Vous venez d’initier un rassemblement qui semble être une sorte de Club du secteur privé. Qu’en est-il exactement ?
Aujourd’hui, l’Afrique et le Sénégal, en particulier, se transforment.
On est passé de l’afro-pessimisme à l’afro-optimisme. Au Sénégal, les découvertes de pétrole et de gaz renforcent les perspectives. Tout ceci nous ouvre d’excellentes opportunités, mais aussi de gros défis. En effet, dans le contexte actuel de mondialisation, des entreprises venant de partout dans le monde sont à l’affut de ces mêmes opportunités, avec une rude concurrence. Dans cette guerre économique, un pays se développe, lorsqu’il dispose d’entreprises capables de soutenir la concurrence avec les autres et de générer un maximum d’emplois et de richesses. Faut-il le rappeler, le secteur privé national représente «l’armée économique d’un pays» sur les marchés nationaux et internationaux et aucune véritable émergence n’est possible sans une armée forte, sans des champions nationaux. De la même manière, aucune guerre ne peut se gagner avec des soldats dispersés. Les autres pays l’ont compris et nous le constatons tous les jours, autour de nous. La plupart des pays ne viennent jamais seuls, ils viennent en groupe, secteur privé et Etat, la main dans la main. Par contre, de notre côté, chacun se débrouille trop souvent tout seul, surtout sur les marchés internationaux. Or, notre ambition collective de développement du Sénégal ne peut se faire sans champions nationaux. C’est donc pourquoi il nous a paru nécessaire de sortir de cette «solitude», où chacun fait ses affaires, seul dans son coin, au Sénégal comme à l’international. Il était impératif qu’on se rapproche, car on sait au final, qu’on partage la même ambition pour notre pays, à savoir une économie sénégalaise forte, s’appuyant sur un secteur privé national fort, capable de créer des milliers d’emplois, de donner le bon exemple à notre jeunesse et d’améliorer de façon significative, la vie de nos populations. Oui, mais nous avons déjà une organisation syndicale du patronat…
Tout à fait ! Nous en avons même plusieurs. Mais les rôles différent. En France par exemple, l’existence du Medef (le patronat français) n’empêche pas l’existence du Cian (le Conseil français des investisseurs en Afrique). Ainsi, la mission de représentation vis-à-vis de l’Etat qu’assurent les organisations patronales n’est pas la nôtre et reste indispensable. Le patronat a vocation à accueillir des entreprises et toutes les entreprises, d’où qu’elles viennent. Nous, nous accueillons des individus, des Sénégalais dirigeants d’entreprises, qui sont exemplaires, de par leur parcours entrepreneurial et qui ont réussi, par la force du travail, à s’imposer comme des leaders dans leurs secteurs d’activités, quels qu’ils soient. Nous avons parmi nous, des membres du Cnp, de la Cnes, de l’Unacois, mais également beaucoup d’autres qui ne sont affiliés à aucun patronat. Troisième différence, peut-être la plus fondamentale, nous sommes d’abord et avant tout, un club d’investisseurs orientés dans la promotion de projets structurants pour notre pays, donc plus dans l’action, tandis que le patronat, quant à lui, porte la mission clé de plaidoyer. Nos rôles seront ainsi, non pas concurrents, mais complémentaires.
Donc votre rassemblement est une sorte de Club de grands hommes d’affaires sénégalais ?
Nous ne le dirons pas ainsi. D’abord, il s’agit plus d’un Réseau que d’un Club, car il sera ouvert à tous les Sénégalais qui sont des leaders reconnus et respectés dans leurs secteurs d’activités. Et pour arriver à cela, il ne suffit pas seulement d’être «hommes d’affaires ». Partir d’une toute petite entreprise et en faire un leader reconnu et respecté, voire une institution pouvant être transmise avec sérénité aux générations suivantes, c’est souvent de longues années d’abnégation et d’efforts. De par ce qu’ils ont réalisé, beaucoup de chefs d’entreprise sénégalais gagneraient ainsi à être mieux connus, notamment pour servir d’exemples aux jeunes et leur montrer qu’il est possible de partir de peu et réussir.
D’autant plus que beaucoup d’entre eux sont reconnaissants de ce que la société et la vie leur ont donné et ont envie de donner en retour. Pourquoi ce Club ou ce Réseau maintenant, au moment où beaucoup de gens commencent à s’activer avec la Présidentielle qui approche ?
On aime beaucoup la politique au Sénégal, mais il n’y a pas que la politique dans la vie (Rires)... Plus sérieusement, quand vous investissez des milliards dans une usine ou un hôtel, comme certains d’entre nous l’ont fait, votre regard n’est pas rivé sur l’année prochaine, mais au minimum sur les 30 prochaines années, le temps minimum que cet investissement durera. C’est pour cela aussi qu’un pays a besoin d’un secteur privé national fort, car c’est le seul qui parie sur le long terme. Quand un pays a des soubresauts, vous voyez que certains plient bagages et partent. Nous, c’est notre seul pays, tout ce que nous avons bâti est là, l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants est là, et c’est notre intérêt, quels que soient les soubresauts ponctuels, qu’il reste en paix et qu’il aille toujours dans la bonne direction. Par ailleurs, un pays avance par son leadership collectif. Le leadership politique est clé et j’ai personnellement beaucoup de respect à son égard, de par la complexité et la lourdeur de ses responsabilités. Le leadership religieux et social est également fondamental, car un pays a besoin de valeurs et de repères moraux. Le leadership économique doit également jouer son rôle, notamment d’ambition économique et de création de richesses et d’emplois. Chacun doit jouer sa partition pour que le pays avance. Notre rôle au sein du Réseau, c’est d’assumer ce leadership économique et dans ce rôle, d’être à la hauteur de l’ambition d’émergence que nous avons tous pour notre pays.
Le secteur privé national se plaint que l’Etat donne trop de marchés aux entreprises étrangères. N’est-ce pas là votre plus grand souci ?
Il faut le reconnaître, c’est une préoccupation, car nous ne connaissons aucun pays ambitieux qui pousse les enfants des autres, plus que les siens. Mais la solution n’est pas de se plaindre. C’est au secteur privé national d’être plus fort, plus crédible et de montrer sa capacité à pousser l’économie du pays vers l’avant. Nous devons être une force de propositions et promouvoir nous-mêmes, des projets structurants. Au-delà des idées, nous devons venir vers l’Etat avec des solutions : projets structurés, montages financiers précis, partenariats solides. Personnellement, j’ai confiance en notre Etat et j’ai la conviction qu’il partage avec nous cette ambition de promouvoir des champions nationaux forts pour atteindre l’émergence.
Ne voulez-vous pas mettre en place une sorte «d’équipe nationale» des chefs d’entreprise ?
L’image convient parfaitement et c’est cela le véritable sens du mot «champions nationaux». Il est important d’avoir une identité claire et en cela, le parallèle avec le sport est très parlant. L’Amérique est la première puissance économique mondiale, parce que la «Team USA» (les Exxon Mobil, General Motors, Google, Apple, Facebook...) est sur les podiums mondiaux dans moult secteurs. Les Team Maroc, Nigeria, Egypte, Kenya, Rwanda se débrouillent de mieux en mieux dans les podiums sous régionaux et continentaux. De notre côté, nous nous battons pour une Team Sénégal plus forte, qui nous rapporte le maximum de médailles. Et j’ai une totale confiance en nos populations et en notre Etat, pour être de solides soutiens à notre «Team Sénégal», comme ils savent d’ailleurs si bien l’être avec nos Lions du football.
Qu’est-ce que l’Etat y gagnerait ?
Nous pensons que l’Etat gagnerait, en notre réseau, un interlocuteur national sur les questions touchant au développement économique de notre cher Sénégal. Mieux, il y trouvera un important vivier d’investisseurs sénégalais capables d’impulser et de conduire des projets structurants. L’avantage par rapport à un investisseur étranger est que la richesse ainsi générée restera au Sénégal, mieux, y serait réinvesti.
L'Observateur
L'Observateur