Au procès Sarkozy, les mystères de la tente de Kadhafi à Tripoli


Que s'est-il passé sous la tente de Mouammar Kadhafi en 2005 à Tripoli avec Nicolas Sarkozy ? Au procès des soupçons de financement libyen de la campagne électorale de l'ex-président français, le tribunal a décortiqué mercredi le moment-clé où aurait pu se nouer un "pacte de corruption".

Nicolas Sarkozy est jugé, depuis le 6 janvier et jusqu'au 10 avril à Paris, aux côtés de onze autres prévenus, pour des soupçons de financement de sa campagne présidentielle 2007 par le dictateur libyen Mouammar Kadhafi (renversé et mort en 2011) en échange de contreparties.

Nicolas Sarkozy conteste tout : pour lui, les accusations des Libyens ne sont qu'une "vengeance" s'expliquant par son soutien actif aux rebelles libyens au moment du printemps arabe qui fera chuter M. Kadhafi, tué en octobre 2011.

Ambassadeur français en Libye au moment des faits, Jean-Luc Sibiude, cité comme témoin par l'accusation, revient mercredi avec rondeur sur ses années sur place, entre 2004 et 2007, moment du "retour de la Libye dans la communauté internationale" après la levée de l'embargo en 2003.

Il confirme que l'élection de Nicolas Sarkozy en 2007 à la présidence française a donné une "nouvelle impulsion" aux relations franco-libyennes, en venant "compléter la dynamique" enclenchée par la visite de son prédécesseur Jacques Chirac en 2004.

A-t-il souvenir de la visite de Claude Guéant, alors directeur du cabinet du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, du 30 septembre au 2 octobre 2005 ? "Non. Elle ne m'a pas marqué comme d'autres, par exemple celle de Nicolas Sarkozy", le 6 octobre 2005.

"Il était très attendu par les autorités libyennes, on m'avait dit c'était une visite très importante pour la Libye. Nicolas Sarkozy était déjà candidat à la présidence, je ne sais pas si c'était officiel ou pas, mais ils avaient l'intention d'accueillir un potentiel futur président de la République", répond-t-il, parlant d'une visite "très bien préparée sur le plan formel" avec une déambulation "dans les jardins, avec les dromadaires et tout le folklore".


- "Seuls ?" -

Une fois arrivée, la délégation entière était "passée sous la tente" selon une "tradition bédouine", et des échanges "assez généraux ont eu lieu pendant un quart d'heure, vingt minutes".

Le témoin décrit ensuite comment Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy étaient sortis de la tente, puis avaient "disparu".

"Est-ce que vous avez le sentiment qu'ils se sont éloignés longtemps ?", demande la présidente. "Oui, une demi-heure voire un peu plus".

Assis à un mètre de la barre, Nicolas Sarkozy, droit sur le dossier de sa chaise et bras croisés, ne le lâche pas du regard.

Entendu pendant l'enquête, Jean-Luc Sibiude s'était souvenu avoir plaisanté auprès de l'interprète: "ils ont dû s'en dire, des choses !". Est-ce qu'il faut en déduire que l'interprète a participé à ce deuxième entretien "privé" ?

"Ca ne change pas grand chose", répond l'ancien diplomate.

"Alors si, parce que selon l'accusation, M. Sarkozy aurait pu demander un financement à M. Kadhafi", relève la présidente. "La question qui se pose, c'est de savoir s'ils auraient pu avoir quelques minutes en tête-à-tête".

"Seuls ? Ca me paraît très peu probable parce que je n'ai pas connaissance que le chef d'Etat libyen parlait anglais ou français". La présidente évoque les témoignages disant que Mouammar Kadhafi en avait quelques rudiments... Le témoin ne peut "ni confirmer ni infirmer".


- "Je ne sais pas" -

L'ancien président a toujours fermement contesté avoir eu une telle discussion avec le dictateur libyen. Visiblement, il bouillonne.

Plus tôt, un ancien attaché de sécurité à l'ambassade, Jean-Guy Pérès, était resté beaucoup plus flou.

Apparemment pas ravi d'être à la barre, il a souligné qu'il était en poste depuis seulement "dix jours" au moment de la visite. La fameuse tente était "ouverte sur l'extérieur" par un côté, décrit-il. "On entendait très mal ce qui se disait".

A-t-il vu les deux hommes s'entretenir seul à seul, par exemple à la fin de l'entretien, en allant vers les voitures ? "J'étais quand même bien derrière...".

Ont-ils pu avoir un entretien confidentiel ? insiste la présidente. "Cela me semble difficile... je ne sais pas".

"Vous ne trouverez jamais, jamais non pas un euro, mais pas un centime libyen, dans ma campagne", a affirmé jeudi 9 janvier Nicolas Sarkozy à la barre du tribunal de Paris, pour sa première prise de parole à son procès, en dénonçant "dix années de calomnies".
Mercredi 15 Janvier 2025
Dakaractu