastructures routières, problème qui a été résolu depuis, rendant ainsi plus facile la circulation des camions de l’entreprise.
Face à l’électricité parfois défaillante, tous les sites de l’entreprise ont été équipés en groupes électrogènes. Une solution d’appoint indispensable en cas de délestage, l’entreprise étant dépendante de la société nationale d’électricité. «On a cherché à être avant- gardiste. Nous voulions faire des bâtiments industriels fermés pour la volaille, mais pour tout automatiser et ce dans une ambiance contrôlée, il faut avoir une électricité de qualité et disponible tout le temps», explique le PDG de Sedima.
ORIGINES
Persévérance et capacité à surmonter les obstacles lui ont été inspirées par, d’une part, Nelson Mandela, à qui Babacar Ngom voue un profond respect, et Cheikh Ahmadou Bamba, son guide spirituel, fondateur du mouridisme, une confrérie religieuse musulmane du Sénégal qui a érigé le travail au rang de sacerdoce et comme forme d’adoration. D’ailleurs, à l’entrée de son bureau, une grande photo sur pied du saint homme accueille le visiteur. Sa doctrine «travaille comme si tu ne devais jamais mourir», l’homme l’a faite sienne ainsi que son enseignement sur la foi. Sur les autres murs de la pièce, un grand tableau d’un artiste sénégalais et des photos de ses parents complètent le décor de son bureau. L’image de sa mère trône au-dessus de sa table de travail et, sur le mur d’en face, est accrochée une grande photo de son père.
Des parents, issus de milieux modestes, à qui il voue une grande admiration. Son père, originaire du centre du pays, était d’abord cultivateur avant de s’installer à Dakar, dans les années 1939, en tant que commerçant
– métier qu’il a exercé jusqu’à sa disparition, en 1996. Polygame, l’homme avait quatre femmes et était père de plusieurs enfants. La maman de Babacar Ngom était quant à elle une femme au foyer mais qui tenait aussi son petit commerce. L’homme aime raconter que celle-ci vendait quelques œufs et qu’il lui arrivait d’en cuire pour ses quatre frères et lui. «Je rêvais du jour où j’aurais les moyens d’avoir mon œuf à moi tout seul», lâche Babacar Ngom dans un éclat de rire. Rarement promesse n’aura été si bien tenue! «J’adorais le poulet et l’œuf! Ça a peut-être été déterminant dans mes choix», résume-t-il.
RELÈVE
Après avoir fait de Sedima une société leader dans son domaine, l’homme songe à une retraite bien méritée. Alors, pour prendre la relève et assurer la pérennité de l’entreprise, son choix s’est porté sur sa fille, Anta Babacar Ngom, trentenaire et troisième de la fratrie de cinq enfants – trois garçons et deux filles. Lui, qui n’a pas fait d’études supérieures, mais qui a complété son cursus par d’autres formations (la dernière étant un diplôme en Management général avancé à HEC Paris), a tenu à ce que ses enfants fassent de brillantes études, à l’instar d’Anta, actuelle directrice générale déléguée du groupe.
Un choix qui ne doit rien au hasard. L’entreprise a toujours fait confiance aux femmes. Dans son organigramme, les deux postes de vice-président sont occupés par des femmes : la première n’est autre que son épouse, Ndella Coumba Ngom, mère de ses cinq enfants, la seconde étant Mme Seynabou Seck Diawara, vice-présidente exécutive. Venue assister à l’entretien, l’homme lui a réservé un accueil des plus courtois, demandant une petite interruption pour mieux la saluer et l’installer dans le salon de son bureau – lieu où il nous reçoit, au côté de sa fille, Anta. Autres femmes dans le top management de l’entreprise, la directrice administrative et financière, Mme Oumy Sène Kanouté, et la responsable qualité, Mme Dieynaba Diallo. Des choix basés sur le mérite, comme le précise le PDG : «Ces femmes m’ont toujours démontré leur loyauté, leur engagement dans le travail et leurs compétences.» Alors, en portant sa fille au poste de directrice générale déléguée, l’homme n’a fait que conforter celle-ci dans son souhait – très tôt, Anta a exprimé son désir de vouloir travailler dans l’entreprise. «Et je pense même qu’elle les a inspirés», explique-t-il, parlant de ses autres enfants qui, pour la plupart, ont choisi de travailler dans l’entreprise Sedima.
De fait, celle-ci a toujours été une entreprise familiale «car, dans le capital de la société, c’est la famille d’abord, mais au sein du conseil d’administration siègent aussi des personnes expérimentées, ce qui permet une gouvernance d’entreprise transparente avec une vision et un management des plus modernes», souligne-t-il.
De fait, celle-ci a toujours été une entreprise familiale «car, dans le capital de la société, c’est la famille d’abord, mais au sein du conseil d’administration siègent aussi des personnes expérimentées, ce qui permet une gouvernance d’entreprise transparente avec une vision et un management des plus modernes», souligne-t-il.
Dans son agenda, il planifie encore cinq années de labeur avant de décrocher, laps de temps nécessaire pour accompagner ses enfants et ses collaborateurs. «Ça peut arriver plus tôt», indique Babacar Ngom, qui désire prendre du repos, du recul et faire autre chose. Sans pour autant disparaître complètement mais plutôt être là en cas de besoin. Comme pour dire qu’il ne sera jamais bien loin de Sedima, l’œuvre de sa vie. Alors, ce choix fait par certains de ses enfants de venir travailler dans l’entreprise n’est pas pour lui déplaire.
Il confie : «La tâche qui consiste à faire de l’entreprise une multinationale africaine incombe à la jeune génération – dont fait partie mes enfants». Pour y arriver, Anta dispose selon lui de certains atouts qu’il reconnaît ne pas avoir, comme ses études et ses expériences au sein d’entreprises étrangères. «Même si elle arrive à un moment où il y a déjà des choses de faites. Elle peut s’appuyer sur une base déjà existante pour se projeter plus loin. C’est une grande chance pour elle, analyse le PDG. Par ailleurs, mes enfants arrivent aussi
à un moment où l’Afrique est le continent de l’avenir. Pendant de longues années on était dans l’afro-pessimisme, aujourd’hui, on peut dire que les conditions sont réunies pour faire éclore le continent». Comme un œuf !
Forbes Afrique
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