Après l’arrêt rendu par la Cour suprême jeudi dernier, annulant partiellement la décision de l’Armp du 16 juillet 2012, la Société Indienne Angélique Internationale revient dans le jeu et peut maintenant faire-valoir son savoir faire en matière d’électrification rurale. Dans cet entretien qu’il nous accorde, le patron de Enco Abdou Sy ne cache pas sa joie. Occasion saisie par ce discret fils de Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum pour régler quelques comptes avec Karim Wade qui a tout fait pour écarter Enco.
L’As : Aujourd’hui, l’attention se reporte sur ENCO, votre société qui est très impliquée dans la mise en œuvre de ce Projet financé par le Gouvernement Indien en deux phases. Quelles sont vos premières réactions suite à ces nouveaux développements ?
Abdou Sy : C’est une réaction de satisfaction. Je pense que c’est tout à l’honneur du Sénégal que malgré l’énorme travail de contrôle qu’accomplit l’Armp dans notre pays, il puisse y avoir une autorité supérieure (La Cour Suprême) qui soit également en mesure de la rectifier quand elle commet des erreurs de jugement et d’appréciation. Nul n’est infaillible, vous savez. Je suis donc content pour «Angélique» car la société a accompli un bon travail lors de l’exécution de cette première phase, allant même parfois au-delà de ce qu’on lui demandait. Ce qui a permis d’ailleurs au Sénégal d’obtenir le financement d’une phase complémentaire de la part du Gouvernement Indien.
De manière indirecte, cette décision de la Cour lave également ENCO de certaines accusations, du reste totalement infondées, et je suis sûr que la vérité sur ce dossier est en train de ressortir petit à petit. Ce projet était parti pour être une vitrine pour le secteur en général et pour la coopération entre l’Inde et le Sénégal. J’espère que les erreurs et surtout les blocages vont finalement être levés pour l’intérêt des populations rurales.
Réellement, quelles étaient les véritables raisons du blocage du Projet, notamment la non-finalisation des travaux de la première phase?
L’Aser avait signé un protocole d’accord depuis 2004 avec la société «Angélique», pour un Projet d’électrification rurale d’un montant de 42,5 Millions USD (un peu plus de 21 milliards de FCfa). Mais le Sénégal n’arrivait pas, après 3 années, à mobiliser le financement du Projet. C’est alors que le Ministère de l’Energie a émis un mandat en février 2007 en notre faveur, pour le soutenir dans la recherche du financement et de l’exécution du Projet. Nous travaillions déjà avec le Ministère et avions déjà collaboré avec l’Aser dans le cadre du Projet ISOFOTON pour lequel 20 Millions USD (10 milliards) avaient été financés par le Gouvernement espagnol. Je dois souligner que l’Etat du Sénégal ne devait verser aucune rétribution financière à ENCO. Tout investissement dans le cadre de notre intervention devait être remboursé par une négociation avec le fournisseur Indien une fois celui-ci choisi, et surtout le financement sécurisé. Après plusieurs mois de travaux et de voyages à Delhi pour y rencontrer certaines autorités, l’Inde accepta l’idée de financer ce Projet en 2 phases, la seconde ne devant intervenir qu’une fois la première bien exécutée.
Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ?
Par la suite, «Angélique» fut sélectionnée à travers une consultation restreinte de sociétés indiennes ayant une expérience avérée dans le domaine en Afrique. Un contrat a été signé en novembre 2008 entre l’Aser et Angélique. Ce contrat a par la suite été amendé afin de se conformer aux exigences de l’Exim Bank d’Inde sur le montant des biens et services indiens à fournir, qui ne devait jamais être inférieur à 87% de la valeur totale du marché et par ailleurs respecter les normes de la Senelec et de l’Aser en matière d’extension de réseau et d’installation solaire. Pour faciliter son application à l’électrification rurale (car l’Inde avait préalablement l’habitude de financer des projets qui se limitaient à une simple fourniture de Tracteurs, Bus, Matériels Agricoles et Médicaux), «Angélique» devait finalement fabriquer, fournir et transporter sur sites. Le matériel et l’installation physique étaient placés sous la responsabilité de la société ENCO, mandataire de l’Etat du Sénégal pour ce projet, qui devait également y faire participer d’autres structures sénégalaises spécialisées dans le domaine et surtout habituées aux installations rurales dans la zone de la Casamance. Tout cela devait être réalisé bien sûr sans que l’Aser n’ait de frais additionnels à ajouter au montant initial du Projet.
Jusque-là, tout était normal…
Tout à fait, mais en pleine exécution de la première phase, alors qu’elle touchait à sa fin, que nous avions déjà établi un rapport d’évaluation finale sous le contrôle de l’Aser et que le principe de financement de la seconde phase était accepté par le bailleur, nous avons appris que le ministre de l’Energie d’alors, Karim Wade, sans même avertir l’Aser et ENCO, avait secrètement établi depuis plusieurs mois un second mandat au profit de la société TSE Afrique pour faire le même travail. En fait, le but inavoué était de faire organiser une consultation restreinte à TSE une fois le financement de la seconde phase acquise, pour choisir un fournisseur indien. Le principal souci, c’est que l’Inde exige désormais que tous les financements de projets en Afrique se fassent à travers des appels d’offres répondant aux règles de passation des marchés des pays demandeurs et Karim Wade semblait totalement l’ignorer. On ne voulait pas y croire au départ, tellement la chose était aberrante. Nous avons donc essayé de prendre contact avec le ministère qui s’empressa alors, dans un courrier daté d’avril 2011, de demander à ENCO de mettre fin à ses activités dans ce projet jusqu’à nouvel ordre… Depuis, silence radio. Les travaux de finition ont été stoppés. Karim Wade nous a plongés dans une situation délicate où nous étions obligés de continuer à payer des charges fixes sans travailler et plus grave, il a mis en danger un financement au profit du Sénégal pour lequel nous nous étions énormément battus afin de l’obtenir. Plus de 240 installateurs étaient directement impliqués dans ce Projet. La plupart se sont retrouvés au chômage en perdant leurs revenus, leur maison et cela a parfois même occasionné leur divorce. Sans vous parler de l’attente et de la frustration des populations rurales qui sont les principales concernées.
Pourtant on dit de vous que vous êtes un ami d’enfance de Karim Wade….
Oui, c’est le cas. Je connais Karim depuis très longtemps, nous avons grandi ensemble. J’étais son ami quand très peu de gens osaient fréquenter la famille Wade. Cela m’a fait souvent sourire de voir par la suite que certaines personnes qui me dissuadaient de le fréquenter à l’époque sont devenues ses proches. Bref, nous avons toujours eu des relations quasi-fraternelles, d’autant que nos pères sont amis et tonton Moustapha Wade (Paix à son âme) était également proche de mon père. Le seul ennui, c’est qu’il a pris la grosse tête quand son père est devenu président et il n’a pas su que l’humilité était la première des vertus pour un responsable. On voit actuellement d’ailleurs où ses excès l’ont mené. Cela rappelle Othello qui disait : «celui qui cesse d’être votre ami, ne l’a sans doute jamais été.»
Aviez-vous informé le Président Wade de ces manquements ?
Bien sûr. J’ai des rapports filiaux avec le Président Wade. Même si je ne suis pas d’accord avec ses choix politiques des dernières années, c’est quelqu’un pour qui j’ai la plus grande affection et le plus grand respect pour tout ce qu’il a accompli pour l’avènement de la démocratie dans ce pays. J’ai eu la chance d’être un témoin privilégié de son combat lorsqu’il était dans l’opposition et qu’il était parfois injustement emprisonné pour ses opinions. On peut ne pas être d’accord sur ses positions politiques, mais personne de sincère ne peut nier son courage, sa détermination et son attachement au Sénégal. Je suis donc allé le voir au palais pour l’informer des errements de Karim en lui précisant qu’au-delà du Projet, il était tout simplement en train de plomber la coopération entre l’Inde et le Sénégal. Chiffres à l’appui, je lui ai expliqué qu’en dehors de ce Projet d’électrification rurale, le niveau de financement de l’Exim Bank d’Inde pour le Sénégal était pratiquement nul depuis 2008, en comparaison à d’autres pays africains. Je lui ai alors donné l’exemple du Mali qui avait reçu ces dernières années plusieurs centaines de millions USD du gouvernement indien. Par la suite, Karim m’a appelé car son père le lui a demandé. Nous avons déjeuné à Paris. Il revenait de Benghazi et sa tête était complètement dans les nuages. Il m’a donné sa parole qu’il allait remettre de l’ordre dans tout cela. Mais il n’en a rien fait. Il a laissé cette société organiser un appel d’offres et la suite vous la connaissez, un contrat ridicule a été signé entre l’Aser et un fournisseur indien, avant d’être annulé par l’Armp suite à la plainte de sociétés indiennes plusieurs mois plus tard, pour graves manquements aux règles de passation de marché.
Tout cela semble surprenant, car on dit également que vous êtes un ami de Cheikh Amar, le propriétaire de TSE
On se connaît mais ce n’est pas mon ami.
On sait que vous êtes le fils de Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, pourquoi n’avoir pas usé de votre influence de fils de chef religieux pour régler ce problème ?
Voyez-vous, je pense qu’il ne faut pas mélanger les choses et nous vivons dans un pays où les gens passent souvent leur temps à faire des amalgames. Mon père Serigne Cheikh Tidiane Sy, puisque c’est de lui qu’on parle indirectement, a toujours inculqué à sa communauté que le mérite et le travail demeuraient des valeurs essentielles de la vie. Ce n’est pas parce que je vais porter une djellaba et me mettre à parler comme lui que je vais subitement me transformer en Serigne Cheikh. Il faut être sérieux. Et sans vouloir tirer sur l’ambulance, c’est ce que l’on reproche à Karim et à tous ceux qui revendiquent des choses sur la base unique de liens familiaux. Je ne le dis pas méchamment, mais Karim Wade n’était pas prêt à exercer toutes les responsabilités qu’on lui avait confiées, car il n’avait pas les qualités de son père. C’est tout. La plupart des gens qui ont voté pour le Président Sall l’ont fait pour le courage constant dont il a fait preuve devant l’adversité et l’exclusion, plutôt que pour le programme qu’il présentait. Notre peuple est de plus en plus sensible à la notion de mérite personnel. On ne peut pas exercer une fonction ou exiger les choses parce que simplement on est le fils de tel ou tel…. . Je travaille souvent dans d’autres pays que le Sénégal, où personne ne connaît ma famille et je suis souvent plus à l’aise professionnellement là-bas qu’ici. Il faut qu’on apprenne à séparer ses croyances qui sont à mon avis du domaine du privé de la gestion des choses publiques auxquelles tout Sénégalais doit avoir accès, de quelque confession religieuse qu’il soit ou de quelque origine sociale ou ethnique qu’il puisse être. De même, le contraire ne doit pas avoir lieu, à savoir ce que j’aime appeler le «délit d’être le fils d’un tel ou tel»…. Serigne Cheikh ou Serigne Babacar Sy, leur place pour moi c’est dans le cœur et non sur mon lieu de travail. L’essentiel c’est d’avoir leur bénédiction. Mes performances elles par contre, doivent être le fruit de mon labeur, donc de mes efforts.
Quelles dispositions aviez-vous prises afin de régler cette situation ?
Nous avions saisi par courrier officiel de notre avocat Me Oumar Youm, Mr Karim Wade. Il n’y a jamais répondu. Je crois qu’il attendait le résultat des élections …… (sourire).
Quelle est la position du nouveau Ministre et de la nouvelle direction de l’Aser?
Ecoutez, je les ai rencontrés tous les deux, ils m’ont confirmé qu’ils étaient dans de bonnes dispositions pour régler ce problème et ont fait part de la nécessité de finir les travaux de la première phase. Je leur ai fait savoir que nous étions disposés à le faire dans les meilleurs délais, d’autant que plus de 90% du Projet a déjà été réalisé. Mais nous voudrions que le cadre légal d’intervention d’ENCO soit clarifié et que la mesure de suspension des courriers de Karim Wade soit levée. Le Ministre de l’Energie et le nouveau Directeur de l’Aser ont été tous les deux saisis via courrier officiel par notre avocat. Nous sommes en attente de leur réaction et nous espérons qu’elle se fera dans le bon sens.
Votre société vient de signer en compagnie d’ISOFOTON un contrat de Partenariat avec l’Etat pour la gestion de la Concession de Kaolack-Fatick-Gossas-Nioro. Comment voyez-vous les perspectives de l’implication du secteur privé dans l’électrification rurale et dans le secteur de l’énergie en général ?
Nous nous réjouissons de ce partenariat signé avec l’Etat grâce au soutien de la KFW et que nous allons réaliser en coopération avec notre partenaire ISOFOTON. L’appel d’offres ainsi que les négociations y afférant ont certes pris du temps, mais l’accord vient finalement d’être signé. Nous venons également de remporter une autre concession sur appel d’offres, celle de Kolda-Vélingara qui concernera un minimum de 20 500 ménages avec un appui de l’Union Européenne et pour lequel nous espérons signer le Contrat de Concession avec le Ministère au plus tard pendant le mois de janvier 2013. Je pense que la vision de l’Aser pour l’électrification rurale est à louer car elle est extrêmement innovante. Il reste maintenant qu’elle dispose des moyens suffisants, financiers et humains, pour la mettre en œuvre. L’apport du secteur privé dans le secteur énergétique peut être considérable, par contre il va falloir trouver une solution aux problèmes de délais liés à l’exécution de ces projets. Par exemple, dans le cadre du Plan Takkaal, qui à mon humble avis doit être rapidement remplacé par une autre option du gouvernement, on a compris tardivement que le calendrier d’application des mesures du Plan était à la limite plus important que les réformes elles-mêmes. Résultat : les choix énergétiques de sortie de crise ne sont toujours pas clairement définis, le retard sur certaines décisions ou certains travaux entraîne inéluctablement des coûts additionnels. Un cas précis, ce sont les générateurs de APR Energy qui auraient dû être rendus à partir du mois d’octobre et qui sont toujours en utilisation. L’option énergétique que représentait le charbon n’a pas été confirmée à temps. Or c’est cette option qui devait entraîner la baisse graduelle du coût de production de l’électricité. En lieu et place, les factures des ménages sont en train d’augmenter de manière vertigineuse. Je crois que c’est la rapidité, le délai dans lequel l’Etat traitera ces attentes qui vont sans nul doute renforcer l’intérêt du privé pour investir dans le secteur énergétique sénégalais.
Entretien réalisé par Cheikh Oumar NDAW
L’As : Aujourd’hui, l’attention se reporte sur ENCO, votre société qui est très impliquée dans la mise en œuvre de ce Projet financé par le Gouvernement Indien en deux phases. Quelles sont vos premières réactions suite à ces nouveaux développements ?
Abdou Sy : C’est une réaction de satisfaction. Je pense que c’est tout à l’honneur du Sénégal que malgré l’énorme travail de contrôle qu’accomplit l’Armp dans notre pays, il puisse y avoir une autorité supérieure (La Cour Suprême) qui soit également en mesure de la rectifier quand elle commet des erreurs de jugement et d’appréciation. Nul n’est infaillible, vous savez. Je suis donc content pour «Angélique» car la société a accompli un bon travail lors de l’exécution de cette première phase, allant même parfois au-delà de ce qu’on lui demandait. Ce qui a permis d’ailleurs au Sénégal d’obtenir le financement d’une phase complémentaire de la part du Gouvernement Indien.
De manière indirecte, cette décision de la Cour lave également ENCO de certaines accusations, du reste totalement infondées, et je suis sûr que la vérité sur ce dossier est en train de ressortir petit à petit. Ce projet était parti pour être une vitrine pour le secteur en général et pour la coopération entre l’Inde et le Sénégal. J’espère que les erreurs et surtout les blocages vont finalement être levés pour l’intérêt des populations rurales.
Réellement, quelles étaient les véritables raisons du blocage du Projet, notamment la non-finalisation des travaux de la première phase?
L’Aser avait signé un protocole d’accord depuis 2004 avec la société «Angélique», pour un Projet d’électrification rurale d’un montant de 42,5 Millions USD (un peu plus de 21 milliards de FCfa). Mais le Sénégal n’arrivait pas, après 3 années, à mobiliser le financement du Projet. C’est alors que le Ministère de l’Energie a émis un mandat en février 2007 en notre faveur, pour le soutenir dans la recherche du financement et de l’exécution du Projet. Nous travaillions déjà avec le Ministère et avions déjà collaboré avec l’Aser dans le cadre du Projet ISOFOTON pour lequel 20 Millions USD (10 milliards) avaient été financés par le Gouvernement espagnol. Je dois souligner que l’Etat du Sénégal ne devait verser aucune rétribution financière à ENCO. Tout investissement dans le cadre de notre intervention devait être remboursé par une négociation avec le fournisseur Indien une fois celui-ci choisi, et surtout le financement sécurisé. Après plusieurs mois de travaux et de voyages à Delhi pour y rencontrer certaines autorités, l’Inde accepta l’idée de financer ce Projet en 2 phases, la seconde ne devant intervenir qu’une fois la première bien exécutée.
Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ?
Par la suite, «Angélique» fut sélectionnée à travers une consultation restreinte de sociétés indiennes ayant une expérience avérée dans le domaine en Afrique. Un contrat a été signé en novembre 2008 entre l’Aser et Angélique. Ce contrat a par la suite été amendé afin de se conformer aux exigences de l’Exim Bank d’Inde sur le montant des biens et services indiens à fournir, qui ne devait jamais être inférieur à 87% de la valeur totale du marché et par ailleurs respecter les normes de la Senelec et de l’Aser en matière d’extension de réseau et d’installation solaire. Pour faciliter son application à l’électrification rurale (car l’Inde avait préalablement l’habitude de financer des projets qui se limitaient à une simple fourniture de Tracteurs, Bus, Matériels Agricoles et Médicaux), «Angélique» devait finalement fabriquer, fournir et transporter sur sites. Le matériel et l’installation physique étaient placés sous la responsabilité de la société ENCO, mandataire de l’Etat du Sénégal pour ce projet, qui devait également y faire participer d’autres structures sénégalaises spécialisées dans le domaine et surtout habituées aux installations rurales dans la zone de la Casamance. Tout cela devait être réalisé bien sûr sans que l’Aser n’ait de frais additionnels à ajouter au montant initial du Projet.
Jusque-là, tout était normal…
Tout à fait, mais en pleine exécution de la première phase, alors qu’elle touchait à sa fin, que nous avions déjà établi un rapport d’évaluation finale sous le contrôle de l’Aser et que le principe de financement de la seconde phase était accepté par le bailleur, nous avons appris que le ministre de l’Energie d’alors, Karim Wade, sans même avertir l’Aser et ENCO, avait secrètement établi depuis plusieurs mois un second mandat au profit de la société TSE Afrique pour faire le même travail. En fait, le but inavoué était de faire organiser une consultation restreinte à TSE une fois le financement de la seconde phase acquise, pour choisir un fournisseur indien. Le principal souci, c’est que l’Inde exige désormais que tous les financements de projets en Afrique se fassent à travers des appels d’offres répondant aux règles de passation des marchés des pays demandeurs et Karim Wade semblait totalement l’ignorer. On ne voulait pas y croire au départ, tellement la chose était aberrante. Nous avons donc essayé de prendre contact avec le ministère qui s’empressa alors, dans un courrier daté d’avril 2011, de demander à ENCO de mettre fin à ses activités dans ce projet jusqu’à nouvel ordre… Depuis, silence radio. Les travaux de finition ont été stoppés. Karim Wade nous a plongés dans une situation délicate où nous étions obligés de continuer à payer des charges fixes sans travailler et plus grave, il a mis en danger un financement au profit du Sénégal pour lequel nous nous étions énormément battus afin de l’obtenir. Plus de 240 installateurs étaient directement impliqués dans ce Projet. La plupart se sont retrouvés au chômage en perdant leurs revenus, leur maison et cela a parfois même occasionné leur divorce. Sans vous parler de l’attente et de la frustration des populations rurales qui sont les principales concernées.
Pourtant on dit de vous que vous êtes un ami d’enfance de Karim Wade….
Oui, c’est le cas. Je connais Karim depuis très longtemps, nous avons grandi ensemble. J’étais son ami quand très peu de gens osaient fréquenter la famille Wade. Cela m’a fait souvent sourire de voir par la suite que certaines personnes qui me dissuadaient de le fréquenter à l’époque sont devenues ses proches. Bref, nous avons toujours eu des relations quasi-fraternelles, d’autant que nos pères sont amis et tonton Moustapha Wade (Paix à son âme) était également proche de mon père. Le seul ennui, c’est qu’il a pris la grosse tête quand son père est devenu président et il n’a pas su que l’humilité était la première des vertus pour un responsable. On voit actuellement d’ailleurs où ses excès l’ont mené. Cela rappelle Othello qui disait : «celui qui cesse d’être votre ami, ne l’a sans doute jamais été.»
Aviez-vous informé le Président Wade de ces manquements ?
Bien sûr. J’ai des rapports filiaux avec le Président Wade. Même si je ne suis pas d’accord avec ses choix politiques des dernières années, c’est quelqu’un pour qui j’ai la plus grande affection et le plus grand respect pour tout ce qu’il a accompli pour l’avènement de la démocratie dans ce pays. J’ai eu la chance d’être un témoin privilégié de son combat lorsqu’il était dans l’opposition et qu’il était parfois injustement emprisonné pour ses opinions. On peut ne pas être d’accord sur ses positions politiques, mais personne de sincère ne peut nier son courage, sa détermination et son attachement au Sénégal. Je suis donc allé le voir au palais pour l’informer des errements de Karim en lui précisant qu’au-delà du Projet, il était tout simplement en train de plomber la coopération entre l’Inde et le Sénégal. Chiffres à l’appui, je lui ai expliqué qu’en dehors de ce Projet d’électrification rurale, le niveau de financement de l’Exim Bank d’Inde pour le Sénégal était pratiquement nul depuis 2008, en comparaison à d’autres pays africains. Je lui ai alors donné l’exemple du Mali qui avait reçu ces dernières années plusieurs centaines de millions USD du gouvernement indien. Par la suite, Karim m’a appelé car son père le lui a demandé. Nous avons déjeuné à Paris. Il revenait de Benghazi et sa tête était complètement dans les nuages. Il m’a donné sa parole qu’il allait remettre de l’ordre dans tout cela. Mais il n’en a rien fait. Il a laissé cette société organiser un appel d’offres et la suite vous la connaissez, un contrat ridicule a été signé entre l’Aser et un fournisseur indien, avant d’être annulé par l’Armp suite à la plainte de sociétés indiennes plusieurs mois plus tard, pour graves manquements aux règles de passation de marché.
Tout cela semble surprenant, car on dit également que vous êtes un ami de Cheikh Amar, le propriétaire de TSE
On se connaît mais ce n’est pas mon ami.
On sait que vous êtes le fils de Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, pourquoi n’avoir pas usé de votre influence de fils de chef religieux pour régler ce problème ?
Voyez-vous, je pense qu’il ne faut pas mélanger les choses et nous vivons dans un pays où les gens passent souvent leur temps à faire des amalgames. Mon père Serigne Cheikh Tidiane Sy, puisque c’est de lui qu’on parle indirectement, a toujours inculqué à sa communauté que le mérite et le travail demeuraient des valeurs essentielles de la vie. Ce n’est pas parce que je vais porter une djellaba et me mettre à parler comme lui que je vais subitement me transformer en Serigne Cheikh. Il faut être sérieux. Et sans vouloir tirer sur l’ambulance, c’est ce que l’on reproche à Karim et à tous ceux qui revendiquent des choses sur la base unique de liens familiaux. Je ne le dis pas méchamment, mais Karim Wade n’était pas prêt à exercer toutes les responsabilités qu’on lui avait confiées, car il n’avait pas les qualités de son père. C’est tout. La plupart des gens qui ont voté pour le Président Sall l’ont fait pour le courage constant dont il a fait preuve devant l’adversité et l’exclusion, plutôt que pour le programme qu’il présentait. Notre peuple est de plus en plus sensible à la notion de mérite personnel. On ne peut pas exercer une fonction ou exiger les choses parce que simplement on est le fils de tel ou tel…. . Je travaille souvent dans d’autres pays que le Sénégal, où personne ne connaît ma famille et je suis souvent plus à l’aise professionnellement là-bas qu’ici. Il faut qu’on apprenne à séparer ses croyances qui sont à mon avis du domaine du privé de la gestion des choses publiques auxquelles tout Sénégalais doit avoir accès, de quelque confession religieuse qu’il soit ou de quelque origine sociale ou ethnique qu’il puisse être. De même, le contraire ne doit pas avoir lieu, à savoir ce que j’aime appeler le «délit d’être le fils d’un tel ou tel»…. Serigne Cheikh ou Serigne Babacar Sy, leur place pour moi c’est dans le cœur et non sur mon lieu de travail. L’essentiel c’est d’avoir leur bénédiction. Mes performances elles par contre, doivent être le fruit de mon labeur, donc de mes efforts.
Quelles dispositions aviez-vous prises afin de régler cette situation ?
Nous avions saisi par courrier officiel de notre avocat Me Oumar Youm, Mr Karim Wade. Il n’y a jamais répondu. Je crois qu’il attendait le résultat des élections …… (sourire).
Quelle est la position du nouveau Ministre et de la nouvelle direction de l’Aser?
Ecoutez, je les ai rencontrés tous les deux, ils m’ont confirmé qu’ils étaient dans de bonnes dispositions pour régler ce problème et ont fait part de la nécessité de finir les travaux de la première phase. Je leur ai fait savoir que nous étions disposés à le faire dans les meilleurs délais, d’autant que plus de 90% du Projet a déjà été réalisé. Mais nous voudrions que le cadre légal d’intervention d’ENCO soit clarifié et que la mesure de suspension des courriers de Karim Wade soit levée. Le Ministre de l’Energie et le nouveau Directeur de l’Aser ont été tous les deux saisis via courrier officiel par notre avocat. Nous sommes en attente de leur réaction et nous espérons qu’elle se fera dans le bon sens.
Votre société vient de signer en compagnie d’ISOFOTON un contrat de Partenariat avec l’Etat pour la gestion de la Concession de Kaolack-Fatick-Gossas-Nioro. Comment voyez-vous les perspectives de l’implication du secteur privé dans l’électrification rurale et dans le secteur de l’énergie en général ?
Nous nous réjouissons de ce partenariat signé avec l’Etat grâce au soutien de la KFW et que nous allons réaliser en coopération avec notre partenaire ISOFOTON. L’appel d’offres ainsi que les négociations y afférant ont certes pris du temps, mais l’accord vient finalement d’être signé. Nous venons également de remporter une autre concession sur appel d’offres, celle de Kolda-Vélingara qui concernera un minimum de 20 500 ménages avec un appui de l’Union Européenne et pour lequel nous espérons signer le Contrat de Concession avec le Ministère au plus tard pendant le mois de janvier 2013. Je pense que la vision de l’Aser pour l’électrification rurale est à louer car elle est extrêmement innovante. Il reste maintenant qu’elle dispose des moyens suffisants, financiers et humains, pour la mettre en œuvre. L’apport du secteur privé dans le secteur énergétique peut être considérable, par contre il va falloir trouver une solution aux problèmes de délais liés à l’exécution de ces projets. Par exemple, dans le cadre du Plan Takkaal, qui à mon humble avis doit être rapidement remplacé par une autre option du gouvernement, on a compris tardivement que le calendrier d’application des mesures du Plan était à la limite plus important que les réformes elles-mêmes. Résultat : les choix énergétiques de sortie de crise ne sont toujours pas clairement définis, le retard sur certaines décisions ou certains travaux entraîne inéluctablement des coûts additionnels. Un cas précis, ce sont les générateurs de APR Energy qui auraient dû être rendus à partir du mois d’octobre et qui sont toujours en utilisation. L’option énergétique que représentait le charbon n’a pas été confirmée à temps. Or c’est cette option qui devait entraîner la baisse graduelle du coût de production de l’électricité. En lieu et place, les factures des ménages sont en train d’augmenter de manière vertigineuse. Je crois que c’est la rapidité, le délai dans lequel l’Etat traitera ces attentes qui vont sans nul doute renforcer l’intérêt du privé pour investir dans le secteur énergétique sénégalais.
Entretien réalisé par Cheikh Oumar NDAW