Dans la seconde partie de l’entretien qu’il a nous accordé, en marge de sa tournée française, Baaba Maal évoque ses débuts difficiles dans la musique pour dire que le Daandé Léniol est ‘parti de rien’.Il revient aussi sur la complexité du show biz pour souligner la démarche peu orthodoxe de certains promoteurs de spectacles.
Wal Fadjri : Que représente pour vous vingt-cinq ans de carrière ? Quelles sont les leçons que vous en tirez ?
Baaba MAAL : D'abord, on a monté ce groupe partant d’une sensibilité amicale. C'était avec Mansour Seck et Mbassou Niang. On avait retrouvé au Sénégal mon ami El Hadji Ndiaye, parce que j'étais en France pendant trois ans avec les Aziz Dieng, Cheikh Tidiane Gadio, entre autres. J'étais reparti au Sénégal après le décès de ma mère. J'ai fait des enregistrements. Le premier, c'est Yéla ensuite il y a eu Wango. Deux cassettes sont sorties. Les gens ont bien accueilli ça. Je voulais revenir en France pour continuer mon chemin. Mais après la réussite de ces cassettes, on s'est dit pourquoi ne pas rester au Sénégal. Et s'il faut rester au Sénégal, pourquoi ne pas créer un orchestre. On a commencé par Wandama. Mais je me suis dit que je ne peux pas aller tout seul sans Mansour Seck, Mbassou et les autres avec qui j'étais dans Yelli Taré Fouta. On a monté le Daandé Léniol, mais on ne savait pas où est-ce qu'on allait. Donc on s'est dit qu'il fallait un orchestre Puulaar au départ au niveau de Dakar. On n'avait aucun contrat.
Après on a commencé à utiliser le créneau des travailleurs immigrés qui sont en Europe pour venir jouer de la musique et acheter des instruments. On est parti de rien. Comme le disait Mbassou, ‘c'était tout simplement un rêve’. On n’avait aucun soutien. L'orchestre a toujours compté sur la sueur de son travail. On a eu la chance après cinq à sept années de faire des tournées sur le plan international. Il faut noter que c'est un orchestre qui est très présent sur la scène. Peut-être qu'on ne le savait pas, mais on avait flairé le fait que la scène était importante pour un orchestre qui prétend sillonner le monde. Il fallait aller jouer dans les grands festivals, dans les grandes salles. L'image va être importante. Nous, on ne le savait pas. On avait cet acquis qui nous venait de la troupe de Lasli Fouta. On l'a mis dans la musique et ça a marché.
Cela vous aura donné une ouverture internationale…
Oui et on a eu aussi la chance de tomber sur Chris Blakwell qui, en écoutant Diam Lééli, a voulu signer avec nous un contrat. Pour lui, après la Jamaïque avec le reggae, la prochaine étape sera la musique africaine. C'est ainsi qu'il a signé avec moi. Mais cela n'a pas toujours été facile. Parce que le fait de quitter, un moment, l'espace où l'on faisait de la musique pour sa communauté, il nous fallait maintenant écrire des chansons (parce qu'on devrait s'exprimer sur tel ou tel sujet) pour changer les choses comme toute nouvelle génération qui arrive, et rentrer dans la musique commerciale et vouloir continuer ce rêve, ce n'était pas évident. Moi, j'ai eu la chance d'avoir Chris Blakwell, qui a compris qu'il y avait une communauté derrière moi, qu'il ne fallait jamais couper le lien entre ma communauté et moi, que c'était un atout. Donc à chaque fois que je lui propose, que ce soit l'album Bayo, Lam Toro, de prendre l'équipe qu'il faut, du matériel qu'il faut, d'aller au Fouta, filmer, amener ma communauté à participer, il a senti que c'était important. Mais ce n'est pas évident dans une structure commerciale. Cela a eu du succès. Les albums Yéélé, Bayo, African Woman ont eu du succès. Cela nous a ouvert beaucoup de portes.
Mais néanmoins, il fallait, au fur à mesure, nous organiser en structure professionnelle. On était là, entre groupe d'amis avec des gens qui nous aimaient bien. C'était un projet culturel, mais pas un projet commercial. Il fallait structurer au fur et à mesure. Il y a eu des hauts et des bas. Mais c'est toujours enrichissant quand on voyage comme ça avec de la musique dans l'espace et dans le temps.
Hormis les débuts de votre carrière que vous considérez comme ayant été difficiles, quels sont les autres moments les plus difficiles pendant ces 25 ans de carrière ?
Ce sont les moments où l'on devait prendre de grandes décisions. D'abord avant de signer ce contrat avec Chris Blakwell, je tournais avec des promoteurs de spectacle. Avant d'aller retrouver la Maison de disque qui a organisé un collectif de professionnels pour m'accompagner dans la Maison et en dehors de la Maison, des agents de spectacle. Avant cela, les promoteurs avaient vu l'opportunité de travailler avec moi. Ils ne voulaient pas me lâcher. Alors que très souvent, avec les artistes africains, on est dans notre monde. On ne voit pas que les gens comprennent que ça peut rapporter gros et les gens essaient de vous avoir pour de bon sans que vous soyez au courant. Pendant cinq ans, Island Record de Chris Blakwell a essayé de rentrer en contact avec le Daandé Léniol pour signer un contrat pour nous faire rentrer dans ce grand label, les tourneurs ne voulaient pas. Mais ils ne nous le disaient pas. Si je n'étais pas averti, j'aurais pu passer ces 25 ans à tourner en France, en Italie et peut-être m'arrêter là. Parce que Chris Blakwell m'a ouvert d'autres portes, d'autres collaborations, d'autres grands noms de la musique. C'était assez difficile.
Les autres moments les plus difficiles sur le plan musical, c'était quand on devait aborder une nouvelle étape, une nouvelle production. Ce n'est pas évident dans des structures commerciales de dire : ‘C'est cette musique que je veux proposer’. On m'a proposé des choses modernes, très acoustiques, moins commerciales ou plus commerciales. Ce sont mes décisions, mais à chaque fois, il fallait convaincre ; il fallait se battre pour qu'on puisse mettre les moyens qu'il faut afin de faire l'album que je voulais. Arriver dans une Maison de disque et dire que je vais faire un album acoustique comme Bayo, qui n'est pas commercial, ce n'était pas évident. Mais il fallait se battre pour le faire.
Quel est votre album qui n'a pas marché, selon vous, sur le plan musical ?
Je pourrais citer deux albums, mais c'était toujours mes décisions. On peut se tromper parfois. C'est le cas de l'album Télévision que Beaucoup de gens aiment pourtant. Quand je vais aux Etats-unis, en France et ailleurs, les gens me disent que c'est très bien. Mais je pense que cet album, ce n'est pas moi du tout. Mais quelque part, il fallait le faire. En musique, à certains moments, on fait ce que l'on ressent. Mais si on représente une partie du monde, on peut aider à ce que cette partie du monde soit connectée. Il fallait faire cet album, utiliser les tournures de la musique pour montrer que l'Afrique peut participer à ce type de musique. Parce qu’avec la technologie, les moyens modernes de concevoir de la musique, l'Afrique doit aussi montrer qu'elle peut le faire. Tous ces acquis modernes appartiennent aussi à l'Afrique au même titre que les autres. Donc je me suis un peu sacrifié pour démontrer quelque chose pour le compte de l'Afrique.
Mais sur le plan artistique, je dirai que je me sens beaucoup plus à l'aise dans les albums comme Fine in Fouta qui a été nominé aux Grammy Awards. C’est exactement ma conception. Parce que je voulais démontrer que toutes les sonorités africaines trouvaient leur place dans ce qu'il y avait de moderne comme rythmes et sons.
‘Pendant cinq ans, Island Record de Chris Blakwell a essayé de rentrer en contact avec le Daandé Léniol pour signer un contrat pour nous faire rentrer dans ce grand label, les tourneurs ne voulaient pas. Mais ils ne nous le disaient pas. Si je n'étais pas averti, j'aurais pu passer ces 25 ans à tourner en France, en Italie et peut-être m'arrêter là.’
Vous avez tantôt dit que votre Maison de disques vous a demandé de vous adosser sur votre communauté parce que c'est un avantage. Mais est-ce que ce n'est pas en même temps un désavantage quand on sait que c'est la culture Wolof qui prédomine au Sénégal ?
La seule différence, c'est quelqu'un comme Chris Blakwell - quand j'ai commencé à travailler avec Djibril Diallo, nous avons commencé à travailler avec le Pnud, on était en Californie - a encore réaffirmé le fait de me voir encore engagé davantage pour ma communauté. Mais au-delà de ma communauté Hal Puular de l'Afrique de l'Ouest, il s'adressait à toute la population africaine. Il m'a dit : ‘Tu ne peux pas avoir la voix que tu as, la chance d'être écouté, d'être un intellectuel, de pouvoir t'adresser aux médias et ne pas parler au nom de l'Afrique. C'est une chance pour l'Afrique que tu ne devrais pas ne pas saisir’. Ça a été aussi agréable de l'entendre de la bouche de quelqu'un comme Nelson Mandela.
Le fait d'avoir une Maison de disque installée en Angleterre m'a mis en relation avec beaucoup de musiciens qui sont de très grande renommée, qui représentent quelque chose dans le monde, au-delà même du rôle qu'ils jouent dans la musique. On a fait un concert à Trafagal Square pour Nelson Mandela. On était accueilli par Tony Blair. Au final, il nous a fait faire venir au bureau de l'Anc (African national congress, Ndlr). Il nous a donné des conseils qui se recoupaient avec ceux de Chris Blakwell. Il a attiré notre attention sur le fait que notre engagement musical, nos textes et nos messages peuvent arriver là où, eux les politiciens, leurs messages ne pouvaient pas arriver. Et ça, c'est des choses qu'on m'a toujours répétées dans le passé. Le père de Toumany Diabaté me l'a dit, bien avant que je monte ce groupe (Daandé Léniol, Ndlr). Il m'a appelé chez lui et m'a dit : ‘Je suis très fier de toi, parce que tu es une chance pour nous pour que notre tradition puisse continuer. Et c'est ça le rôle des musiciens. Tu dois continuer’.
Quand quelqu'un comme Mandela me le dit, cela me renforce aussi. Et c'est ça que Chris Blakwell m'a aussi dit. Cela m'a beaucoup donné du courage pour continuer à travailler avec les institutions. C'est vrai que je suis artiste, mais en même tant je suis un intellectuel et je dois m'intéresser à ce qui se fait dans le monde en tant qu'intellectuel. C'est vrai que très souvent avec ma communauté, cela peut amener certaines incompréhensions. Chaque communauté a envie d'avoir ses artistes à elle seule. Mais ma prétention, c'était d'aller beaucoup plus loin.
Pour parler de l’actualité, il y a eu les évènements de Fanaye où il y a eu un mort. Quelle est votre position sur cet incident ?
Je ne connais pas les tenants et les aboutissants du problème et de la responsabilité de chaque partie. Tout cela s’est passé pendant que j’étais en voyage. J’attends d’arriver au Sénégal pour avoir les bonnes informations à la source avant de me prononcer là-dessus. Toutefois, la culture de la paix doit toujours être de mise dans tous les échanges ; surtout que Fanaye et sa communauté rurale ont toujours été un espace favorable à la concertation et une bonne projection vers le futur.
On va faire des élections présidentielles en 2012. Est-ce que vous avez une position politique ?
Même si j'avais une position politique, je n'ai pas le devoir, en tant que citoyen, d'influencer qui que ce soit. Je sais que mon devoir en tant que citoyen, durant ces élections, si ça se passe, c'est de prendre ma carte d'électeur, d'entrer (dans le bureau de vote, Ndlr), personnellement et voter. Et je peux inciter les gens à aller voter. Parce que c'est en allant voter qu'on peut élever la voix du peuple sénégalais pour choisir ses leaders. On peut inciter les gens à aller voter et à aller voter en paix, parce qu'on veut la paix. On veut sauvegarder l'acquis sénégalais qui est, pour moi, un pays très mature même si on est un petit pays sur le plan de la superficie, sur le plan de la population. Nous qui voyageons, nous savons ce que le Sénégal représente dans le monde. Et c'est un acquis qu'il ne faut pas perdre. Il faut qu'on fasse en sorte que la population puisse s'en rendre compte.
Ma position individuelle ? Ça, c'est entre moi et moi-même. Mais j'ai donné rendez-vous au peuple sénégalais le 30 novembre. Parce que mon devoir, en regardant ce qui se passe, les tournées que j'ai effectuées aux Etats-unis, les tournées que je suis en train d'effectuer, le fait de vous rencontrer et d'autres personnes, je me rends compte qu'avec cette opportunité que j'ai, j'ai le devoir d'élever la voix, de me faire entendre pour parler de ces élections ; dire comment je voudrai que les gens les abordent d'autant plus que je travaille avec le Pnud. Notre objectif, c'est qu'en 2015, c'est qu'on puisse arriver à concrétiser certains objectifs du millénaire.
Après ces élections, si ça se passe bien, ce sont ceux qui seront en place qui vont nous accompagner jusqu'en 2015. Et j'aimerais bien leur dire, par exemple, mes attentes, mes appréhensions et mes espérances par rapport à ces échéances. La réussite de notre projet va dépendre de ce qui va se passer. J'ai le devoir de m'adresser à eux, de m'adresser à tous les acteurs politiques, à la population. Ça, je veux le faire le 30 novembre à Dakar.
En attendant, est-ce qu'on peut s'attendre à un Bercy organisé par Baaba Maal ici en France ?
Il faut un autre concept. C'est bien ce que Youssou fait. Le Bercy de Youssou, c'est très bien. La France est proche du Sénégal pas seulement sur le plan administratif ou politique. Mais il y a une forte communauté de l'Afrique de l'Ouest qui est là. Donc je ne dis pas que je vais copier le Bercy de Youssou, mais je peux penser à un autre concept parce qu'il y a ma communauté qui est là, les Africains qui veulent voir ce que je suis en train de faire. Ce que je fais en Angleterre peut être transposé ici. C'est mon désir. *(Fin)
Propos recueillis à Paris par Moustapha BARRY
( WALF )
Wal Fadjri : Que représente pour vous vingt-cinq ans de carrière ? Quelles sont les leçons que vous en tirez ?
Baaba MAAL : D'abord, on a monté ce groupe partant d’une sensibilité amicale. C'était avec Mansour Seck et Mbassou Niang. On avait retrouvé au Sénégal mon ami El Hadji Ndiaye, parce que j'étais en France pendant trois ans avec les Aziz Dieng, Cheikh Tidiane Gadio, entre autres. J'étais reparti au Sénégal après le décès de ma mère. J'ai fait des enregistrements. Le premier, c'est Yéla ensuite il y a eu Wango. Deux cassettes sont sorties. Les gens ont bien accueilli ça. Je voulais revenir en France pour continuer mon chemin. Mais après la réussite de ces cassettes, on s'est dit pourquoi ne pas rester au Sénégal. Et s'il faut rester au Sénégal, pourquoi ne pas créer un orchestre. On a commencé par Wandama. Mais je me suis dit que je ne peux pas aller tout seul sans Mansour Seck, Mbassou et les autres avec qui j'étais dans Yelli Taré Fouta. On a monté le Daandé Léniol, mais on ne savait pas où est-ce qu'on allait. Donc on s'est dit qu'il fallait un orchestre Puulaar au départ au niveau de Dakar. On n'avait aucun contrat.
Après on a commencé à utiliser le créneau des travailleurs immigrés qui sont en Europe pour venir jouer de la musique et acheter des instruments. On est parti de rien. Comme le disait Mbassou, ‘c'était tout simplement un rêve’. On n’avait aucun soutien. L'orchestre a toujours compté sur la sueur de son travail. On a eu la chance après cinq à sept années de faire des tournées sur le plan international. Il faut noter que c'est un orchestre qui est très présent sur la scène. Peut-être qu'on ne le savait pas, mais on avait flairé le fait que la scène était importante pour un orchestre qui prétend sillonner le monde. Il fallait aller jouer dans les grands festivals, dans les grandes salles. L'image va être importante. Nous, on ne le savait pas. On avait cet acquis qui nous venait de la troupe de Lasli Fouta. On l'a mis dans la musique et ça a marché.
Cela vous aura donné une ouverture internationale…
Oui et on a eu aussi la chance de tomber sur Chris Blakwell qui, en écoutant Diam Lééli, a voulu signer avec nous un contrat. Pour lui, après la Jamaïque avec le reggae, la prochaine étape sera la musique africaine. C'est ainsi qu'il a signé avec moi. Mais cela n'a pas toujours été facile. Parce que le fait de quitter, un moment, l'espace où l'on faisait de la musique pour sa communauté, il nous fallait maintenant écrire des chansons (parce qu'on devrait s'exprimer sur tel ou tel sujet) pour changer les choses comme toute nouvelle génération qui arrive, et rentrer dans la musique commerciale et vouloir continuer ce rêve, ce n'était pas évident. Moi, j'ai eu la chance d'avoir Chris Blakwell, qui a compris qu'il y avait une communauté derrière moi, qu'il ne fallait jamais couper le lien entre ma communauté et moi, que c'était un atout. Donc à chaque fois que je lui propose, que ce soit l'album Bayo, Lam Toro, de prendre l'équipe qu'il faut, du matériel qu'il faut, d'aller au Fouta, filmer, amener ma communauté à participer, il a senti que c'était important. Mais ce n'est pas évident dans une structure commerciale. Cela a eu du succès. Les albums Yéélé, Bayo, African Woman ont eu du succès. Cela nous a ouvert beaucoup de portes.
Mais néanmoins, il fallait, au fur à mesure, nous organiser en structure professionnelle. On était là, entre groupe d'amis avec des gens qui nous aimaient bien. C'était un projet culturel, mais pas un projet commercial. Il fallait structurer au fur et à mesure. Il y a eu des hauts et des bas. Mais c'est toujours enrichissant quand on voyage comme ça avec de la musique dans l'espace et dans le temps.
Hormis les débuts de votre carrière que vous considérez comme ayant été difficiles, quels sont les autres moments les plus difficiles pendant ces 25 ans de carrière ?
Ce sont les moments où l'on devait prendre de grandes décisions. D'abord avant de signer ce contrat avec Chris Blakwell, je tournais avec des promoteurs de spectacle. Avant d'aller retrouver la Maison de disque qui a organisé un collectif de professionnels pour m'accompagner dans la Maison et en dehors de la Maison, des agents de spectacle. Avant cela, les promoteurs avaient vu l'opportunité de travailler avec moi. Ils ne voulaient pas me lâcher. Alors que très souvent, avec les artistes africains, on est dans notre monde. On ne voit pas que les gens comprennent que ça peut rapporter gros et les gens essaient de vous avoir pour de bon sans que vous soyez au courant. Pendant cinq ans, Island Record de Chris Blakwell a essayé de rentrer en contact avec le Daandé Léniol pour signer un contrat pour nous faire rentrer dans ce grand label, les tourneurs ne voulaient pas. Mais ils ne nous le disaient pas. Si je n'étais pas averti, j'aurais pu passer ces 25 ans à tourner en France, en Italie et peut-être m'arrêter là. Parce que Chris Blakwell m'a ouvert d'autres portes, d'autres collaborations, d'autres grands noms de la musique. C'était assez difficile.
Les autres moments les plus difficiles sur le plan musical, c'était quand on devait aborder une nouvelle étape, une nouvelle production. Ce n'est pas évident dans des structures commerciales de dire : ‘C'est cette musique que je veux proposer’. On m'a proposé des choses modernes, très acoustiques, moins commerciales ou plus commerciales. Ce sont mes décisions, mais à chaque fois, il fallait convaincre ; il fallait se battre pour qu'on puisse mettre les moyens qu'il faut afin de faire l'album que je voulais. Arriver dans une Maison de disque et dire que je vais faire un album acoustique comme Bayo, qui n'est pas commercial, ce n'était pas évident. Mais il fallait se battre pour le faire.
Quel est votre album qui n'a pas marché, selon vous, sur le plan musical ?
Je pourrais citer deux albums, mais c'était toujours mes décisions. On peut se tromper parfois. C'est le cas de l'album Télévision que Beaucoup de gens aiment pourtant. Quand je vais aux Etats-unis, en France et ailleurs, les gens me disent que c'est très bien. Mais je pense que cet album, ce n'est pas moi du tout. Mais quelque part, il fallait le faire. En musique, à certains moments, on fait ce que l'on ressent. Mais si on représente une partie du monde, on peut aider à ce que cette partie du monde soit connectée. Il fallait faire cet album, utiliser les tournures de la musique pour montrer que l'Afrique peut participer à ce type de musique. Parce qu’avec la technologie, les moyens modernes de concevoir de la musique, l'Afrique doit aussi montrer qu'elle peut le faire. Tous ces acquis modernes appartiennent aussi à l'Afrique au même titre que les autres. Donc je me suis un peu sacrifié pour démontrer quelque chose pour le compte de l'Afrique.
Mais sur le plan artistique, je dirai que je me sens beaucoup plus à l'aise dans les albums comme Fine in Fouta qui a été nominé aux Grammy Awards. C’est exactement ma conception. Parce que je voulais démontrer que toutes les sonorités africaines trouvaient leur place dans ce qu'il y avait de moderne comme rythmes et sons.
‘Pendant cinq ans, Island Record de Chris Blakwell a essayé de rentrer en contact avec le Daandé Léniol pour signer un contrat pour nous faire rentrer dans ce grand label, les tourneurs ne voulaient pas. Mais ils ne nous le disaient pas. Si je n'étais pas averti, j'aurais pu passer ces 25 ans à tourner en France, en Italie et peut-être m'arrêter là.’
Vous avez tantôt dit que votre Maison de disques vous a demandé de vous adosser sur votre communauté parce que c'est un avantage. Mais est-ce que ce n'est pas en même temps un désavantage quand on sait que c'est la culture Wolof qui prédomine au Sénégal ?
La seule différence, c'est quelqu'un comme Chris Blakwell - quand j'ai commencé à travailler avec Djibril Diallo, nous avons commencé à travailler avec le Pnud, on était en Californie - a encore réaffirmé le fait de me voir encore engagé davantage pour ma communauté. Mais au-delà de ma communauté Hal Puular de l'Afrique de l'Ouest, il s'adressait à toute la population africaine. Il m'a dit : ‘Tu ne peux pas avoir la voix que tu as, la chance d'être écouté, d'être un intellectuel, de pouvoir t'adresser aux médias et ne pas parler au nom de l'Afrique. C'est une chance pour l'Afrique que tu ne devrais pas ne pas saisir’. Ça a été aussi agréable de l'entendre de la bouche de quelqu'un comme Nelson Mandela.
Le fait d'avoir une Maison de disque installée en Angleterre m'a mis en relation avec beaucoup de musiciens qui sont de très grande renommée, qui représentent quelque chose dans le monde, au-delà même du rôle qu'ils jouent dans la musique. On a fait un concert à Trafagal Square pour Nelson Mandela. On était accueilli par Tony Blair. Au final, il nous a fait faire venir au bureau de l'Anc (African national congress, Ndlr). Il nous a donné des conseils qui se recoupaient avec ceux de Chris Blakwell. Il a attiré notre attention sur le fait que notre engagement musical, nos textes et nos messages peuvent arriver là où, eux les politiciens, leurs messages ne pouvaient pas arriver. Et ça, c'est des choses qu'on m'a toujours répétées dans le passé. Le père de Toumany Diabaté me l'a dit, bien avant que je monte ce groupe (Daandé Léniol, Ndlr). Il m'a appelé chez lui et m'a dit : ‘Je suis très fier de toi, parce que tu es une chance pour nous pour que notre tradition puisse continuer. Et c'est ça le rôle des musiciens. Tu dois continuer’.
Quand quelqu'un comme Mandela me le dit, cela me renforce aussi. Et c'est ça que Chris Blakwell m'a aussi dit. Cela m'a beaucoup donné du courage pour continuer à travailler avec les institutions. C'est vrai que je suis artiste, mais en même tant je suis un intellectuel et je dois m'intéresser à ce qui se fait dans le monde en tant qu'intellectuel. C'est vrai que très souvent avec ma communauté, cela peut amener certaines incompréhensions. Chaque communauté a envie d'avoir ses artistes à elle seule. Mais ma prétention, c'était d'aller beaucoup plus loin.
Pour parler de l’actualité, il y a eu les évènements de Fanaye où il y a eu un mort. Quelle est votre position sur cet incident ?
Je ne connais pas les tenants et les aboutissants du problème et de la responsabilité de chaque partie. Tout cela s’est passé pendant que j’étais en voyage. J’attends d’arriver au Sénégal pour avoir les bonnes informations à la source avant de me prononcer là-dessus. Toutefois, la culture de la paix doit toujours être de mise dans tous les échanges ; surtout que Fanaye et sa communauté rurale ont toujours été un espace favorable à la concertation et une bonne projection vers le futur.
On va faire des élections présidentielles en 2012. Est-ce que vous avez une position politique ?
Même si j'avais une position politique, je n'ai pas le devoir, en tant que citoyen, d'influencer qui que ce soit. Je sais que mon devoir en tant que citoyen, durant ces élections, si ça se passe, c'est de prendre ma carte d'électeur, d'entrer (dans le bureau de vote, Ndlr), personnellement et voter. Et je peux inciter les gens à aller voter. Parce que c'est en allant voter qu'on peut élever la voix du peuple sénégalais pour choisir ses leaders. On peut inciter les gens à aller voter et à aller voter en paix, parce qu'on veut la paix. On veut sauvegarder l'acquis sénégalais qui est, pour moi, un pays très mature même si on est un petit pays sur le plan de la superficie, sur le plan de la population. Nous qui voyageons, nous savons ce que le Sénégal représente dans le monde. Et c'est un acquis qu'il ne faut pas perdre. Il faut qu'on fasse en sorte que la population puisse s'en rendre compte.
Ma position individuelle ? Ça, c'est entre moi et moi-même. Mais j'ai donné rendez-vous au peuple sénégalais le 30 novembre. Parce que mon devoir, en regardant ce qui se passe, les tournées que j'ai effectuées aux Etats-unis, les tournées que je suis en train d'effectuer, le fait de vous rencontrer et d'autres personnes, je me rends compte qu'avec cette opportunité que j'ai, j'ai le devoir d'élever la voix, de me faire entendre pour parler de ces élections ; dire comment je voudrai que les gens les abordent d'autant plus que je travaille avec le Pnud. Notre objectif, c'est qu'en 2015, c'est qu'on puisse arriver à concrétiser certains objectifs du millénaire.
Après ces élections, si ça se passe bien, ce sont ceux qui seront en place qui vont nous accompagner jusqu'en 2015. Et j'aimerais bien leur dire, par exemple, mes attentes, mes appréhensions et mes espérances par rapport à ces échéances. La réussite de notre projet va dépendre de ce qui va se passer. J'ai le devoir de m'adresser à eux, de m'adresser à tous les acteurs politiques, à la population. Ça, je veux le faire le 30 novembre à Dakar.
En attendant, est-ce qu'on peut s'attendre à un Bercy organisé par Baaba Maal ici en France ?
Il faut un autre concept. C'est bien ce que Youssou fait. Le Bercy de Youssou, c'est très bien. La France est proche du Sénégal pas seulement sur le plan administratif ou politique. Mais il y a une forte communauté de l'Afrique de l'Ouest qui est là. Donc je ne dis pas que je vais copier le Bercy de Youssou, mais je peux penser à un autre concept parce qu'il y a ma communauté qui est là, les Africains qui veulent voir ce que je suis en train de faire. Ce que je fais en Angleterre peut être transposé ici. C'est mon désir. *(Fin)
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