Au nom de nos rues!


Imaginez une place Adolf Hitler en plein cœur de Paris, une rue Heinrich Himmler, du nom du maître absolue de la SS nazie, à Tel Aviv ou encore un boulevard Herman Goring, commandant en chef de l’armée de l’air allemande lors de la seconde guerre mondiale, dans les artères londoniennes.
Ces cas de figures sont inimaginables et pourtant ils se sont produits et perdurent dans notre cher Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique où les rues sont décorées de plaques à la gloire des chantres du colonialisme.
Je vois d’ici certains esprits se croyant avertis se demandaient « qui est ce fou qui compare la barbarie nazie à la mission civilisatrice de notre ami le toubab ».J’éviterai de spéculer inutilement sur les grandes similitudes de ces systèmes coloniaux car la plupart d’entre nous sont à un niveau très avancé du syndrome de Stockholm. Je ne rappellerai que cette phrase du sergent chef Aloïse Diatta que le grand cinéaste Ousmane Sembene a fait dire son long métrage sur le massacre du Camp de Thiaroye « Armée française ou nazie, c’est l’armée coloniale, même mentalité, les officiers qui en 1940 ont refusé le ralliement des forces de l’AOF aux forces françaises de l’armée libre et qui ont fusiller les sénégalais ralliés à ces forces sont les mêmes officiers qui sot au côté du chef de la France libre (De Gaulle) et contrôle les colonies ».
Mais ne nous éloignons pas trop de notre propos initial et citons quelques uns de ceux dont le nom ne mérite pas de figurer au dos de nos enveloppes joliment timbrées de nos armoiries, de nos lieux saints ou encore de nos valeureux ancêtres.
Tout d’abord, Jules Ferry, le père de l’école publique française, qui a osé déclarer à la tribune du parlement français « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. (...) Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Une rhétorique qui fait étrangement penser au propagandiste nazi Joseph Goebbels, et qui passerait bien en quatrième de couverture de Mein Kampf……Qu’auriez vous fait Monsieur pour arriver à vos fins si la résistance était beaucoup plus dure ? Nous bombarder comme Vichy en 1940, nous confiner dans camps pour nous apprendre à manger avec une fourchette………..et pourtant une rue de notre capitale porte le nom de ce Monsieur.
Il y a encore ces valeureux hommes de main qui ont concrétisé toutes ces théories dans les champs de batailles, il s’agit des généraux Louis Faidherbe et Emile Pinet-Laprade qui se sont succédés dans les champs de bataille du Soudan français. Ceux-ci ont dans leurs sarcelles des victoires dans lesquelles où ils ont exterminés bon nombre de nos ancêtres, et soumis au travail forcé les rescapés. Ainsi Lat Dior, Maba Diakhou, Ndatté Yalla, Alboury, Kumba Ndoffen, parmi les plus illustres, ont vu leurs terres pillés, leurs histoires enfouies, leur nom porté à l’oubli par ces généraux que l’on a gardés dans nos mémoires avec avenue Faidherbe (je ne parle même pas du pont) et un boulevard Pinet-Laprade. Et je passe les sévices que ces derniers ont fait subir à nos grands guides religieux qui, fort heureusement grâce à leurs talibés sont restés dans la mémoire collective.
Ces exemples ne sont pas les seuls noms qui à leur lecture dans ma bien aimée ville de Dakar me fendent le cœur. On peut ajouter le président franc-maçon éphémère de la France Félix Faure, l’administrateur Ernest Roume, ou encore le célèbre William Ponty qui est l’origine de la participation massive des troupes coloniales à la seconde guerre. Fort heureusement, parmi cette pléthore de chantres du colonialisme, il y a certains noms de français qui sont toujours les bienvenus dans nos rues, tel Georges Clémenceau et Jean Jaurès.
Ceci n’est pas une propagande anti français, mais plutôt un rappel pour montrer l’inadéquation de certains noms de rue pour un peuple qui veut se construire laborieusement de ses propres mains, en refusant le confort feutré d'une dépendance librement consentie. Le travail entamé par le Professeur Iba Der Thiam sur le nom de nos écoles doit être poursuivi dans nos rues.
Mardi 15 Octobre 2013
Souleymane Gueye