Analyse d’un feuilleton judiciaire au palais de justice Lat Dior de Dakar


Le verdict est tombé le vendredi 06 septembre 2013. Amy Diallo, secrétaire au Tribunal départemental hors classe de Dakar a humé l’air de la liberté. Son séjour carcéral est devenu un mauvais souvenir après que le tribunal des flagrants délits l’ait condamnée à une peine d’emprisonnement de deux mois avec sursis pour outrage à magistrat. C’est donc ce délit prévu par l’article 194 du code pénal, en guise de protection du magistrat proportionnellement à sa mission de dire le droit qui a valu à cette dame  la prison. La loi du plus fort est sans doute toujours la meilleure.
Pourtant, ce n’est nullement la première fois que l’on note des heurts entre membres d’une même juridiction au palais de justice de Dakar. Deux magistrats (un magistrat du siège et un magistrat du parquet) se sont insultés en pleine audience dans ce même palais et le règlement a consisté à trouver une solution amiable. Mais, le droit à l’erreur n’existe pas pour une secrétaire. Même si elle reconnait sa faute et présente ses excuses, il faut la mettre en prison ne serait ce que pour une dizaine de jours.
Loin de faire le procès des magistrats  ou de me tailler en avocat défenseur de la pauvre secrétaire, je déplore la manière dont cette affaire a été traitée. Une secrétaire ne saurait égaler une juge. Seulement, si l’on observe bien, la solidarité de corps s’est manifestée dans le traitement du dossier lorsque le ministère public s’est opposé à la demande de mise en liberté formulée par les avocats de la défense.  Le trouble avait cessé du moment que la secrétaire avait reconnu sa faute. Aussi, offrait-elle suffisamment de garantie de représentation puisqu’elle travaille dans ce tribunal depuis trente trois ans. Mais, le parquet s’est caché derrière une prétendue « gravité des faits » pour légitimer le mandat de dépôt. Le siège ne fait pas mieux en rejetant la demande de mise en liberté provisoire sans aucune motivation parce qu’il n’a même pas rédigé son factum.
Le choix de la voie pénale pour régler ce différend survenu entre deux membress d’une même juridiction manque vraiment de lucidité et de pertinence. Pour citer Aimé Césaire,«la malédiction la plus commune en cette matière, c’est d’être la dupe d’une hypocrisie collective habile à mal poser les problémes pour mieux légitimer  les odieuses solutions qu’on leur apporte ». Il faut le dire sans crainte, la qualification des faits est déroutante pour trois raisons, au moins.
Primo : un conflit oppose un magistrat et une secrétaire d’un tribunal, alors il ya outrage à magistrat. Cette qualification  ne repose que sur un rapport de forces   et, est, par la force de la vérité, injuste. Sinon pourquoi n’a pas parlé d’outrage réciproque à magistrat lorsque des magistrats se sont dits des aménités à l’audience ?
Secundo : l’avocat de la société (magistrat du parquet)   n’entend pas réparer l’injustice en arguant que la pévenue connaissait bien la qualité de la partie civile c'est-à-dire que celle-ci est un magistrat.
Tertio : la profession de la partie civile a suffi  au Tribunal pour entrer en voie de condamnation bienqu’il ait accordé à Amy Diallo le sursis.
 Et tel un  feuilleton judiciaire, l’épisode  prend fin.
Cette triste manière de régler un conflit dans une organisation, de surcroit une juridiction est révèlatrice : un bon juge n’est pas forcément un bon manager. Le management d’une juridiction est tout à fait différente de la police d’audience. Le premier exige des qualités humaines tandis que la seconde revêt une allure policière.Etre un bon manager c'est-à-dire un entraineur d’hommes requiert le savoir, le savoir-faire et le savoir-être alors que les deux premières qualités citées suffisent pour maitriser une salle d’audience. Mais Où était madame la présidente du tribunal départemental hors classe de Dakar  pendant que se déroulait ce feuilleton correctionnel? quelles qualités managériales présente-t-elle pour coacher une juridiction dite « hors classe » ? A-t-elle agi en bon père de famille ou gardé le silence en « l’attitude stérile du spectateur » ? Ses bons offices sont-ils voués à l’echec ou a-t-elle assisté impuissante face à cette incongruité ?
Tout ceci montre que les spécialistes du management des organisations riront sous cape en apprenant cette drôle histoire. Le règlement des conflits en management des organisations doit être moins couteux, moins bruyant et plus efficace que ce qui s’est passé au palais de justice Lat Dior sous les yeux coupables de toutes les autorités judiciaires. Toutes les études d’économie judiciaire ont révélé que la justice négociée est beaucoup plus efficiente que la justice imposée. Le conflit opposant Alimatou Thioye à Amy DIALLO, deux membres du tribunal départemental hors classe de Dakar ne devait jamais être porté devant une juridiction correctionnelle. Le linge sale se lave en famille, a-t-on coutume de dire. Un Tribunal est toujours composite en ce sens que c’est la somme des efforts et sacrifices consentis par les magistrats, les greffiers, les interprétes,  les archivistes et  les secrétaires qui lui permettent  de répondre favorablement aux préoccupations des usagers du service public de la justice. La hierarchie qui régit toute l’administration ne doit pas conduire au piétinement des plus faibles.
                                                                              

 Maître Alèrou BIAGUI, Greffier
                                                                                                                                  
 
Mardi 10 Septembre 2013
Daddy Diop