L’histoire de ce bébé de seulement quinze mois violée à Thiès a ému et outré tout le monde. L’ignominie de cet acte inqualifiable, nous rappelle, tel un réveil brutal, l’urgence de lutter davantage et mieux contre les violences sexuelles, en particulier contre les femmes et les enfants, par un engagement politique et citoyen fort.
Cet acte qu’aucun esprit sain ne peut imaginer qu’il puisse se produire, nous conforte, dans l’idée qu’il est encore et toujours nécessaire d’alerter inlassablement nos pouvoirs politiques et services judiciaires sur l’extrême gravité de la situation et l’urgence de changer la loi sur le viol des enfants et d’appliquer avec plus de sévérité les lois existantes.
Quels que soient l’âge des victimes et l’endroit où elles se produisent, les violences sexuelles méritent d’être combattues avec force et détermination sans failles. Toutefois, une attention particulière doit être accordée aux enfants et aux femmes rurales.
Les violences sexuelles ne connaissent certes pas de clivages sociaux, culturels, économiques encore moins géographiques. Cependant il est aussi important de se rappeler que les victimes ne constituent pas une catégorie homogène, en effet, la situation individuelle peut aggraver les facteurs de risques à la fois d’être victime mais surtout d’impunité des auteurs.
Loin de moi l’idée de vouloir stigmatiser les populations rurales encore moins de hiérarchiser les victimes, mais il s’agit plutôt d’un appel pieux d’appréhender et surtout d’agir sur cette question sous l’angle de l’approche intersectionnelle.
La ruralité peut s’avérer être un facteur aggravant aussi bien en termes de risques pour les femmes et les filles et d’impunité des auteurs.
Les résultats des recherches du projet du Réseau Africain pour le Développement Intégré
(RADI) exécuté dans la région de Kolda, au Sénégal, et dans le Trarza, en Mauritanie, financé par le Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI), nous renseignent qu’à Kolda il y a une très fortement prévalence des violences sexuelles. Pour illustration, sur les 65 cas de violences sexistes répertoriés au Tribunal de Kolda en 2016, on dénombre 33 cas de viol sur mineur de moins de 13 ans, ce qui fait un taux de plus de 50% et 11 cas de pédophilie. Pour l’année 2015, ces cas de viol, toujours sur mineur de moins de 13 ans, sont au nombre de 41 sur 61 cas de violences enregistrés, c’est-à-dire près de 60%. Les victimes sont principalement des filles, de très jeunes filles, et des femmes.
Les résultats ont aussi montré que sur 330 femmes interrogées, 17% sont victimes de viol, 12% de viol conjugal, 24% et 23% respectivement de mariage précoce et mariage forcé. Le viol et le mariage précoce ont comme entre autres conséquences les grossesses précoces et tous les risques qui s’en suivent.
Sans compter les autres manifestations du harcèlement et d’attouchements sexuels auxquelles les femmes sont quotidiennement confrontées comme les gestes obscènes, les commentaires déplacés de nature sexuelle. Ces actes sont tellement banalisés dans notre société que mêmes certaines femmes n’ont plus conscience de leur caractère sexuel.
Signalons au passage que la ruralité est un facteur aggravant car c’est en milieu rural que ces normes sociales sexistes, les pratiques et croyances d’un autre âge sont davantage implantées et fortement ancrées dans les mentalités. En outre, c’est également en milieu rural que les pesanteurs socioculturelles, qui entravent la dénonciation sont plus prégnantes. Si la ville se caractérise par l’anonymat, c’est tout l’inverse en zone rurale où tout le monde se connaît et où les populations entretiennent des liens forts.
Dans ces zones, la parenté n’est pas seulement biologique, elle est aussi sociale.
La préservation de la cohésion sociale communautaire prime sur la sanction des auteurs et la nécessité de réparation pour les victimes, une étape importante pour leur reconstruction.
Les victimes doivent alors se taire pour ne pas se déshonorer et déshonorer leurs familles. Elles passent ainsi de victime à coupable idéal. Cela d’autant plus que ce sont les victimes, et parfois leur mère, qui sont accusées d’inconséquence dans leurs comportements, leur caractère, leur conduite.
La ruralité aggrave aussi les difficultés à se prévaloir d’un recours à la justice. Nos villages sont confrontés à la pauvreté, parfois extrême, dont les femmes sont les premières victimes, pour faire face au coût des procédures judiciaires, à l’éloignement des juridictions, au manque d’infrastructures sanitaires en mesure d’aider à préserver les éléments de preuves, entre autres.
Il faut énormément de courage aux victimes et leurs proches pour saisir la justice et de la détermination pour suivre les procédures interminables et tenter de rompre ainsi avec le cycle de l’impunité. Les violences sexuelles constituent le prototype même du crime parfait au Sénégal car les auteurs sont très rarement inquiétés, pour ne pas dire jamais. L’impunité est presque la règle, la justice pour les victimes, l’exception dans notre pays.
Pour toutes ces raisons, briser les verrous et faire sanctionner les auteurs de violence sexuelle devient presque mission impossible. Et si les plus téméraires décident d’outrepasser cette loi du silence, elles s’exposent, et exposent leur famille, notamment leur mère, au rejet, à l’exclusion sociale et la stigmatisation ou encore à une justice peu diligente et non effective.
Il est temps d’en finir avec le déni de justice, une situation intolérable pour les victimes. Il est plus qu’urgent de repenser les lois et mais aussi la pratique de la loi par les acteurs du système judiciaire. Cette attention particulière passe nécessairement par l’application effective des lois existantes, comme l’article 320 et 320 bis du code pénal. Cela passe également par la criminalisation du viol et des abus sexuels sur les enfants.
De même, pour le viol conjugal, bien que de plus en plus de défenseurs des droits des femmes demandent qu’il soit reconnu et sanctionné, il n’existe pas encore une législation sur cette question.
Il faut par ailleurs, une autonomisation légale des femmes et de leur communauté pour qu’elles soient plus conscientes de leur droits des femmes et un intense travail de sensibilisation, de lobbying et de réseautage pour mobiliser tout le monde, y compris les jeunes, les hommes et leaders communautaires pour lutter contre les normes sociales nuisibles aux femmes et influencer les pratiques et comportements des acteurs du système judiciaire.
Dr. Oumoul Khaïry COULIBALY-TANDIAN
Coordinatrice régionale et chercheure principale du Projet "Violences sexuelles et accès à la justice pour les femmes rurales africaines" exécuté par le RADI avec l’appui technique et financier du Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI. Canada).
Cet acte qu’aucun esprit sain ne peut imaginer qu’il puisse se produire, nous conforte, dans l’idée qu’il est encore et toujours nécessaire d’alerter inlassablement nos pouvoirs politiques et services judiciaires sur l’extrême gravité de la situation et l’urgence de changer la loi sur le viol des enfants et d’appliquer avec plus de sévérité les lois existantes.
Quels que soient l’âge des victimes et l’endroit où elles se produisent, les violences sexuelles méritent d’être combattues avec force et détermination sans failles. Toutefois, une attention particulière doit être accordée aux enfants et aux femmes rurales.
Les violences sexuelles ne connaissent certes pas de clivages sociaux, culturels, économiques encore moins géographiques. Cependant il est aussi important de se rappeler que les victimes ne constituent pas une catégorie homogène, en effet, la situation individuelle peut aggraver les facteurs de risques à la fois d’être victime mais surtout d’impunité des auteurs.
Loin de moi l’idée de vouloir stigmatiser les populations rurales encore moins de hiérarchiser les victimes, mais il s’agit plutôt d’un appel pieux d’appréhender et surtout d’agir sur cette question sous l’angle de l’approche intersectionnelle.
La ruralité peut s’avérer être un facteur aggravant aussi bien en termes de risques pour les femmes et les filles et d’impunité des auteurs.
Les résultats des recherches du projet du Réseau Africain pour le Développement Intégré
(RADI) exécuté dans la région de Kolda, au Sénégal, et dans le Trarza, en Mauritanie, financé par le Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI), nous renseignent qu’à Kolda il y a une très fortement prévalence des violences sexuelles. Pour illustration, sur les 65 cas de violences sexistes répertoriés au Tribunal de Kolda en 2016, on dénombre 33 cas de viol sur mineur de moins de 13 ans, ce qui fait un taux de plus de 50% et 11 cas de pédophilie. Pour l’année 2015, ces cas de viol, toujours sur mineur de moins de 13 ans, sont au nombre de 41 sur 61 cas de violences enregistrés, c’est-à-dire près de 60%. Les victimes sont principalement des filles, de très jeunes filles, et des femmes.
Les résultats ont aussi montré que sur 330 femmes interrogées, 17% sont victimes de viol, 12% de viol conjugal, 24% et 23% respectivement de mariage précoce et mariage forcé. Le viol et le mariage précoce ont comme entre autres conséquences les grossesses précoces et tous les risques qui s’en suivent.
Sans compter les autres manifestations du harcèlement et d’attouchements sexuels auxquelles les femmes sont quotidiennement confrontées comme les gestes obscènes, les commentaires déplacés de nature sexuelle. Ces actes sont tellement banalisés dans notre société que mêmes certaines femmes n’ont plus conscience de leur caractère sexuel.
Signalons au passage que la ruralité est un facteur aggravant car c’est en milieu rural que ces normes sociales sexistes, les pratiques et croyances d’un autre âge sont davantage implantées et fortement ancrées dans les mentalités. En outre, c’est également en milieu rural que les pesanteurs socioculturelles, qui entravent la dénonciation sont plus prégnantes. Si la ville se caractérise par l’anonymat, c’est tout l’inverse en zone rurale où tout le monde se connaît et où les populations entretiennent des liens forts.
Dans ces zones, la parenté n’est pas seulement biologique, elle est aussi sociale.
La préservation de la cohésion sociale communautaire prime sur la sanction des auteurs et la nécessité de réparation pour les victimes, une étape importante pour leur reconstruction.
Les victimes doivent alors se taire pour ne pas se déshonorer et déshonorer leurs familles. Elles passent ainsi de victime à coupable idéal. Cela d’autant plus que ce sont les victimes, et parfois leur mère, qui sont accusées d’inconséquence dans leurs comportements, leur caractère, leur conduite.
La ruralité aggrave aussi les difficultés à se prévaloir d’un recours à la justice. Nos villages sont confrontés à la pauvreté, parfois extrême, dont les femmes sont les premières victimes, pour faire face au coût des procédures judiciaires, à l’éloignement des juridictions, au manque d’infrastructures sanitaires en mesure d’aider à préserver les éléments de preuves, entre autres.
Il faut énormément de courage aux victimes et leurs proches pour saisir la justice et de la détermination pour suivre les procédures interminables et tenter de rompre ainsi avec le cycle de l’impunité. Les violences sexuelles constituent le prototype même du crime parfait au Sénégal car les auteurs sont très rarement inquiétés, pour ne pas dire jamais. L’impunité est presque la règle, la justice pour les victimes, l’exception dans notre pays.
Pour toutes ces raisons, briser les verrous et faire sanctionner les auteurs de violence sexuelle devient presque mission impossible. Et si les plus téméraires décident d’outrepasser cette loi du silence, elles s’exposent, et exposent leur famille, notamment leur mère, au rejet, à l’exclusion sociale et la stigmatisation ou encore à une justice peu diligente et non effective.
Il est temps d’en finir avec le déni de justice, une situation intolérable pour les victimes. Il est plus qu’urgent de repenser les lois et mais aussi la pratique de la loi par les acteurs du système judiciaire. Cette attention particulière passe nécessairement par l’application effective des lois existantes, comme l’article 320 et 320 bis du code pénal. Cela passe également par la criminalisation du viol et des abus sexuels sur les enfants.
De même, pour le viol conjugal, bien que de plus en plus de défenseurs des droits des femmes demandent qu’il soit reconnu et sanctionné, il n’existe pas encore une législation sur cette question.
Il faut par ailleurs, une autonomisation légale des femmes et de leur communauté pour qu’elles soient plus conscientes de leur droits des femmes et un intense travail de sensibilisation, de lobbying et de réseautage pour mobiliser tout le monde, y compris les jeunes, les hommes et leaders communautaires pour lutter contre les normes sociales nuisibles aux femmes et influencer les pratiques et comportements des acteurs du système judiciaire.
Dr. Oumoul Khaïry COULIBALY-TANDIAN
Coordinatrice régionale et chercheure principale du Projet "Violences sexuelles et accès à la justice pour les femmes rurales africaines" exécuté par le RADI avec l’appui technique et financier du Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI. Canada).
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