CONTEXTE HISTORIQUE DE L'AVENEMENT DU MAHDI
Yoff, paisible village de pêcheurs, situé à douze kilomètres de Dakar, sur la côte Nord de la presqu'île du Cap-Vert, avait rien de particulier par rapport aux autres bourgades, sinon qu'il pouvait s'honorer d'être l'une des plus anciennes agglomérations créées par des migrants venus du Djolof. C'est au milieu du XVIe siècle que ces ancêtres des lébous quittèrent cette région Nord-est du Sénégal, descendirent vers le Sud -Ouest et s'établirent d'abord dans le Djander à l'entrée du Cap-Vert. D'autres vagues de migrants suivirent, au fil des siècles, nourries par des vagues successives de réfugiés. Partis de chez eux pour des raisons diverses entre autres les tensions politiques et l'insécurité, ils vinrent finalement de toutes les régions du Sénégal.
Au départ ils formaient des groupes épars sans liens organiques. Avec l'augmentation rapide de leur nombre, toutes les couches de la population du Sénégal et presque toues, les ethnies furent représentées dans ces peuples, bien que les Lébous y furent largement majoritaires. Des villages naquirent le long des côtes.
S'adonnant à la pêche et l'agriculture, ils jouissaient d'une certaine prospérité économique, d'autant que des caravanes qui venaient chercher chez eux du poisson sec, du sel ... leur apportaient les produits qui leur manquaient.
En plus, des marchandises européennes leur parvenaient régulièrement par les bateaux qui longeaient la côte occidentale de l'Afrique.
Périodiquement agressés par les soldats du Damel, roi du Cayor, ils durent s'organiser pour résister. Quelques batailles qui tournèrent à leurs avantages les rendirent indépendants du Damel qui cherchait à étendre son autorité sur eux. C'est ainsi que naquit en 1790 la République des Lébou de la presqu'île du Cap-Vert.
Comme tous les autres villages du Cap-Vert, Yoff prit son destin en main, organisa ses activités économiques, politiques, sociales et administratives sous la conduite de responsables élus par le peuple, appelés: Djaraf, Ndeye-ji-rêw, saltigué...
Si chacun des villages jouissait ainsi d'une autonomie locale lui permettant de régenter ses affaires, les élus de la plus grande agglomération, firent assez rapidement figures de chefs qui coiffaient toute la collectivité, avec un président de la république (Serigne Ndakarou) assisté de ses ministres (Djaraf, Saltigué, Imam, Ndeye-ji-fré). À leurs côtés siégeaient deux autres grands dignitaires, (détenteurs de pouvoirs politico administratifs) qui limitaient ceux du président; ce sont le Ndeye-ji-rêw, sorte de Premier ministre et le Ndèye Jambour président de l'Assemblée Nationale des vieux sages, tous deux directement élus par le peuple
Les Lébous vécurent ainsi, jouissant d'une pleine autonomie dans la gestion de leurs affaires et de leur territoire, maîtres de leur destin pendant plus d'un demi-siècle (1790-1857), période riche de tensions internes et externes qui mirent en évidence l'héroïsme et la capacité des Lébous à se gouverner. Ils durent s'organiser pour mettre en échec les velléités annexionnistes des Damels du Cayor (fermeture de l'entrée de la Presqu'île par la construction d'un mur formé de blocs de pierre), puis d'un autre mur, au-delà du premier pour protéger leurs champs.
Ils entretenaient des relations suivies, ponctuées de crises avec les français établis à l'île de Gorée, située à 3 Km de la côte Sud de la Presqu'île. C'est d'ailleurs la volonté de résoudre ces crises qui les conduisirent à signer avec eux les traités du 10 Octobre 1826 et du 22 Avril 1830 qui fixa entre choses les redevances que devaient payer les bateaux qui accostaient à Dakar. Claude Faure ancien archiviste du gouvernement général de l'Afrique Occidentale Française, écrit à ce propos: « Pendant quarante ans les relations entre Gorée et la presqu'île du Cap-Vert furent celles qui existent entre deux puissances étrangères » . Évidemment, durant toute cette période, les Français mûrissaient le projet d'envahir la presqu'île. C'est le 25 Mai 1857 que le commandant Protêt débarqua à Dakar avec les marins de la Jeanne d'arc pour occuper la presqu'île. Ce jour, les lébous qui étaient occupés à fêter la fin du mois de ramadan(carême musulman), crurent que les Français, qu'ils considéraient comme des amis, étaient venus leur souhaiter une bonne fête.
Ils n'eurent donc aucune réaction. C'est plusieurs jours après qu'ils s'aperçurent qu'ils venaient de perdre leur souveraineté, lorsque les Français refusèrent de payer les redevances fixées d'un commun accord dans les traités précités.
Les Lébous vécurent par la suite sous l'autorité française, en citoyens qui se feront enrôler pour faire la guerre en Europe et ailleurs dans les rangs des soldats français, et qui aussi enverront au Parlement un premier député en 1914 (Blaise Diagne) et d'autres par la suite. Malgré tout, les Lébou ont conservé l'essentiel de leurs traditions, continuant à élire les membres de l'ancien gouvernement qui jusqu'à nos jours leur patrimoine particulier et les représentant auprès de l'Etat sénégalais.
Dès la naissance de la république Lébou en 1790, l'Islam constitua une religion d'état omniprésente dans toutes les activités des lébous. Non seulement l'Imam, chef de culte musulman, qui jugeait ses concitoyens selon les lois islamiques, était un membre influent du gouvernement, mais encore le Président lui-même porte le titre de Serigne, c'est-à-dire de maître en islamologie.
Les premiers missionnaires chrétiens qui arrivèrent sur la Presqu'île ont mentionné l'attachement des Lébou à l'islam, et la grande tolérance qu'ils manifestèrent à leur égard. Monseigneur Benoît Truffet, écrivait le 30 novembre 1847, quelques mois après son arrivée à Dakar, dans une lettre adressée à l'archevêque du diocèse de Chambéry : "...Le Cap-Vert où Dieu a fait placer la première maison apostolique, est la contrée où l'islamisme a des adeptes les plus vigoureux et les plus sincères en général. Il y a cinquante ans, elle se sépara violemment du royaume du Cayor, parce que le Roi du Cayor était quelque peu indifférent aux pratiques d'Alcoran. Et depuis la Presqu'île du Cap-Vert a formé un royaume théocratique et indépendant qui a pour capitale ndakaarou où je réside actuellement. C'est la République ou le royaume des marabouts, le Roi et tous les chefs sont marabouts, tous les pères de familles influents sont marabouts. Ils passent la moitié de leur vie à lire l'Alcoran, à en réciter les prières et à en faire les cérémonies...
La droiture, la probité, le respect pour le mariage, la soumission des enfants aux parents, leur affection pour leur mère, l'hospitalité patriarcale des wolofs contrastent avec les moeurs des Européens. Le meurtre, le vol et la fraude sont des choses presque inouïes dans la Presqu'île du Cap-Vert...
En prêchant à ces hommes calmes et religieux, on n'a pas besoin de leur prouver que Dieu les a placés en ce monde pour sauver leur âme : tous vivent dans cette persuasion et leur fanatisme en est une conséquence.
Ces noirs nous aiment beaucoup parce qu'ils savent que nous prions..." (Le texte intégral de cette lettre se trouve aux pages 92, 93 et 94 de " Histoire de la Presqu'île du Cap-Vert et des origines de Dakar" par Claude Faure)
Ce missionnaire chrétien était sans doute en contact avec une élite cultivée et fortement attachée à une parfaite orthodoxie musulmane, car au niveau de la grande masse des Lébou musulmans régnait un syncrétisme religieux qui leur faisait assumer, à côté des, rites islamiques, les rites du culte des génies appelés Rab ou Tour. Jusque vers la fin du XIXe siècle, chaque famille Lébou, à peu d'exception prés, entretenait dans sa maison un autel consacré au génie protecteur de la famille depuis des générations, comme chaque village avait un génie titulaire auquel on rendait un culte public.
Certes, ce culte n'avait plus l'envergure d'une religion, les relations entre les Rab et leurs protégés étant réduits à des pratiques purement utilitaires : on s'attirait les bonnes grâces du Rab en lui faisant des offrandes périodiques (lait, boule de farine de céréale, sang d'une bête immolée, versés sur l'autel... ), et en échange le Rab fournissait aux devins des informations sur l'avenir, ou intervenait pour la guérison d'un malade, ou la prospérité d'une entreprise, ou pour que les pluies fussent abondantes. Certaines cérémonies revêtaient un aspect impressionnant pour tout spectateur, notamment les danses publiques et l'immolation d'une bête au cours d'une cérémonie du Ndeup, organisée pour obtenir du Rab la guérison d'un malade.
Mais loin d'être uniquement sécurisantes, les relations des Rab et des hommes, constituaient une sorte d'épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes. En effet ceux qui plaçaient beaucoup d'espoir en la protection d'un Rab vivaient dans la hantise d'une répression déclenchée contre eux par le Rab. Il arrivait en effet que ce dernier qui n'aimait pas qu'on négligeât les offrandes et les actes d'allégeances qui lui sont dus infligeât une punition sévère aux fautifs.
Cet état d'esprit amenait d'ailleurs les individus à interpréter, les calamités naturelles, les maladies, la sécheresse, l'échec d'une entreprise, comme étant une manifestation du mécontentement du Rab de la famille ou de celui du village. Les devins consultés, disaient alors ce que réclame le Rab pour apaiser sa colère, et l'on se précipitait pour lui donner satisfaction.
Ces pratiques magiques s'adressant à une sorte de divinité capable d'intervenir en bien ou en mal dans les affaires des hommes, sont assez éloignées de l'orthodoxie musulmane.
Celle-ci exige qu'en toute circonstance, on n'adresse des prières qu'au Dieu unique détenteur exclusif du pouvoir de satisfaire nos besoins, rien ne pouvant se réaliser sans qu'il le veuille, ainsi Lui seul mérite qu'on Lui voue un culte.
Yoff était un centre actif du culte du Rab (génie) et des connaissances magiques; il entourait de soins, son Rab protecteur, du nom de Mame Ndiaré comme le faisait Dakar pour Leûk Dâwour, le village de Ngor pour Gorgui Bassé, Rufisque pour Mame Koumba Lambaye...
Ce n'est donc pas hasard si c'est à Yoff que va retentir l'appel du Saint Maître Seydina Limamou Laye, ce dimanche ler Châbân 1301 de l'hégire (Dimanche 24 Mai 1884) (Selon l'ordinateur que nous avons consulté c'est le 24 Mai 1884 qui correspond au ler Châbân de l'hégire 1301).
Se déclarant prophète, messager de Dieu, il conjura ses concitoyens et tous les hommes et même les djinns de répondre à l'appel de Dieu.
Il les invita à Lui vouer un culte pur et sincère, à ne placer leur espoir qu'en Lui, à pratiquer soigneusement les rites islamiques (ablutions, prières, l'aumône appelée zakat, justice sociale, invocation constante de Dieu, prière pour le Prophète Mohammad ... )
Contexte ne pouvait être plus défavorable à l'homme qui osa lancer un tel appel face à l'ampleur qu'avait prise le culte des Rab, à certains lettrés musulmans qui vont lui opposer une farouche contestation, à la division de la société Wolof en castes hiérarchisées et surtout, face à la réaction des colons français qui craignaient que la présence française ne fût combattue par Seydina Limamou.
On devine aisément la rudesse et l'ampleur des obstacles qui vont simultanément se dresser contre lui, et qu'il affrontera avec constance et confiance en Dieu, supportant avec courage et sérénité toutes sortes de souffrances physiques et morales, devenues son lot quotidien. Il n'était pas homme à flancher devant les épreuves qu'il savait inévitables.
Mais ce qui le faisait souffrir le plus, c'était de voir ses concitoyens qu'il chérissait du fond de son coeur s'éloigner du message salutaire qu'il leur apportait. À tel point qu'il lui arrivait de chantonner s, assis tout seul dans un coin "ô mon peuple, viens à moi, je suis véritablement le messager de Dieu.
homosenegalensis