«Un premier président noir ? Oui, c’est bien. Mais une première dame callipyge, c’est carrément révolutionnaire», se réjouissait, à l’installation du couple Obama à la Maison Blanche, Erin Aubry Kaplan, une chroniqueuse africaine-américaine. Au Sénégal, on pouvait bien dire la même chose de Marème Faye Sall. Pour la première fois, une dame sénégalaise par la culture, le port et les us et coutumes, habite le Palais présidentiel. C’est une première dame qui ressemble en tout à ses concitoyennes. Mais paradoxalement, au lieu de s’en féliciter, on s’en offusque. Dire que certains jugements négatifs portés contre l’épouse du chef de l’Etat relèvent plus du complexe et du subjectif. On a vu à la télévision Mme Sall prier à domicile, comme toute bonne musulmane ! Et cela avait défrayé la chronique dans un pays habité à plus de 95% par des musulmans. Pourtant, personne ne trouvait à redire quand la télévision montrait Elisabeth Diouf, Colette Senghor ou Viviane Wade se prosternant à l’église ou devant le Pape. Voudrait-on que la Première dame «s’occidentalise» pour être acceptée? Quand Mme Sall s’habille en «grand-boubous», tenues typiquement sénégalaises, d’aucuns voudraient qu’elle se mette en tailleur griffé Dior, Yves Saint-Laurent ou Gucci. Quand une personnalité portant le patronyme Faye ou Sall, ou on ne sait encore, est nommée à un emploi public, forcément elle serait de la famille du Président Macky Sall ou de son épouse. On oublierait même que Léopold Sédar Senghor avait nommé dans ses gouvernements des membres de sa propre famille, que Abdou Diouf avait fait de même ou que Abdoulaye Wade réservait toujours les meilleurs emplois publics à son fils, sa fille, ses neveux et nièces. On oublie qu’aux Etats-Unis, un célèbre Président nommé John F. Kennedy avait gouverné avec son propre frère.
Mais le plus renversant est qu’on prête à Marème Faye Sall beaucoup d’influence sur son mari. Quelle est l’épouse qui n’a pas d’influence sur son mari ? Quel rôle Mme Colette Senghor n’avait-elle pas joué sur le départ de Léopold Sédar Senghor du pouvoir ? De quel poids Elisabeth Diouf n’avait-elle pas pesé pour décider son mari à se séparer de Jean Collin par exemple ou pour garder dans le gouvernement certains de ses amis à elle ? C’est aussi un secret de polichinelle que Mme Wade était le principal artisan du projet de dévolution dynastique du pouvoir à Karim Wade.
Qu’elles s’appellent Pat Nixon, Claude Pompidou, Cécilia Sarkozy, Carla Bruni-Sarkozy, Hillary Clinton, Barbara Bush, Eleanor Roosevelt, Michelle Obama, Danielle Mitterrand, Viviane Wade, Elisabeth Diouf, Marème Faye Sall, les Premières dames ou «First ladies» ont une ressemblance : elles exercent toutes une influence sur le Président.
Les analystes s’accordent que partout dans le monde, les Premières dames doivent aussi continuellement faire figure de représentation et peuvent ainsi voir leurs libertés entravées. Mais de par leur proximité exclusive avec le Président, elles peuvent également acquérir certains privilèges. Leur fonction de représentation étant indéniablement liée à l’image de leur époux, elles peuvent aussi servir d’«outils de communication». Aux Etats-Unis, elles ont une plus grande autonomie quant à leur rôle de communicante. Ainsi, Michelle Obama «sert de lien entre le Président et certains segments du Parti démocrate, notamment les ‘’community activists’‘». Les Premières dames américaines sont souvent très présentes lors des campagnes de leur mari : La Flotus (l’acronyme de First lady of the United States), Michelle Obama, peut organiser toute seule une levée de fonds ou un meeting pour la réélection de Barack Obama. Aux Etats-Unis, Eleanor Roosevelt est la Première dame qui s’est véritablement impliquée dans la politique. En France, les positions politiques de Danielle Mitterrand étaient parfois en porte-à-faux de celles de son mari.
Mais cette possibilité de responsabilité dans la sphère politique est aussi une opportunité que certaines Premières dames ou First ladies n’ont pas hésité à prendre. Hillary Clinton a eu à relocaliser son bureau dans l’aile ouest de la Maison-Blanche, se rapprochant ainsi de l’Exécutif et du bureau ovale. Elle s’est vu confier un poste officiel au sein de l’Administration, sur la santé. Bernadette Chirac a aussi exercé un poste politique lors du mandat de son mari : elle était conseillère générale de la Corrèze. Cécilia Sarkozy s’était impliquée dans l’affaire des infirmières bulgares en Libye. Pour ce qui est de la défense des «grandes causes», «Eleanor Roosevelt soutenait déjà la cause des minorités, notamment les minorités raciales». En France, Anne-Aymone Giscard d’Estaing est la première à initier la tradition de création de fondations pour la Première dame. C’était la Fondation pour l’enfance en 1977. Rosalynn Carter, elle, œuvrait pour la cause des femmes. «L‘évolution du rôle des Premières dames correspond en partie à l’évolution des femmes dans la société.» Et même si elles n’œuvraient pas toutes comme Rosalynn Carter, elles ont un peu «féminisé» la Maison-Blanche, comme «Lady Bird Johnson qui avait entrepris un projet de beautification», (le principe de beautification était d’embellir l’environnement des Américains).
Si certaines étaient plus en retrait tandis que d’autres étaient de vraies militantes, il y a autant de Premières dames et First Ladies qu’il y a de modèles. Chacune est unique. Yvonne de Gaulle imposait à son mari un respect de la moralité à l’Elysée et Edith Wilson était même surnommée The Secret President, elle influençait en effet de nombreuses décisions de Woodrow Wilson. Supportrices, confidentes ou conseillères, les Premières dames et First Ladies ont toutes un point commun : l’influence sur le président. Mme Sall peut avoir tous les défauts, elle n’en manque certainement pas, mais qui bouderait le charme de se faire servir à boire par la Première dame, comme une «bonne sénégalaise» qui s’occupe des hôtes de son mari ? C’est aussi un trait de notre culture.
Par Madiambal Diagne
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