A Ndiaga et Barthélémy (Karfa Diallo)


Je veux vous parler avant que notre réalité ne s’étiole et disparaisse, vous abriter sous une entière population de signes, vous éviter de demeurer à l’ombre de vous-mêmes, restituer à vos mouvements leur enveloppe première.
Car je suis aussi vous et comme vous d’aussi loin que je me souvienne le Sénégal a toujours été imprimé dans ma mémoire et dans mon corps en lettres de feu.
De cette terre abandonnée de Thiaroye, comme toi Ndiaga, j’imaginais et rêvais de ce pays dont les frontières ne m’étaient ouvertes que pour les basses et viles besognes du soir. Marionnette des crépuscules mais aussi des aubes sombres, j’ai comme toi monnayé mes impuissances et mes espérances pour quelques sacs de riz, quelques billets de banque.
Jouet de mes émotions et de mes ambitions, j’ai comme toi Barthélémy, cultivé le mythe du héros auquel mon histoire familiale et mes enseignements m’ont préparé. Rebelle et impulsif, j’ai pensé être ce leader révolutionnaire prêt à sacrifier sa vie dans le romantisme du martyr.
Mais vous me permettrez de ne trouver que sottise ridicule, anarchie et inconséquence dans les images que vous nous avez donné à voir. Je n’y vois ni courage, ni patriotisme. Rien que de la stupide excitation, de l’adrénaline gaspillée, de l’effroi d’enfants qui ne savent qu’être le jouet de pulsions non canalisées par des pères absents et défaits : ces politiciens couards.
Ces individus peuplant l’arène politique, incapables, malgré leur grande diversité, leur grand talent et la multiplicité de leurs mobiles respectifs, de trouver ne serait ce qu’un simulacre d’entente, une unité, fut-elle sporadique et purement électorale afin de préserver l’équilibre social.
Leurs slogans à force d’être répétés par les griots à gages, leurs presses, leurs tracts, à force d’être assénés dans la propagande officielle et explicités dans les conversations privées et les discours publics, ont fini par obnubiler les esprits, surtout ceux des plus fragiles, et revêtir aux yeux de la plupart d’entre eux le caractère d’une évidence irréfutable.
Comme il leur est impossible d’avouer qu’ils agissent par simple intérêt financier, qu’une pure sentimentalité diffuse ou qu’une ambition féroce guide leur comportement, ces activistes de tous bords, ont progressivement fait leurs tous ces slogans, pseudos arguments simplistes dont l’extrême naïveté tient lieu d’illusoire solidité. Ils s’y réfugient comme dans un bastion inexpugnable et de les répéter sans penser finit par leur donner bonne conscience
De ce petit catéchisme du Parfait Candidat au Martyr, deux principaux articles de foi :
Abdoulaye Wade ne doit pas se présenter aux élections présidentielles de 2012. Sa candidature serait illégale, illégitime et amorale. La constitution de 2001 limitant le mandat présidentiel lui interdirait de se représenter tel que lui-même l’a soutenu dans une interview.
Le Président peut, doit, va se représenter et vaincra car la loi le lui permet, son bilan est positif, le Peuple le soutient et même s’il a soutenu le contraire il en a le droit : « Ma waxon wa waxeet ».

S’il est vrai que nul ne conseillerait, en toute sincérité, à son père ou grand-père de se risquer dans l’épreuve du pouvoir à plus de quatre vingt ans (80) ans, il demeure manifeste que ceux qui ont intérêt à perpétuer le régime libéral, et à s’opposer à une alternance sont ceux dont le pouvoir actuel garantit les privilèges et il n’est pas de la nature humaine de renoncer facilement à sa proie.
Les autres, chassés du pouvoir par trop d’abus ou par humeur du Prince, englués dans leurs contradictions attisent les braises de la décadence sénégalaise : Eux ou la résignation, la régression et l’isolement rétrograde. Alternance ou chaos et misère. Alors qu’ils sont assez intelligents pour établir la distinction, ils s’acharnent à répandre cette regrettable confusion dans les esprits moins pénétrants, plus frustrés.
C'est-à-dire vous, Ndiaga et Barthélémy, dont l’étincelle de fureur contenue, de prétentions guerrières et d’aspirations au progrès vient de conduire l’un à la tombe, l’autre inévitable en prison et la Patrie dans une escalade de violence dont les conséquences risquent de n’être cette fois-ci ni purificatrices ni cathartiques comme peuvent l’être les combats de lutte dont nous aimons tant nous repaître.
Dans le combat sans merci qui s’entreprend sous nos yeux, ce serait une bien inutile forfanterie que de penser maîtriser la compréhension des conditions objectives de la réalité sénégalaise qui s’écrit pour les décennies à venir. Disons simplement, que dans les conditions historiques données, la violence est une stratégie doublement périlleuse qui ne peut accoucher que d’une anarchie dont les puissants sortiront vainqueurs, qu’ils soient du régime ou de l’opposition.
Votre tâche, à toi Ndiaga et à toi Barthélémy, c’est l’éducation c'est-à-dire la maîtrise de soi par la conscience froide de la situation historique sénégalaise et des moyens de contribuer à la justice sociale et politique.
En sombrant dans la facilité, la violence, vous augurez des démons dont le Sénégal s’est toujours prémuni en perdant la mémoire de cette sagesse populaire qui nous a fait traverser bien des crises, de l’esclavage aux indépendances, des ajustements structurels à la mondialisation.
Tout homme ayant du sang sénégalais dans les veines ne saurait jamais trop faire, dans le but de réhabiliter l’Homme noir, auquel la violence a imprimé une tare tenace. C’est presque une obligation héréditaire, un devoir filial de dresser une digue infranchissable face à la répétition de l’Histoire.
Le jour où, filles et fils d’Afrique, nous assumerons notre négritude c'est-à-dire cette conscience froide de la violence du monde à notre égard et cet humanisme chaleureux de
notre apport au monde, ce jour verra rompre tous les fils qui nous relient au désir de la domination et à l’exploitation. Ne nous nous le dissimulons pas et ne l’oublions pas.

Karfa Diallo - Ecrivain et Président de la Fondation du Mémorial de la Traite des Noirs
Dimanche 25 Décembre 2011